Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER
Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER

JOHN WILLIAMS ET RICHARD WAGNER : LE LEITMOTIV DU WALHALLA JUSQU’À UNE GALAXIE TRÈS, TRÈS LOINTAINE…

par Conor POWER

extrait du texte :
« Williams and Wagner: The Leitmotif from Valhalla to a Galaxy Far, Far Away »
traduction @ Le Musée Virtuel Richard Wagner
pour lire le texte dans son intégralité sur le site www.academia.edu, cliquer ici.

 

John Williams, compositeur, chef d’orchestre et pianiste américain né le 8 février 1932 à New York.

Introduction

Un leitmotiv est un outil de composition représentatif qui facilite la narration. Ce dispositif de composition a été adopté par Richard Wagner dans le Ring créé en 1876. Un siècle plus tard, le leitmotiv est utilisé par John Williams dans sa partition pour le premier film de la saga Star Wars – A New Hope (Un nouvel espoir). En raison de l’extrême popularité des partitions, Williams poursuivra sa relation musicale avec l’univers fantastique pendant les trente années suivantes. Cette étude examine donc l’utilisation du leitmotiv de Williams en référence à Wagner.

Les leitmotive sont représentatifs du caractère, du lieu et de l’émotion. Des parallèles entre certains aspects des histoires mythiques qu’ils incarnent existent respectivement entre le Ring et Star Wars : peut-on en dire autant des leitmotive écrits à plus d’un siècle d’écart ? L’emploi et le déploiement de motifs sélectionnés seront étudiés en fonction de leur évolution, de leur représentativité et de leur relation.

Inspirée par des travaux de chercheurs en musique et en cinéma, cette étude examinera l’efficacité des motifs, comment ils appartiennent à l’œuvre et comment leur sens est acquis et utilisé par la suite. En résumé, comment un appareil de composition germano-romantique est-il utilisé dans une galaxie très très lointaine ?

Que doit la narration cinématographique au leitmotiv ? La musique d’un film tel que Star Wars n’est pas la première chose qui vient à l’esprit du spectateur lorsqu’il en fait l’expérience visuelle à l’écran. Au contraire, le leitmotiv, popularisé par Wagner, renforce inconsciemment ce qui se passe à l’écran et aussi en dehors de l’écran (qui est à l’écran, que ressent-on, ou que signifie le lieu, le personnage et l’objet ?)

John Williams, en composant la musique de Star Wars, ne s’est pas aventuré à créer un équivalent musical des décors et des visuels de science-fiction. Il a plutôt utilisé une musique familière et wagnérienne, ce qui permet de mettre l’accent sur l’émotion et le caractère, et non sur les vaisseaux spatiaux, l’action et les explosions.

George Lucas, le créateur de Star Wars, a parlé de l’importance de la musique dans une interview :

« Les films de la saga Star Wars sont en fait presque des films muets. La musique joue un rôle très important dans la transmission de l’histoire, beaucoup plus que dans un film normal. Dans la plupart des films, l’histoire est portée par le dialogue ; dans les films de Star Wars, “la musique porte l’histoire.” ».

De toute évidence, Lucas a donné à la partition un rôle essentiel à la conception/réalisation du film. Par la manière très wagnérienne dont John Williams s’est inspiré pour la composition de cette musique, cette dernière a remporté un succès phénoménal.

Mais si la musique n’est pas à la base seule de cette réussite, le succès remporté par ces films ne repose-t-il pas sur cette musique, qui “porte l’histoire”, comme le dit Lucas ?

C’est en substance la base de cette étude.

« Walhall », paraphrase de Franz Liszt sur le thème de Richard Wagner, extrait de « L’anneau du Nibelung »

CHAPITRE I
LA TRADITION WAGNÉRIENNE

En 1848, Wagner décide d’écrire une saga lyrique sur la légende des Nibelungen. D’après l’histoire légendaire du héros nordique Siegfried et d’un anneau magique, l’œuvre serait le Magnum Opus de Wagner et, selon lui, ouvrirait une nouvelle ère de l’histoire de l’opéra. L’histoire devait être racontée à travers quatre opéras différents, chacun illustrant l’idée de Wagner d’un Gesamtkunstwerk – une œuvre d’art totale. Ils engloberaient toutes les formes d’art sous la configuration d’une représentation théâtrale unique  unissant l’opéra et le théâtre. Au sein de cette esthétique artistique déjà pionnière, Wagner développe alors une autre idée de la musique – un outil pour associer la musique au drame : le leitmotiv.

Les premiers exemples d’association musicale sont connus dans l’Orfeo de Monteverdi où les personnages sont associés à des instruments. Cela a continué dans les opéras classiques ultérieurs de Méhul et Cherubini. Des motifs de réminiscence apparaissaient déjà dans les opéras et mélodrames de Mozart, Schubert et J.C. Bach, mais ils n’avaient pas le développement musical ou dramatique des leitmotive. Suivant leurs traces, Liszt développe également des thèmes associatifs dans ses poèmes symphoniques des années 1850. Cependant, ces motifs ne sont pas utilisés de manière aussi méthodique que dans le Ring.

Dans ce chapitre, nous étudierons l’utilisation par Wagner du leitmotiv. La combinaison de nombreux motifs et la manière dont ils renforcent le récit seront également examinés. De même, une étude du motif  de la “nature” et de ses motifs associés dans le Ring montrera comment Wagner met en œuvre ce seul motif et comment ils se construisent les uns par rapport aux autres. Le duo d’amour dans le Götterdämmerung sera aussi examiné en détails. Enfin, plusieurs thèmes narratifs sont communs dans le Ring et Star Wars, des thèmes similaires ont des motifs résultants des deux œuvres. Les thèmes de Wagner et Williams ont-ils des caractéristiques musicales similaires, qui se reproduisent dans les leitmotive, et les motifs évoluent-ils différemment dans les différents médias ?

Motifs dans le Ring

Le motif du Walhalla dans le Ring de Wagner

De nombreux motifs du Ring sont liés les uns aux autres. Les motifs représentant des thèmes similaires, des personnages ou des ambiances peuvent être connectés via des tonalités, un rythme, une harmonie et un intervalle. En raison de la similitude entre certains leitmotive, le nombre précis de ces motifs varie selon les exégètes et les wagnériens. Tout au long de cette thèse, je ferai référence aux titres des motifs utilisés par Robert Donington dans Wagner’s Ring and its Symbols – dans cet ouvrage Donington énumère 91 motifs différents à travers les quatre opéras. (…)

Fonction du leitmotiv 

Stephen McClatchie cite Christian van Ehrenfels au sujet du leitmotiv : « la fonction purement musicale de ces thèmes n’est autre que celle de tous les motifs musicaux dans la structure des œuvres symphoniques: ce ne sont que des éléments, qui uniquement par leur mélange, peuvent susciter des tensions musicales». Les leitmotive mentionnés ci-dessus ne sont, à eux seuls, qu’un thème musical, véhiculant une ambiance. Wagner fournit le drame et la musique. Le public doit cependant associer ces motifs à une contrepartie dramatique. Le caractère associatif de la plupart des leitmotive peut être vérifié si le motif est joué quand un personnage apparaît sur scène, ou s’il découvre un nouveau lieu. Le sous-texte n’est pas si facile à appréhender. La relation entre les motifs des figures 1 à 4 peut ne pas être consciemment perçue par un spectateur la première fois qu’il voit l’opéra. Il existe une dichotomie dans les fonctions du leitmotiv : il y a une fonction poétique/dramatique et une fonction musicale. La fonction poétique/dramatique est de signifier les événements sur la scène; cette fonction est reconnaissable par l’auditeur. A l’inverse, la fonction musicale du leitmotiv est plus complexe. Ehrenfels estime que cette fonction musicale est autonome dans un motif seul et que ses caractéristiques musicales (harmonie, rythme, mélodie) contribuent à la forme globale de «l’organisme musico-dramatique» (comprenant parfois d’autres leitmotiv).

