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Les salles d’expositions permanentes

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UNE VIE

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DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

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L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER
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ERNEST CHAUSSON ET LE ROI ARTHUS : UNE QUÊTE D’IDENTITÉ MUSICALE À L’OMBRE DU WAGNÉRISME

par Nicolas CRAPANNE

Charles Ernest Butler King Arthurà partir des travaux de recherches de Cécile Leblanc in Wagnérisme et création en France : 1883-1889, thèse de Doctorat, Université Paris III (Honoré Champion, Paris, 2003)

Introduction

À la fin du XIXᵉ siècle, la musique française est profondément marquée par l’ombre imposante de Richard Wagner. De nombreux compositeurs français cherchent alors à définir leur propre voix tout en assimilant les innovations wagnériennes. Ernest Chausson, figure emblématique de cette période, illustre cette quête d’identité à travers son unique opéra, Le Roi Arthus. Cette œuvre, fruit de près de dix années de travail, témoigne de l’admiration de Chausson pour Wagner, mais aussi de sa volonté d’émancipation. En nous appuyant sur les travaux de Cécile Leblanc dans Wagnérisme et création en France : 1883-1889, nous explorerons le parcours biographique de Chausson, la genèse et les particularités du livret du Roi Arthus, ainsi que les spécificités musicales de l’opéra, illustrées par des citations précises.

I. Ernest Chausson : parcours d’un compositeur en quête d’identité

Chausson, Ernest, Bnf GallicaErnest Amédée Chausson naît le 20 janvier 1855 à Paris, au sein d’une famille bourgeoise aisée. Son père, Prospère Chausson, est un entrepreneur florissant ayant contribué aux grands travaux de rénovation de Paris sous le baron Haussmann. Cette situation financière confortable permet au jeune Ernest de bénéficier d’une éducation soignée, encadrée par un précepteur, Léon Brethous-Lafargue, qui l’initie aux arts et aux lettres. Malgré une inclination précoce pour la musique et la littérature, Chausson suit des études de droit pour satisfaire les attentes paternelles. Il obtient sa licence en 1876 et devient avocat à la cour d’appel de Paris. Cependant, cette carrière juridique ne le passionne guère, et il fréquente assidûment les salons littéraires parisiens, notamment celui de Madame de Rayssac, où il côtoie des artistes tels que les peintres Henri Fantin-Latour et Odilon Redon, ainsi que le compositeur Vincent d’Indy. Ces rencontres ravivent son intérêt pour la musique et le conduisent à envisager une carrière artistique.

En 1879, à l’âge de 24 ans, Chausson intègre le Conservatoire de Paris dans la classe de composition de Jules Massenet. Il y acquiert des bases solides en composition et développe un style influencé par le romantisme français. Toutefois, c’est sa rencontre avec César Franck, dont il devient l’élève en 1881, qui marque un tournant décisif. Franck lui transmet une rigueur contrapuntique et un goût pour les structures cycliques, éléments qui imprégneront profondément ses œuvres futures.

Parallèlement, Chausson est profondément influencé par Wagner. En 1882, il assiste à Bayreuth à la création de Parsifal, expérience déterminante. Dans une lettre à son ami Raymond Bonheur, il confie être « hanté, poursuivi par Wagner », conscient de l’ampleur du modèle mais aussi du risque d’en rester prisonnier. Cette tension entre admiration et affirmation de soi guidera toute sa démarche créatrice.

La révélation wagnérienne est, chez lui, de l’ordre du bouleversement intime, à la fois musical, philosophique et moral. L’idéal d’une œuvre d’art totale, fusionnant musique, texte et pensée, entre en résonance avec ses propres aspirations artistiques.

Cependant, Chausson se distingue par une posture de retenue. Contrairement à nombre de ses contemporains — d’Indy, d’Albert Lavignac ou encore d’Alfred Bruneau — qui revendiquent hautement leur fidélité au modèle de Bayreuth, Chausson adopte une démarche plus nuancée. Comme l’observe Cécile Leblanc, il se situe dans une tension dialectique entre assimilation et distance. Il pressent le danger d’un wagnérisme servile, capable d’étouffer toute voix individuelle. D’où cette lenteur dans la genèse du Roi Arthus, qui s’étale sur près d’une décennie, et qui témoigne moins d’un manque de résolution que d’un souci méticuleux d’élaboration, de clarification formelle et de purification stylistique.