Dans le Ring, les leitmotive de Wagner sont les briques qui contribuent à ériger le monument global qu’est le drame tout entier. À eux seuls, les leitmotive n’héritent pas de l’association de signifiés: ils ne sont qu’une progression harmonique, une ligne mélodique ou un rythme répétitif. Le rapport signifiant et signifié (termes linguistiques désignant ce qui est référé et ce qui est lui-même référencé) est construit par Wagner. Le lien entre le motif des Walkyries et les Walkyries elles-mêmes n’est pas instinctivement compris. Wagner crée la connexion à travers la fonction poétique/dramatique du motif : en jouant le motif lorsque les Walkyries apparaissent ou sont évoquées dans le texte. Une fois la signification d’un motif expliquée, la fonction musico-dramatique du motif peut être compris lorsque le signifié n’est pas présent. Lorsque cela se présente, cela provoque une réponse émotionnelle à l’auditeur qui reconnaît l’utilisation du motif.

Wagner a défini l’utilisation du leitmotiv dans le Ring. Il a montré comment ils pouvaient être utilisés et soumis à différents traitements. Une utilisation efficace de la signification motivique ne pourrait être également exécutée que dans un environnement audiovisuel : où l’association entre signifiant et signifié peut être implicitement comprise. C’est l’une des raisons pour lesquelles le leitmotiv est devenu populaire dans les premières décennies des films parlants au cinéma. Et c’est pourquoi Williams est descendu jusqu’à un niveau de profondeur wagnérienne dans la partition de Star Wars pour fournir « des événements dramatiques avec une signification métaphysique » (comme mentionné par Adorno). Une signification métaphysique qui peut conférer aux personnages, aux relations et aux forces un poids émotionnel bien au-delà de la simple explication.

Apprendre de Wagner

Le motif de la Princesse Leia de Johgn Williams dans « Star Wars ».

Cet outil de composition dont Wagner a été le pionnier dans le Ring a été repris par Williams dans Star Wars. Les leitmotive des deux sagas sont utilisés pour combiner la musique avec l’aspect mythique. Où Wagner utilise la musique pour soutenir un héros naïf combattant les dieux et les dragons, Williams utilise la musique pour renforcer l’histoire d’un garçon innocent entraîné dans une aventure où il combattra un empire tyrannique et découvrira un pouvoir en lui-même. Bien que les paramètres des sagas ne puissent pas être plus éloignés, ils ont tous deux des liens avec le mythique. Wagner a été inspiré par les légendes nordiques, tandis que Lucas a été inspiré par le voyage du héros archétypal, de l’auteur Joseph Campbell.

Les motifs musicaux étaient présents dans des films précédant Star Wars, notamment dans les partitions de Steiner, Korngold, Waxman et de leurs successeurs – pourtant, comme les prédécesseurs de Wagner, ils n’avaient pas une diffusion systématique et un développement musical aussi riche, et en tant que tels, ressemblaient davantage à des motifs de réminiscence qu’à des leitmotive comme chez Williams et Wagner. Williams a poursuivi la tradition de composition néo-romantique et symphonique de ces compositeurs bien que cette tradition ait commencé à s’éteindre. Contrairement à ces compositeurs, Williams ne s’est pas limité à quelques thèmes de réminiscence pour un film, il a rompu avec la tradition – il y avait environ 9 leitmotive différents et récurrents lors de la sortie de Star Wars en 1977, et plus de 50 dans les huit principaux films de la Saga dont Williams composa la musique.

Williams incorpore des motifs dans la partition le cas échéant, mais contrairement à Wagner, la partition n’est pas construite à partir des motifs :

En utilisant les [leitmotivs] pour créer un sentiment de cohérence musicale à travers de vastes étendues dramatiques, des tonalités et des textures changeantes … [Wagner] a dû les intégrer dans des structures musicales plus vastes dans lesquelles ils sont apparus.

Wagner, en tant que compositeur et librettiste de la saga lyrique, s’est offert le luxe de proposer à la musique un rôle aussi important que le drame ; il a utilisé le terme “mélodie sans fin” pour décrire sa musique qui, contrairement à d’autres opéras, ne faisait pas de distinction entre le récitatif et l’aria. Pourtant, en raison de la nature du film, l’attention du public est principalement attirée par l’écran. Dans certaines scènes, la musique peut souligner une conversation, fournir une atmosphère, ou dans des scènes d’action, elle peut être utilisée pour ajouter de l’intensité et de l’excitation. Wagner pouvait écrire de la musique continue à travers les quatre opéras. De son côté, Williams a dû écrire une série d’indices pour les films; pourtant, dans ces repères, il développe les motifs, contrairement aux motifs de réminiscence de ses prédécesseurs.

Wagner a utilisé ses motifs comme élément constitutif de toute sa partition, alors que Williams, sous le commandement du réalisateur George Lucas, a dû fournir une série de repères musicaux séparés – ces repères pouvant contenir des motifs. Frank Lehman, un musicologue spécialisé dans les musiques de films, sur le sujet de la continuité musicale et motivationnelle dans les repères musicaux a écrit que : 

 » L’intégrité structurelle est compromise à chaque fois par les forces fortement désunifiantes du temp-tracking (musique temporaire), du cut, du tracking et de tous les autres caprices de la subordination éditoriale auxquels la musique de film est soumise. »

Le réalisateur a un impact important sur l’écriture d’un compositeur. Dans l’une des scènes les plus célèbres de Star Wars se trouve un exemple frappant du réalisateur modifiant la bande-son. L’utilisation du « thème de la Force » dans l’épisode du « Coucher des deux soleils » est l’un des moments les plus importants de la saga sur le plan musical. A l’origine, Williams n’insérait pas le motif dans cette scène – en fait, il n’en incluait aucun. Ainsi, l’atmosphère de la scène en est totalement modifiée (pour le meilleur, selon certains).

La nature mythique, présente dans les deux épopées, a pour conséquence la similitude des thèmes et des personnages. Aussi les motifs représentant les mêmes thèmes exposent une certaine ressemblance les uns avec les autres. Les motifs de l’héroïsme de Siegfried (figure 1) et de la Force (figure 2) sont comparables.

Figure 1 – motif héroïque de Siegfried (Richard Wagner)

Figure 1. Motif héroïque de Siegfried. Mesures 1-3 : Forme ascendante, peu de complexité rythmique, terminant sur la sixième donnant un sentiment de lutte (accord mineur de sous-dominante), intervalle de 9ème. Mesures suivantes 4-7 : intervalle plus étroit (6ème), pas de changements rythmiques supplémentaires, conclut sur une tierce mineure qui approfondit le sens de la lutte. Un motif ambitieux en raison de la phrase précédente, mais la phrase qui en découle n’évoque pas la mélancolie de la phrase musicale précédente.

Figure 2 – motif de La Force (John Williams)

Figure 2. Le motif de la Force. Mesures 1-4: Forme ascendante, beaucoup de variance rythmique, y compris les doubles-croches et les triolets, l’harmonie reste dans l’accord tonique à l’exception de la note finale (Fa) qui fait partie de la sous-dominante mineure de la gamme. Mesures 4-8: l’intervalle de 11ème s’étend sur une octave, après avoir progressé vers le haut de l’octave et un saut de sixième majeur, elle retourne au registre inférieur où elle colle en grande partie aux notes de l’accord tonique. Grand sentiment d’aspiration dû aux larges intervalles dans chacune des notes longues (croche pointée et double croche).

Bien qu’il s’agisse de motifs représentant l’héroïsme et l’espoir, Wagner et Williams les écrivent dans un mode mineur : ajoutant de la profondeur au-delà de l’audace et de la bravoure. Cette tonalité ajoute un sentiment de lutte – le voyage des héros ne sera pas facile, il y aura des obstacles à surmonter et des difficultés en cours de route. Les deux motifs prennent une forme antécédent-conséquent. L’introduction antécédente commence par le saut de la dominante vers la tonique, puis se poursuit vers le haut en terminant sur une note de l’accord de la sous-dominante. Après cela, la phrase qui suit revient dans le registre inférieur du début, concluant sur les notes de la tonique.

Malgré les similitudes musicales, les deux motifs acquièrent leur signification dramatique différemment. La signification du motif héroïque de Siegfried est établie lors de sa première audition – dans l’acte III de Die Walküre lorsque Siegfried est mentionné pour la première fois par Brünnhilde. Cette apparition du motif à côté de la première mention de ce nouveau personnage établit solidement leur lien. Brünnhilde dit à la mère de Siegfried, Sieglinde, « le plus noble héros du monde, femme, que tu portes à l’abri dans ton ventre » ; Siegfried et l’héroïsme sont instantanément attachés au motif.

Inversement, la signification du thème de la « Force » n’est pas si rapidement acquise. Le motif apparaît brièvement alors que la princesse Leia cache les plans de l’Etoile de la mort, et apparait avec majesté lorsque Luke regarde les soleils jumeaux se coucher – ces apparitions initiales relient le motif à l’espoir (Leia cache l’espoir de la rébellion dans R2-D2, tandis que Luke désire une existence plus significative loin de la ferme de sa tante et de son oncle). Initialement intitulé « Thème de Ben Kenobi », il revient à nouveau lorsque Kenobi apparaît pour la première fois, le liant également à lui. Kenobi amène ensuite Luke chez lui et lui parle de la Force. C’est un mot qui n’avait pas encore été prononcé dans le film, et Luke demande à son mentor ce que cela signifie. Parallèlement à l’explication, nous entendons la phrase antérieure du motif au cor d’harmonie. Ce motif est lié à trois significations différentes dès l’ouverture du film: l’espoir, Ben Kenobi et la Force. Ces trois significations se rapportent les unes aux autres: Ben, un Jedi familier de la Force, apporte de l’espoir à Luke quand il lui demande de le rejoindre dans son aventure.

Comme le prétend F.E. Kirby : « c’est dans leur récurrence que la signification des thèmes devient vraiment significative ». Comme de nombreux motifs à travers les différentes formes d’art, le sens est rarement acquis instantanément et se développe au fil du temps.

Irena Paulus s’est également intéressée aux idées du leitmotiv de «Williams versus Wagner», écrivant sur ce motif que :

« La fonction du thème de la Force va plus loin encore: elle s’étend, du rôle de représentation d’un seul personnage à des significations moins importantes comme celles liées à l’action (la bataille finale dans A New Hope) et au présage (annonçant la défaite des rebelles dans L’Empire contre attaque), et assume un grand rôle comme l’expression de la transformation et de l’éveil de nouveaux pouvoirs mentaux dans le personnage principal, et à la fin est assimilé à des concepts beaucoup plus grands tels que le destin, Dieu et le pouvoir surnaturel. »

Contrairement à son prédécesseur de l’ère romantique, les leitmotive de Williams acquièrent souvent de multiples associations. La relation entre l’écran et la partition permet une association plus directe et instantanée car la caméra indique au public où regarder, ce point focal est généralement le signifié du leitmotiv. De tels motifs peuvent se lier à plusieurs événements à l’écran avant d’acquérir une véritable signification. Alors que dans Wagner, dont les motifs font eux-mêmes partie du récit, il peut y avoir plus de contrôle sur l’association car il a la liberté de marquer des moments importants de l’histoire dans lesquels un motif peut jouer un rôle significatif. Wagner est le conteur de tout le cycle lyrique et peut formater ses opéras de manière à servir au mieux la musique, tandis que Williams doit composer avec une histoire qui a déjà été écrite par un autre.

Les différences entre les médias conduisent à des différences dans l’utilisation des motifs. Le texte lyrique sous lequel se trouvent les motifs peut permettre de saisir rapidement l’association d’un leitmotiv – comme dans le cas du thème de Siegfried dans le discours de Brünnhilde à Sieglinde ; D’ailleurs, Wagner peut laisser tomber complètement le sens textuel, par exemple lorsque les Walkyries chantent « Hojotoho » (Die Walküre, acte III, scène 1), ici le motif est lié aux personnages qui le chantent – car les mots ne peuvent pas diriger le sens de la musique. Cependant, pour le film, la musique n’est pas aussi impliquée dans le récit. Les motifs peuvent s’attacher à tout ce qui est sur l’écran, l’association (au début) est très vague. Cette relation cinématographique permet à l’écran de récupérer indistinctement un sens provenant de la musique. Le vrai sens n’est attribué à quelque chose de précis qu’après plusieurs répétitions d’un motif.

Le temps est un facteur encore plus important créant des différences dans les motifs des deux œuvres: Wagner a mis 21 ans pour penser et écrire son épopée, tandis que Williams avait moins d’un an et devait céder aux exigences du réalisateur, George Lucas. À l’opéra, la musique dure aussi longtemps que le compositeur le souhaite. Au cinéma, elle peut être enlevée au gré du réalisateur ou du monteur sonore. En l’espace d’un film de deux heures, Williams a revitalisé la tradition leitmotivique dans les musiques de films. Il a imité la tradition wagnérienne autant que possible dans le milieu cinématographique. Mais ce n’est qu’au fur et à mesure que la saga progressait que le langage du leitmotiv put rivaliser avec celui du Ring.

CHAPITRE II
SIGNIFICATION MUSICALE

Le chapitre précédent a établi comment Wagner a utilisé le leitmotiv dans le Ring et l’influence que cela a exercé sur Williams un siècle plus tard. Ce chapitre examinera comment Williams poursuivit la tradition et comment il représente musicalement les personnages à travers ses leitmotive. Comment les caractéristiques intrinsèques d’un motif (rythme, harmonie, mélodie) contribuent-elles à une représentation efficace d’un signifié ? Une famille de motifs imaginés par Williams sera analysée, notamment : «Thème de la princesse Leia», «Han Solo et la Princesse», «A travers les étoiles (Thème d’amour)» et «Luke et Leia».

Comme évoqué précédemment dans le chapitre I, une dichotomie existe dans les fonctions du leitmotiv ; il y a deux fonctions : une première fonction poétique/dramatique et une seconde fonction musicale. Ce chapitre se concentrera sur la fonction musicale d’un leitmotiv, une fonction qui est autonome dans la musique et ne dépend pas de son jumelage avec un homologue à l’écran, mais acquiert encore du sens à travers des leitmotive inter-référentiels et l’utilisation de tropes musicaux existants, qui ont eux-mêmes leurs propres connotations intrinsèques.