L’écriture du livret, entièrement assumée par le compositeur, constitue déjà en soi une forme d’émancipation. Loin de se couler dans la prose versifiée du drame musical wagnérien, Chausson conserve une structure en trois actes et un langage poétique qui privilégie l’allusion, la suggestion, la symbolisation — autant d’éléments caractéristiques du climat esthétique français de la fin du siècle. Cette volonté de trouver un équilibre entre modèle allemand et tradition nationale annonce une position esthétique singulière : un wagnérisme médité, intériorisé, en quête de dépassement.

II. Le Roi Arthus : un livret entre hommage et émancipation

MaxresdefaultLa composition du Roi Arthus débute en 1886. Chausson en rédige lui-même le livret, s’inspirant de la légende arthurienne. Ce choix thématique, qui rappelle Tristan et Isolde, reflète son intérêt pour les récits symboliques et médiévaux, mais il s’en démarque fortement par sa structure et sa portée morale.

Le triangle amoureux entre Arthus, Genièvre et Lancelot rappelle Tristan, Isolde et le roi Marke. Toutefois, chez Chausson, l’accent est mis sur la fidélité, l’honneur et le sacrifice. Lancelot dit : « Mon cœur est divisé entre l’honneur et la passion ; que dois-je choisir ? », exprimant le tiraillement éthique absent de Tristan. De même, Genièvre s’interroge : « Pourquoi faut-il que l’amour m’entraîne malgré moi vers celui que je devrais fuir ? » — formulation lucide, non extatique.

La figure de Merlin, absente chez Wagner, joue un rôle oraculaire : « Roi, l’ombre de la trahison plane sur ton royaume ». Il incarne l’autorité morale que Chausson oppose au chaos des passions. La dramaturgie, structurée en scènes resserrées, ménage un équilibre entre récit symbolique et cohérence dramatique, là où Wagner opte pour un flux continu.

Le choix de la matière arthurienne, en apparence proche de l’univers mythique wagnérien, relève d’un geste à la fois d’adhésion et de différenciation. Wagner avait déjà abordé ce corpus par le biais de Tristan et Isolde et, dans une autre mesure, de Parsifal. Chausson, en s’emparant du même réservoir mythologique, opte pour une orientation fondamentalement distincte. Là où Wagner exalte le désir, la souffrance et la transfiguration par la mort, Chausson fait du conflit moral, de la loyauté trahie et de la chute d’un idéal les moteurs profonds de son drame.

Le personnage d’Arthus, central, s’impose comme une figure tragique empreinte de grandeur stoïque. Incarnation d’un ordre moral et politique fondé sur la justice, la fidélité et la vérité, il se voit trahi par ses plus proches : Genièvre, son épouse, et Lancelot, son chevalier préféré. Cette trahison, loin d’être simplement une faute individuelle, signe l’échec d’un monde fondé sur l’honneur chevaleresque. Ainsi, l’opéra s’articule autour de l’effondrement d’un idéal, non dans une perspective nihiliste, mais comme une méditation sur la fragilité des grandes constructions humaines.

Le traitement du couple Genièvre-Lancelot mérite une attention particulière. En apparence, il évoque celui de Tristan et Isolde : un amour interdit, voué à l’échec, transcendé par la souffrance. Mais là où Wagner plonge ses héros dans une ivresse métaphysique sans retour, Chausson introduit la conscience morale comme contrepoids dramatique. Lancelot, rongé par le remords, finit par renoncer à son amour, tandis que Genièvre, écrasée par sa faute, s’abîme dans le désespoir. Ce refus de glorifier la passion au détriment de l’ordre symbolique confère à l’opéra une portée morale singulière, en phase avec le symbolisme littéraire français, mais aussi profondément éloignée du schopenhauerisme de Wagner.

Cécile Leblanc souligne ici une stratégie d’appropriation critique : Chausson emprunte au wagnérisme sa densité symbolique, son recours aux figures mythiques, mais il les soumet à une logique dramatique fondée sur la clarté, la réserve et la mesure. Cette orientation se reflète jusque dans la structure de l’œuvre, plus concise que les vastes fresques de Wagner, et dans une prosodie musicale plus respectueuse des inflexions naturelles du français.