Motif de la princesse Leia

Comme dans le cas de Brünnhilde avant elle, le motif de la princesse Leia (figure 3) présente un intervalle de sixième ascendant: qui exprime le désir. C’est ce sentiment de désir qui revient tout au long du thème qui fournit une ambiance romantique. Cette sixième majeur ascendant est l’idée musicale centrale du thème – ce que Bribitzer-Stull appellerait un Urmotiv (motif fondateur). Il n’y a pas de règle ou de formule implicite pour trouver l’Urmotiv d’un thème ; en tant que tel, l’analyste doit utiliser son jugement musical pour déterminer la caractéristique clé d’un motif. La sixième majeur, dans le cas du «Thème de la princesse Leia», est l’ouverture du motif, et donc l’un des aspects les plus courants du thème lorsqu’il apparaît par la suite fragmenté ou qu’il évolue au fil des partitions des films suivants.

Figure 3 – «Thème de la princesse Leia» (John Williams)

Figure 3. «Thème de la princesse Leia». Les mesures 1-2 sont les signifiants les plus courants pour Leia ; la figure entière montre le thème entier, mais ces deux mesures sont son motif. Les phrases suivantes, essentiellement, imitent le motif d’ouverture, toutes présentent un saut ascendant, suivi de brèves doubles-croches ornementales. La sixième majeur est mise en évidence dans les deux premiers groupes de notes encerclés, le troisième groupe que j’ai encerclé met en évidence un saut d’octave – une extension du désir évoqué dans l’intervalle de sixième, créant un plus grand sentiment de désir.

Une question importante à poser par rapport à n’importe quel thème est la suivante : comment la musique dépeint-elle le personnage ? L’intervalle de sixième évoquant le désir susmentionné crée un sentiment de nostalgie et de romantisme – Williams utilise fréquemment cet intervalle dans ses thèmes d’amour (par exemple «Thème de Marion et Indy» dans Les aventuriers de l’Arche perdue en 1981). Cet Urmotiv est répété dans le thème, et à un moment donné est étiré à une octave créant un sentiment de désir encore plus important. Une autre caractéristique du motif Leia est la tierce mineure descendante et ornementale. Il est généralement  basé sur le modèle d’un motif rythmique d’une croche suivie de deux doubles-croches, puis se stabilise sur une note plus longue (blanche ou noire). Cette descente décorative est ornementale, elle est somptueuse et majestueuse (et ne prend pas la forme d’une appogiature ou d’un mordant).

Harmoniquement parlant, une pédale tonique est présente dans les quatre premières mesures. Cette note de basse répétée ancre le motif, procurant un sentiment de stabilité. Plus loin dans le thème, un bref moment de modulation mettant en vedette la sus-tonique phrygienne (accord bII), ce changement ajoute une touche de sensualité et d’exotisme au thème de l’amour. Tom Schneller a étudié dans un article pour le Journal of Film Music l’emprunt d’accords à d’autres modes et la fonction émotionnelle qui en résulte ainsi que la résonance sémantique. Schneller a constaté que la sus-tonique à demie diminuée et la sus-tonique phrygienne étaient souvent des signifiants de la romance ou de l’exotisme (dans le cas de Star Wars, ces accords se reproduisent dans des motifs liés à Leia ou à la romance). Le thème se termine par une cadence imparfaite : accords IV – V. L’accord mineur sous-dominant dans la cadence ajoute un sentiment de résolution incomplète et réticente. Cela permet une répétition immédiate du thème (lui permettant de se terminer correctement cette fois) si Williams (ou le réalisateur) le juge nécessaire.

En termes d’instrumentation, le leitmotiv apparaît d’abord au cor d’harmonie en solo sur des cordes scintillantes, puis à la flûte ou au hautbois. Le cor d’harmonie solo dans cette brève apparition introductive semble mélancolique et effrayant. Et, le plus souvent, le hautbois et la flûte donnent au thème une qualité naïve et innocente.

La fonction musicale seule du motif donne déjà à l’auditeur beaucoup d’informations sur ce qu’il représente. Les mots utilisés pour décrire les aspects du motif jusqu’à présent ont été : envie, romantique, somptueux, majestueux, stabilité, sensuel, naïf et innocent. Tout ce qui précède pourrait décrire la princesse. Le motif de Leia à lui seul a donné un aperçu de son personnage, sans évoquer sa représentation à l’écran.

Relations leitmotiviques

Le thème de la Princesse Leia (introduit dans Star Wars en 1977) partage son Urmotiv avec le thème de « Han and Leia » (présenté trois ans plus tard dans L’Empire contre attaque). La sixième ascendante apparaît dans l’ouverture de ce thème (figure 4), de la même manière que son prédécesseur dans le précédent film.

Figure 4 – « Thème de Han et Leia » (John Williams)

Figure 4. « Thème de Han et Leia ». L’intervalle de sixième ascendant apparaît deux fois (encerclé) dans le thème : dans l’antécédent mesures. 1-2 c’est une sixième majeur, et dans les mesures qui en résultent 3-4, c’est une sixième mineure. Cet Urmotiv mineur ajoute une contrainte de sens à la phrase. Comme le « Thème de la princesse Leia », la note atteinte après la sixième ascendante est ensuite ornementale et se résout sur la note en-dessous, c’est-à-dire saute du fa et se résout en mi bémol et saute ensuite vers mi double-bémol (le supertonique phrygien), se résout sur le ré bémol tonique via l’appoggiature en do.

En plus de contenir le même Urmotiv que le « Thème de la princesse Leia », les deux motifs ont des similitudes harmoniques. Le thème de « Han and Leia » contient des apparitions plus fréquentes des sus-toniques susmentionnées, manifestement romantiques, phrygiens et à demies diminués. Dans ce motif, les accords apparaissent plus fréquemment, renforçant la qualité passionnée du thème – car il s’agit plus d’un thème d’amour explicite entre les deux, alors que le propre thème de Leia n’évoque que le personnage lui-même.

Les aspects mélodiques contrastés des deux thèmes incluent la sixième mineure dans la phrase qui en résulte; cet intervalle ajoute un sentiment d’angoisse à la romance. Dans le « Thème de Leia », une tierce mineure descendante ornementale se produit, tandis que dans le « Thème de Han et Leia », il y a un mouvement de croche qui monte d’un ton, puis saute d’une tierce mineure. L’approche de la tierce mineure diffère entre les motifs. Le saut vers le haut procure presque un sentiment de tristesse, mais il se résorbe ensuite vers le bas (un quatrième accord parfait dans l’antécédent et une cinquième diminuée dans le conséquent). Les deux motifs se résolvent de manière similaire, mais les moyens par lesquels ils se résolvent diffèrent. La tierce mineure de Han et Leia monte vers le haut – donnant un aperçu du personnage de Han : un contrebandier courageux et prenant des risques. Ensuite, le saut se résorbe vers le bas, donnant un nouveau sentiment d’immobilité et de calme au personnage, alors qu’il tombe amoureux de la princesse. La note de résolution (comme dans « Thème de la princesse Leia ») est d’un ton éloigné de la note initialement sautée dans l’Urmotiv d’ouverture.

Cet Urmotiv commun aux deux thèmes évoqués précédemment apparaît également dans un autre thème: « Across the Stars », que Williams a écrit pour Attack of the Clones (2002). Cependant, pour ce motif particulier, tous les sauts de sixième sont désormais en mineure (figure 5). A cause de cela, le thème de l’amour semble sombre et tragique. C’est aussi le premier de cette famille de thèmes à être écrit dans le mode mineur, soulignant davantage le danger produit par cette romance : les relations amoureuses sont interdites pour le Jedi Anakin, mais il tombe néanmoins amoureux de Padmé.

Figure 5 – « Across the Stars » (Thème d’amour entre Anakin et Padmé) (John Williams)

Figure 5. « Across the Stars »  (Thème d’amour entre Anakin et Padmé). Augmentation d’un intervalle de sixième mineure mis en évidence par le cercle – un son plus douloureux que les sixièmes majeures des motifs précédents. Des descentes et montées de trois croches en mineur se reproduisent. Antécédent mesures. 1-5: Contour descendant, contraint dans la gamme de l’intervalle de sixième (avec une note auxiliaire s’élevant au-dessus créant une septième) – humeur morose. Mesures consécutives 5-9 : Contour ascendant, avec une gamme d’octave – remplie d’espoir.

Les amants étoilés, représentés dans ce motif, ont deux enfants: Luke et Leia. Leia est musicalement représenté à travers les aspects mélodiques de ce thème (sixième bondissante, croches en tierce mineure), et aussi brièvement caractérisée harmoniquement à travers une sus-tonique à demie diminué évoquant l’optimisme; tandis que Luc est représenté rythmiquement. Le rythme de « Across the Stars » est quelque peu similaire au rythme du thème principal de Star Wars (ou du thème de Luke). Ceci est illustré à la figure 4.

Les amants étoilés, représentés dans ce motif, ont deux enfants : Luke et Leia. Leia est musicalement représenté à travers les aspects mélodiques de ce thème (sixième bondissant, quaver runs d’un tiers mineur), et aussi brièvement signifié harmoniquement à travers un sus-tonique à moitié diminué dans l’optimiste; tandis que Luc est représenté rythmiquement. Le rythme de « Across the Stars » est quelque peu similaire au rythme du thème principal de Star Wars (ou du thème de Luke). Ceci est illustré à la figure 6.

Figure 6 – « Across the Stars » (Thème d’amour entre Anakin et Padmé) (John Williams)

Figure 6. Comparaison rythmique de « Across the Stars » (maintenant en 3/4) avec le « Thème principal ». Les sections encerclées sont identiques sur le plan rythmique ainsi que le contour mélodique. Les sauts de « Across the Stars » sont plus restreints que ceux du « Thème principal », ce qui équivaut au danger et à la tristesse dans le thème de l’amour par opposition à l’espoir et à l’aventure du « Thème principal ».

Enfin, le thème tendre et sérieux de « Luke et Leia » (figure 7). Bien que ce thème ne contient pas l’Urmotiv des thèmes étudiés précédemment, il se rapporte (comme dans « Across the Stars ») au thème de Luke (vu dans la figure 6). Harmoniquement, le motif alterne fréquemment entre la tonique et la sus-tonique phrygienne sur une pédale tonique. La mélodie est régulière et diatonique, avec des figures montantes de quasi-arpèges et des descentes pas à pas. Ces caractéristiques correspondent à une ambiance chaleureuse et réconfortante. Les sentiments véhiculés dans la musique ne sont pas différents de ceux qu’éprouvent les jumeaux eux-mêmes. Bien qu’il contienne des éléments similaires aux autres thèmes de cette famille motivique, ce leitmotiv manque de gravité et de passion, peut-être en raison de son manque de répétition. « Le thème de Luke et Leia » n’est pas répété autant que les autres motifs que le spectateur a eu le temps de découvrir et de voir progresser, car ce thème n’apparaît que vers la fin de Return of the Jedi (1983), et a rarement été utilisé par la suite.

Figure 7 – « Thème de Luke et Leia » (John Williams)

Figure 7. « Thème de Luke et Leia ». L’ouverture de deux mesures (antécédentes) se partage le contour des 5 premières notes du «thème principal». La gamme mélodique reste dans ces notes, se reposant sur la médiante (à l’inverse du «thème principal» qui saute vaillamment jusqu’à la tonique). Ce point de repos confère à la mélodie un calme paisible soutenu par un tempo modéré. Conséquence Mesures 3-5: très semblable à l’antécédent, même contour d’ouverture, mêmes notes finales, rythmes légèrement variés et mouvement de pas à pas. On note la stabilité harmonique de la sus-tonique phrygienne par rapport à une pédale tonique identique dans «thème de Princess Leia», mais dans ce thème, la pédale tonique était tenue sous une sus-tonique à demie diminuée.

Figure 8 – « Thème principal », extrait des mesures d’ouverture (John Williams)

Figure 8. « Thème principal », extrait des mesures d’ouverture. La répétition des notes en triolets a été compressée dans le temps d’une noire. Le contour des notes encerclées est répété dans des tonalités différentes dans le «Thème de Luke et Leia». Motif ascendant de dominante tonique-dominante, suivie d’une descente pas à pas en passant de la sous-dominante à la médiante. Dans le «thème principal» qui suit ces notes, la mélodie passe d’une septième mineure à une tonique plus élevée.

Ces quatre leitmotive et l’extension de leurs thèmes sont tous liés les uns aux autres. Williams les relie d’une manière identique à ce que Wagner a réalisé avec beaucoup de ses motifs (par exemple, dans Das Rheingold comme évoqué au chapitre 1). De plus, pour Wagner, les préoccupations thématiques pouvaient l’emporter sur les préoccupations textuelles (car Wagner était à la fois compositeur et librettiste). Malgré un sentiment de contrôle moindre chez Williams (par rapport à Wagner), il est capable de rivaliser avec Wagner sur la façon dont la musique fournit un support pour le récit, ou même raconte l’histoire à sa manière (malgré les limites du cinéma par rapport à l’opéra).

Plus qu’un simple panneau indicateur 

Les exemples présentés ci-dessus montrent à quel point les leitmotive sont bien plus qu’un fragment musical indiquant au public un personnage, une émotion ou une idée. L’intégration d’aspects musicaux, qui peuvent eux-mêmes exprimer la nature d’un personnage, remet en cause la notion selon laquelle une série de notes ne rappelle au public que quelque chose dans le récit; il y a beaucoup plus de porosité. La fonction musicale d’un leitmotiv est plus ambiguë que la fonction poétique/ dramatique; telle est la nature de la musique. La musique ne peut jamais être aussi transparente que l’imagerie visuelle à moins d’être accompagnée d’un texte explicatif. Mais, alors que la musique orchestrale n’a pas la transparence visuelle du cinéma, elle a la capacité d’exprimer une richesse d’émotions et de sentiments. Si l’écran de cinéma raconte l’histoire, la musique aide le public à ressentir l’histoire.

La musique a acquis un nouveau sens au fil du temps. Des astuces et des tropes ont été créés et appris à travers les compositions des siècles passés. Tout en évoquant les connotations et les dénotations des leitmotive de Wagner, Ruth Hacohen et Naphtali Wagner ont écrit : « Il convient de souligner que le développement de schémas et de conventions a été motivé, depuis la montée de l’opéra, par une aspiration à élaborer et à intensifier l’expressivité de la musique ». Ainsi, la musique écrite récemment a une capacité d’expression qu’une musique composée il y a des centaines d’années n’a pas la possibilité de faire ressentir. Des traditions se sont formées, des méthodes d’expression ont été élaborées et une association de certains aspects musicaux avec des objets, des lieux et des personnes du monde réel a été créée. L’une des raisons pour lesquelles une pièce comme la « Marche impériale » fonctionne est due au fait que les auditeurs comprennent ce qui la rend militariste – un rythme strict, des cuivres lourds et un ostinato rythmique. Williams s’appuyant sur ces tropes musicaux dans ses leitmotive les aide à transmettre leur signifié. L’héritage de ces associations musicales permet à l’identité thématique de naître à partir des constructions mentales idéalisées de l’auditeur, elles-mêmes créées à partir de la somme de toutes les expériences d’écoute précédentes. (…)

Par conséquent, la musique de Williams ne fonctionne pas toujours parallèlement à ce qu’il y a à l’écran. En le ramenant à Wagner (dont les leitmotive forment la base de toute l’histoire du Ring, et pas seulement un ajout émotionnel au récit), Scott D. Paulin a écrit: « en se liant très étroitement à l’image, la musique devient un complément invisible qui renforce un message déjà explicite mais n’ajoute rien d’unique dans sa propre voix ». La différence entre la musique et le film et la signification innée du motif crée une expérience narrative unique pour le film : une création qui, comme le dit Paulin : « peut en effet être considérée comme plus wagnérienne que tout ce que Wagner aurait pu concevoir ».