III. Une écriture musicale entre tradition française et influence wagnérienne

6616efd5 4acd 44e3 872f 78445d926ef9Sur le plan musical, Le Roi Arthus témoigne de la synthèse que Chausson cherche à opérer entre l’influence de Wagner, l’héritage franckiste et une tradition française du raffinement harmonique. L’architecture globale de l’ouvrage, en trois actes liés par une forte continuité dramatique, s’inspire du modèle du drame musical, mais sans pour autant reproduire la fluidité ininterrompue propre à Tristan ou Parsifal. Chausson conserve une structuration plus nette, héritée de la forme opératique française, ménageant des airs, des ensembles, et même des numéros aux contours marqués — comme le monologue d’Arthus au III (« Ah ! misérable roi… ») ou la grande scène de Genièvre au II (« Il vient ! »).

Le recours aux leitmotivs constitue l’un des aspects les plus manifestes de la dette wagnérienne. Cependant, là encore, l’assimilation est critique. Chausson n’en fait pas une trame musicale continue, mais les emploie comme éléments signifiants, ponctuels, souvent plus motiviques que thématiques. Parmi les plus remarquables :
– le motif d’Arthus, exposé dès le prélude, caractérisé par une marche solennelle en mi mineur, à l’orchestration noble (cors et bois graves) ;
– le motif du destin, une cellule descendante chromatique, évoquant la désagrégation morale, souvent associée à Lancelot ;
– et un motif d’amour, enchaînement d’accords en tierces parallèles, qui revient dans la scène d’aveu entre Genièvre et Lancelot (II, scène 4).

L’analyse harmonique révèle une maîtrise remarquable du chromatisme, parfois dérivé directement de Tristan, mais modulé par une transparence orchestrale et une clarté de ligne typiquement françaises. Ainsi, dans la scène de la forêt (II, scène 3), Chausson superpose un accord de neuvième de dominante (Ré-Fa-La-Do-Mi) à une basse pédale en Si, créant une instabilité poétique propre à traduire l’irrésolution des sentiments de Lancelot. Ce procédé évoque le langage de Wagner sans tomber dans l’alourdissement harmonique de ses imitateurs.

L’orchestration, l’un des sommets de l’art de Chausson, démontre un raffinement extrême. L’usage du célesta dans l’interlude précédant l’entrée de Merlin au I, rare pour l’époque, crée un halo sonore presque irréel, qui évoque davantage les sortilèges de Pelléas que l’ampleur tellurique de Götterdämmerung. De même, les cordes divisées dans la scène finale du III, accompagnant les adieux d’Arthus (« Ô terre, adieu »), tissent un tapis harmonique d’une pudeur bouleversante, où les voix ne sont jamais submergées par l’orchestre.

Sur le plan vocal, Chausson s’inscrit dans une tradition prosodique française où l’intelligibilité du texte prime. L’écriture vocale, souvent étroite, évite les grandes envolées lyriques au profit d’un phrasé souple et expressif. Le monologue d’Arthus au III, avec sa déclamation tendue sur de longues lignes descendantes (« J’ai vu mourir l’espoir… »), illustre cette esthétique de la parole habitée. Il s’agit moins d’extérioriser une douleur que de la creuser lentement dans la matière musicale. 

Enfin, la conclusion de l’œuvre, d’une grande sobriété, tranche avec la monumentalité wagnérienne. Point d’apothéose mystique ou de cataclysme orchestral : seulement un dernier souffle, dans un pianissimo suspendu, où le motif d’Arthus s’évanouit dans une coda presque dépouillée, comme une ultime évocation de l’idéal détruit. C’est là, précisément, que Chausson atteint la singularité de son art : dans une économie expressive, dans un sens du tragique non spectaculaire, et dans une musique qui, tout en reconnaissant ses dettes, affirme sa propre voix.

Conclusion

Le Roi Arthus d’Ernest Chausson se situe au croisement du modèle wagnérien et de la tradition française. Il s’agit moins d’un tribut à Bayreuth que d’une œuvre de résistance lucide. Par la richesse de sa construction, la profondeur de son livret, la finesse de son écriture orchestrale et vocale, Chausson réalise une synthèse originale, annonciatrice de Debussy et Dukas. Comme l’a montré Cécile Leblanc, l’opéra ne se contente pas de transposer Wagner : il le digère, l’interroge et le dépasse, au service d’un idéal artistique profondément personnel.

NC

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