La profondeur de la signification musicale d’un motif en fait plus qu’un insupportable panneau musical marquant un personnage ou un sentiment. L’intra-référentialité entre les motifs crée un langage musical unique pour le film. Chaque motif est soigneusement composé afin de représenter au mieux ce qu’il représente. Williams a conçu de multiples leitmotive qui se renforcent mutuellement lorsqu’ils sont joués sans les images, et ajoutent également une atmosphère, un poids émotionnel et un support narratif. Une fois le motif composé, la tâche suivante consiste à lui donner un sens par rapport au film et à l’adapter à chaque scène dans laquelle il doit apparaître.

CHAPITRE III
SIGNIFICATION VISUELLE ET DÉVELOPPEMENT ASSOCIATIF

Le chapitre I nous a présenté « Le thème de la force », où il a été brièvement comparé au motif héroïque de Siegfried et on a étudié le développement initial des deux motifs. Le chapitre II a montré comment les motifs de Williams ont leur propre signification musicale innée lorsqu’ils sont détachés de l’écran, grâce à l’utilisation de tropes musicaux, d’harmonies et de familles de leitmotive interdépendants. Ce chapitre se concentrera sur la façon dont le sens et le motif se développent par la suite au cours des films A New Hope, The Empire Strikes Back et Return of the Jedi, à travers le thème « le thème de la force ». Cet examen visera à prouver comment la musique et les leitmotive de Williams tout au long de la saga aident au processus de narration ; soutenant ainsi la déclaration de Lucas dans l’introduction : « Les films Star Wars sont essentiellement des films muets ». Cela prouvera également que les leitmotive ne sont pas des éléments superflus de la musique, et que la partition de style romantique de Williams se compare favorablement à celle du Ring en terme de transmission d’un récit musical.

Pré-association

En plus de représenter les choses physiquement, les leitmotive peuvent également signifier des sentiments ou des concepts non corporels. Le motif qui revient le plus souvent dans tous les films de Star Wars est « le thème de la Force ». Ce motif commence comme une apparente représentation musicale de Ben Kenobi, mais devient rapidement un signifiant représentant un mode de vie et un passé que Ben représente : la Force. Ben décrit la Force comme : «Un champ d’énergie créé par tous les êtres vivants. Il nous entoure, nous pénètre et lie la galaxie ensemble ». En tant que tel, ce n’est pas quelque chose de physique ou visible dans le film, il ne peut être présenté que par la musique ou à travers les paroles.

Lawrence Kramer évoque ainsi la nature des signes musicaux, écrivant que « le signe doit être capable de survivre aux circonstances périssables dans lesquelles il est produit ». « Le thème de la Force » en est un exemple, transcendant ses trois premières apparitions dans le film jusqu’à ce que sa signification soit pleinement établie lorsque Ben évoque la nature de la Force avec Luke.

Les théories de Kramer sur les signes musicaux font écho aux idées de Bribitzer-Stull sur les leitmotive. Bribitzer-Stull aborde ces « circonstances périssable s» d’une manière différente. Il note qu’avant que la signification d’un motif ne soit pleinement établie, il existe le pressentiment (Wagner l’a également reconnu dans Opéra et Drama, appelant cela « Ahnung »). C’est un moment où l’auditeur entend le motif pour ce qu’il est musicalement, mais pas en termes associatifs. Ces instances pré-associatives amorcent le fonctionnement de la mémoire et des émotions de l’auditeur à l’égard du thème musical, de sorte que lorsque l’association narrative est établie sans en douter par la signification visuelle, la véritable signification du motif devient claire. Le pressentiment donne à l’auditeur des indices sur l’association émotionnelle du motif. Après le pressentiment, ces émotions préparées peuvent être associées au leitmotiv et à sa signification. Après avoir établi la relation entre signifiant et signifié, les deux peuvent alors se développer ensemble.

De la même façon que la signification associative d’un motif est nécessaire pour développer et gagner sa signification au fil du temps, la déclaration musicale complète (ce que Bribitzer-Stull l’appelle une « déclaration thématique prototypique ») peut (c’est le cas dans « Le thème de la Force ») émerger tardivement dans la matière musicale et peut souvent ne pas apparaître dans sa totalité lors de la première apparition du motif. Le prototype «le thème de la Force» est joué la deuxième fois que le motif est entendu (« Coucher des soleils jumeaux ») et sa véritable signification n’est obtenue qu’à la quatrième apparition du thème (lorsque Kenobi mentionne pour la première fois la Force). Après l’énoncé prototypique, les apparitions suivantes du leitmotiv affichent rarement tous le même aspect musical du prototype : instrumentation, clé, rythme, harmonie. Bribitzer-Stull note plusieurs méthodes dans lesquelles les thèmes mutent et se développent à travers le Ring : changement modal, modification harmonique, thème abrégé, fragmentation thématique, changement de texture orchestrale. Dans le cas du « thème de la Force », tout ce qui précède (à l’exception du changement modal) se déroule dans A New Hope. Sur les 18 fois où le thème est entendu tout au long du film (le plus grand nombre d’occurrences parmi les motifs), seulement 8 exemples sont dans l’instrumentation prototypique, c’est-à-dire au cor d’harmonie solo; et seulement à trois reprises le motif apparaît dans la tonalité prototypique de sol mineur. Williams utilise son leitmotiv avec soin, modifiant la longueur des déclarations, de l’instrumentation, de l’harmonisation et de la texture pour s’adapter à l’atmosphère musicale et aux situations narratives d’une scène.

James Buhler a également remarqué que le prototype du « thème de la Force » apparaissait avant que le public puisse réellement savoir ce qu’il est censé représenter. Buhler écrit : « Des moments comme celui-ci [Coucher des soleils jumeaux] où la musique ne semble pas entièrement liée à sa fonction sémiotique sont ce qui donne à la musique son caractère mythique. La musique semble inspirer des connexions qui dépassent la compréhension rationnelle immédiate. »

Ce signal musical fait plus que créer une ambiance autour du héros regardant avec mélancolie se coucher les soleils jumeaux. Le thème établit le cadre mythique et fantastique du film. Kramer, Wagner, Bribitzer-Stull et Buhler reconnaissent tous la signification de l’apparence d’un motif avant qu’il ne gagne du sens : la période du pressentiment (ou Ahnung). Mais même après l’établissement de la relation entre signifiant et signifié, ce thème reste important et mérite une étude plus approfondie. Ce signifiant engendre le concept et les sentiments associés au signifié. Dans tous les films, le seul concept qui relie l’histoire et l’univers fantastique n’est représenté qu’à travers ce thème spécifique.

Développement du motif et du sens

La signification d’un motif augmente à chaque fois qu’il est entendu. Lors des auditions successives, l’auditeur attentif se souvient des itérations précédentes du motif, se rappelant quand et comment il a été joué et comment sa signification s’est construite. Kramer appelle ce processus une pression sémiotique réciproque. Cette idée de l’extension continue du sens a été évoquée dans le chapitre I lors de la présentation du « thème de la Force » (il représentait l’espoir et le personnage de Ben Kenobi avant d’être finalement lié à la Force lors de sa quatrième apparition).

Le motif intervient lors d’épisodes héroïques, mystiques et à de nombreuses étapes du voyage du héros de Joseph Campbell. La pression sémiotique réciproque rappelle à l’auditeur qui est (et était) le héros, le monde dans lequel il s’est aventuré et les changements qui se sont opérés en lui. Au cours de ce voyage, le motif varie pour s’adapter aux images à l’écran. Un exemple remarquable de cela est lorsque le motif est tronqué au moment de la mort de Ben Kenobi. Le motif est raccourci comme la vie de la personne qu’il représentait à l’origine. Après ce thème raccourci , Williams a composé l’évocation la plus émouvante du  « Thème de Leia »  entendue jusqu’ici dans A New Hope. Les cordes romantiques et somptueuses jouant ce thème ne signifient pas qu’il s’agit de la princesse elle-même. Dans ce cas, la musique est réellement traitée comme de la musique : l’ampleur émotionnelle du thème l’emporte sur toute nature symbolique qu’il pouvait avoir précédemment. Après l’évasion des héros, Luke peut pleurer son mentor perdu. À ce stade, « le thème de la Force » est utilisé pour refléter le sentiment de perte de Luke, il est alors joué sombrement au hautbois et à la flûte, puis au cor solo avec des cordes en écho.

L’une des dernières apparitions du motif se produit de manière grandiose dans les cordes, car Obi-Wan déchu communie avec Luke à travers la Force – la seule fois où le motif apparaît aux cordes solo –  et elles jouent fortissimo réparties sur trois octaves. Ce changement et cette instrumentation opulente du thème marquent l’occasion de découvrir le pouvoir mystique de la Force. Différents aspects de la Force avaient été vus auparavant, mais dans ces cas- là, le public (et Luke) découvraient de quoi il s’agissait. Ce n’était pas familier. Alors que maintenant nous savons combien la Force est importante et puissante (dans cette scène, elle transcende la barrière entre les vivants et les morts). Ce moment d’importance est marqué sur le plan narratif mais aussi musical.

La dernière fois que le motif apparaît (« La salle du trône »), il est transformé en une marche majestueuse des cuivres alors que les héros reçoivent des médailles pour leurs exploits de bravoure. Pour la première fois depuis «le coucher des soleils jumeaux», le thème comporte les quatre phrases musicales. Ces nouveaux développements musicaux et une présentation plus longue évoquent le changement du protagoniste et son importance. Un personnage plus fort et plus savant suppose une présentation plus longue et empreinte de courage pour ce motif associé au nouveau monde mystique dans lequel les personnages pénètrent. Ces apparitions finales et les changements dramatiques du motif montrent au public jusqu’où Luke, le héros, a parcouru son voyage. Le motif est passé d’un cor solitaire sur un tapis de cordes aux trémolos nerveux à une marche audacieuse et brillante par des cuivres sous les coups des archets des cordes.

Ce motif est traité assez différemment dans le film suivant, L’Empire contre-attaque. Il ne domine pas musicalement comme dans le film précédent (il n’y est joué que seulement 11 fois). Lors de la composition de The Empire Strikes Back, Williams pouvait peindre sur une toile plus. Il avait établi des motifs importants et une certaine représentation musicale de l’univers trois ans auparavant. Maintenant, il pouvait utiliser ces thèmes plus anciens, ainsi que de plus récents écrits pour représenter de nouveaux personnages, relations ou lieux.

Les thèmes « Luke », de la « Marche Impériale », « Han and Leia » et le thème de « Yoda » apparaissent tous plus fréquemment que « le thème de la Force ». Le personnage de Yoda, ainsi que la vie qu’il représente, présentent des similitudes avec Ben Kenobi dans A New Hope, en conséquence «Thème de Yoda» a repris une partie de l’association narrative qu’avait auparavant «le thème de la Force». Malgré cela, le thème de la Force» continue d’apparaître, mais sous de nouvelles façons. Comme Luke a mûri dans la période entre les deux films, il en est de même de sa connaissance du pouvoir. Alors que dans le film précédent, une longue présentation de 4 phrases n’est apparue qu’une seule fois, dans The Empire Strikes Back, ces déclarations plus longues se produisent plus fréquemment, ce qui signifie que l’influence du personnage augmente. De plus, « Le thème de la Force»  est plus souvent employé pour signifier la Force elle-même, par opposition à l’héroïsme ou à l’espérance de Luke. Huit déclarations du thème se produisent parallèlement à une présentation ou une évocation de cette ancienne aptitude à la Force.

Dans « Le retour des Jedi », on note une légère régression dans la mise en œuvre de ce motif, en termes de longueur de phrase. Seuls deux fois le motif apparaît dans sa version longue, sur les 17 fois au total où le motif apparaît. Cela se produit généralement pendant la démonstration de la Force. Surtout, il apparaît aux côtés de Vador, en deux phrases rapides des cuivres alors qu’il tue l’empereur afin de sauver son fils (le motif n’avait jamais été associé à Vador auparavant). Par la suite, le motif retentit au cor élégiaque et aux cordes romantiques alors que Luke brûle les restes de son père racheté, revenant à la clé et à l’instrumentation prototypiques grandioses – complétant ainsi le voyage du héros. Ce qui à l’origine était souvent lié au héros et à son voyage, devient fortement lié à la Force, et dans les scènes finales, est lié au père du héros, qui a finalement obtenu son absolution.

« Le thème de la Force » a évolué pour s’adapter au récit. Son sens a changé avec l’histoire, et à la suite d’une analyse rétrospective, il peut être considéré comme reflétant la ligne thématique de la trilogie originale. En plus du développement de ce leitmotiv, il est également utilisé pour fournir une ambiance et une atmosphère à chaque scène dans laquelle il apparaît. (…)

Le leitmotiv selon Williams :

« Le thème de la Force » gagne et développe du sens à partir de son association à différents contextes dramatiques. La relation entre le motif et la Force est d’abord symbolique – au sens sémiotique. Le motif lui-même n’a aucun rapport inné avec la Force. Au fur et à mesure que le récit progresse, les auditeurs découvrent que le motif est représentatif à la fois du voyage du héros et de la Force elle-même. La musique elle-même peut transmettre différentes atmosphères et des sentiments dans différentes situations musicales et narratives, conduisant à son déploiement dans une multitude de scènes. Au fur et à mesure de ses nombreuses répétitions, il devient iconographique («les signes iconiques ressemblent à leur objet»). Le motif est si représentatif de cette composante impérative de la saga que le signifiant et le signifié deviennent inextricablement liés.

Cela ne se produit pas seulement dans le cas du « thème de la Force». Pour les autres leitmotive, le signifiant peut engendrer le signifié. Un exemple typique est la «Marche impériale» qui, lorsqu’elle est entendue en dehors de son contexte filmique, rappelle immédiatement des souvenirs de Dark Vador. Le succès des films et la popularité de la partition de Williams ont mené cette association hors du contexte cinématographique. De même pour Wagner, certains motifs du  Ring sont devenus populaires en dehors de l’opéra original, comme la Chevauchée des Walkyries ou le Feu magique de Die Walküre, l’Entrée des dieux au Walhalla de Das Rheingold, et la Marche funèbre de Siegfried du Götterdämmerung. Les thèmes des deux compositeurs sont fréquemment joués dans des salles de concert sans le film ou l’opéra. Les compositeurs et nombre de leurs motifs sont restés populaires bien après leur écriture. Le « thème de la force » de Williams résume la musique et son association narrative dans le cas de tous les films Star Wars. Dans le cas de Wagner, la même chose ne peut pas être affirmée de manière aussi claire – aucun motif n’est aussi dominant ou proéminent, pas même le motif de l’Anneau lui-même, qui forme le nœud thématique de toute l’épopée lyrique.

L’utilisation du leitmotiv par Williams comme moyen de signification a bien fonctionné pour la narration du film. Mais cela a également conduit à ce que ses motifs deviennent si proches de leur signifié qu’il est difficile de les séparer. Oui, c’est aussi le cas avec Wagner, mais pour Williams, ce fut un processus plus difficile car sa musique n’est pas au premier plan dans l’esprit du public lorsqu’il regarde un film, alors que l’opéra est empreint de musique. En plus de revitaliser la tradition musicale romantique et leitmotivique pour l’écran, Williams a fait de la musique une matière qu’il a incorporée comme une partie indispensable de l’histoire.

CONCLUSION

Le leitmotiv a deux fonctions: musicale et dramatique. Comme cela a été démontré, Williams a suivi la tendance de Wagner à relier musicalement les leitmotive; les deux compositeurs ont créé des familles de motifs liés par de subtils détails musicaux. Le point où ils différent dans l’exécution est d’établir la fonction dramatique du motif. Dans le Ring, la musique est intimement liée au récit. Les personnages peuvent chanter leurs thèmes musicaux, les unissant ainsi distinctement avec leur leitmotiv individuel, alors que dans Star Wars, une telle unification musico-narrative n’existe pas. Williams est tenu de développer ses motifs à côté de l’intrigue qui se déroule. Dans l’opéra, la musique est le récit. Au cinéma, la musique est un partenaire équivalent au récit. Par conséquent, lorsque Lucas a comparé Star Wars à des films muets, il ne s’est pas trompé; la musique peut en effet exprimer l’histoire à l’écran. Il faut savoir que le DVD de The Last Jedi contient une fonctionnalité dans laquelle le film peut être visionné uniquement avec la musique – de cette façon, la bande-son de Williams peut raconter toute l’histoire avec uniquement des images visuelles.

La musique est une pièce essentielle de ce Gesamtkunstwerk cinématographique (Star Wars correspond au Ring en termes d’échelle, de profondeur musicale et de réalisation artistique: Gesamtkunstwerk est donc un titre approprié). Il y a une  telle unité entre la partition et l’écran, qu’il est difficile de séparer les deux. On peut à peine imaginer le texte d’ouverture sans la marche héroïque aux cuivres, en si bémol; ou Luke regardant les soleils jumeaux sans le thème mélancolique de la  «Force» joué au cor solo; ou la séparation de Han et Leia sans leur thème d’amour aux cuivres et aux vents, tandis que Leia dit «Je t’aime» et Han répond «Je sais». Le leitmotiv est tout sauf superflu.

Les critiques sur le leitmotiv dans les musiques de films tendent à condamner son utilisation comme «carte de visite», ou le fait que la portée du film n’est pas assez grande pour susciter l’utilisation du leitmotiv par rapport à la grandeur des opéras wagnériens. Des critiques comme Adorno ont une vision restreinte de l’institution musico-cinématographique. Ces critiques ont été exprimées bien avant la renaissance du leitmotiv et de la partition romantique de Williams. Le cinéma s’est développé depuis lors. Les films sont désormais potentiellement capables de correspondre à l’idéal wagnérien. Comme indiqué précédemment: « le film peut en effet être considéré comme plus wagnérien que tout ce que Wagner aurait pu concevoir ». Certes, si un film doit s’approcher du Gesamtkunstwerk wagnérien, c’est bien Star Wars. George Lucas lui-même a décrit ses films comme des «opéras spatiaux».

Le sens du « Thème de la Force » et de nombreuses apparitions musicales s’adaptent à diverses situations et, sous la pression réciproque de la sémiotique, sa signification associative croît considérablement de la première apparition à la dernière. Ce motif représente en termes musicaux le voyage thématique central des trois premiers films. Cependant, cela conduit à d’autres questions, encore sans réponse: ce motif continue-t-il d’évoluer dans tous les autres films Star Wars ? D’autres motifs évoluent-ils de la même façon? Et peut-on en dire autant des autres musiques de films composées à base de leitmotiv?

Revenons à la question qui a ouvert cette étude: que doit la narration cinématographique au leitmotiv ? Le leitmotiv soutient le récit cinématographique, conférant une profondeur émotionnelle à n’importe quelle scène en exerçant un phénomène de conscience, de mémoire et d’anticipation des auditeurs, qui est fondé sur les manifestations précédentes du motif. C’est un outil qui doit être utilisé avec le plus grand soin: premièrement dans les cas où sa signification n’est pas encore bien établie, et lorsque sa signification est acquise, et dans toutes les utilisations ultérieures, il doit continuellement se développer et se transformer; sinon, c’est « une simple duplication » (comme l’a écrit Adorno) dans chaque scène où le thème apparaît. Grâce à une combinaison de mémoire, d’émotions et de sens, ainsi qu’à un réseau interconnecté de motifs associatifs, un langage musical unique est créé. Ce langage musical fait écho à la forme et au style du Ring, mais lorsque ce style est appliqué au film, la méthode dans laquelle il est mis en œuvre doit être modifiée pour s’adapter au mieux au support cinématographique. John Williams a pris des éléments de composition créés par Wagner et a modifié leurs utilisations afin de fournir une expérience cinématographique supérieure au public – une expérience dans laquelle la musique joue autant un rôle dans la narration qu’à l’écran.

 

CPW
extrait de l’article « Williams and Wagner: The Leitmotif from Valhalla to a Galaxy Far, Far Away »
(traduction @ Le Musée Virtuel Richard Wagner)
pour lire l’article dans son intégralité, cliquer ici

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– Starwars.com Team, The StarWars.com 10: Best Music, posted 8 October, 2013, <http://www.starwars.com/news/the-starwars-com-10-best-music>, accessed 13 February 2018.
– Tarasti, Eero, Semiotics of Classical Music: How Mozart, Brahms and Wagner Talk to Us (Boston: De Gruyter Inc., 2012).
– Williams, John, Star Wars: A Musical Journey (Music from Episodes I-VI), ed. Dan Coates (California: Alfred Publishing Co., Inc., 2007).

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FEUILLE D’ALBUM pour Mme B. Schott en mi bém M. WWV 108

Feuille d’album (pour Madame Betty Schott) pour piano en mi bémol majeur, WWV 108 Albumblatt für Frau Betty Schott, WWV 108 Dédiée à une autre grande admiratrice de son entourage, Madame Betty Schott, l’épouse de son éditeur, cette “Feuille d’Album” fait partie, avec les pièces WWV 94 et 95 dédiées… (Lire la suite)

PARSIFAL (WWV 111)

Festival scénique sacré (Bühnenweihfestspiel) en trois actes Livret et musique de Richard Wagner Création le 26 juillet 1882 au Festspielhaus de Bayreuth sous la direction de Hermann Levi Distribution : AMFORTAS, prêtre-roi du Graal (baryton-basse) TITUREL, ancien roi, père d’Amfortas (basse) GURNEMANZ, doyen des chevaliers du Graal, compagnon d’armes de… (Lire la suite)

Sommaire
Qui a mis en scène Parsifal le 30 juillet 1951 à l’occasion de la réouverture du Festival de Bayreuth ?

Réponse : Wieland Wagner, qui ouvrit ainsi la voie à une nouvelle esthétique, avec un « dépouillement » radical de l’espace scénique et des productions non conventionnelles.

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