Gabriel Von Max Elizabeth Im Gebet Für Tannhäuser
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Opéras et drames musicaux.

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Tannhäuser et le tournoi des chanteurs à la Wartburg (WWV 70)
Tannhäuser und der Sängerkrieg auf Wartburg (WWV 70)

Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER
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RICHARD WAGNER ET LA FOI DANS TANNHÄUSER

par Nicolas CRAPANNE

Richard Wagner, compositeur, poète et penseur, a toujours manifesté une fascination profonde pour les questions spirituelles et philosophiques. Son opéra Tannhäuser, créé en 1845, incarne cette quête en mettant en scène la tension entre la chair et l’esprit, entre l’attrait des plaisirs terrestres et l’aspiration à la rédemption divine. Puisant dans les légendes médiévales germaniques et les récits chevaleresques, Wagner compose une œuvre où foi, péché et grâce s’entrelacent en une réflexion sur la condition humaine. À travers cet opéra, il développe également une critique du dogme catholique, qu’il perçoit comme rigide et inapte à embrasser la complexité de l’âme humaine.

Tannhäuser entre histoire, légende et quête de rédemption

Mittelalter Digital Der Dichter Tannhaeuser Spervogel 576x1024.jpgDans son étude Tannhäuser, entre histoire et légendes1, Jean Mathieu souligne que Wagner s’inscrit dans une tradition romantique où l’Histoire et la mythologie s’entrelacent avec une grande liberté. Comme de nombreuses œuvres du XIXe siècle, Tannhäuser ne se limite pas à l’adaptation d’une source unique, mais fusionne divers récits et traditions pour nourrir sa dramaturgie.

Wagner s’inspire ainsi d’éléments historiques et mythologiques pour façonner un drame où Tannhäuser incarne le poète errant, écartelé entre désir et salut. Historiquement, ce personnage aurait été un chevalier et troubadour du XIIIe siècle, ayant fréquenté la cour du duc d’Autriche avant d’embrasser une vie d’errance. Toutefois, son association avec le Venusberg n’apparaît qu’au XVe siècle, époque où son aventure avec Vénus s’intègre à la tradition populaire.

Le concours des chanteurs à la Wartburg, quant à lui, s’inspire d’un événement historique documenté : la Guerre des Chanteurs, qui aurait eu lieu en 1207 à la cour du Landgrave Hermann Ier de Thuringe. Ce dernier avait fait de la Wartburg un haut lieu culturel où se côtoyaient les plus illustres Minnesänger de l’époque, tels que Wolfram von Eschenbach et Walther von der Vogelweide. Toutefois, la participation de Tannhäuser à ce tournoi est une pure invention de Wagner, qui fusionne ici deux récits distincts pour créer une tension dramatique plus intense.

En revisitant ces éléments historiques, Wagner ne recherche pas l’exactitude, mais la puissance du drame. Il érige un conflit intérieur structuré autour de l’opposition entre le Venusberg et la Wartburg, entre l’abandon aux plaisirs et la quête de rédemption. Cette dualité reflète les tensions médiévales entre l’amour courtois et la rigueur chrétienne, que Wagner réinterprète avec une sensibilité romantique. Plus encore, il place la question du pardon au centre de son opéra, interrogeant la capacité des institutions et des individus à offrir une seconde chance à ceux qui s’égarent.

Compassion, rédemption et pardon dans Tannhäuser

Tannhauser Mc Cura Teaser 001L’un des thèmes majeurs de Tannhäuser est la rédemption à travers la compassion et le pardon. Rejeté par une société soumise à des normes inflexibles, Tannhäuser ne trouve d’issue que dans l’amour inconditionnel d’Elisabeth, figure sacrificielle qui devient l’instrument de son salut. Wagner oppose ainsi l’intransigeance du dogme à la puissance rédemptrice d’un amour désintéressé et absolu.

Dans son analyse (Ce que Tannhäuser nous révèle sur la notion du pardon [selon Wagner]2, voir Annexe ci-après), l’auteur Harry Rose met en lumière « un échec pastoral désastreux » lorsque le pape refuse à Tannhäuser toute possibilité de pardon. Ce rejet, en totale contradiction avec le message chrétien de miséricorde, trouve un écho poignant dans la scène du récit de Rome à l’Acte III, où l’orchestre exprime par des harmonies dissonantes et des accents véhéments l’abîme de désespoir qui s’ouvre sous les pas du héros.

À l’inverse, Elisabeth incarne la grâce et le renoncement. Sa prière à l’Acte III, portée par une ligne mélodique épurée et une orchestration sobre, traduit son désir d’intercéder pour Tannhäuser, non par la punition, mais par l’amour et le pardon. Son sacrifice ultime ouvre alors au héros la voie d’une rédemption qui ne découle pas de l’Église, mais d’une transcendance suggérée par la musique finale de l’opéra.

Opposition musicale entre sacré et profane

L’intrigue de Tannhäuser repose sur une dualité essentielle entre le Venusberg et la Wartburg, une opposition que Wagner traduit avec force à travers des choix musicaux distincts et contrastés.

Le Venusberg : Bacchanale et sensualité débridée

Mvrw Venusberg

Le Venusberg se distingue par une musique foisonnante et sensuelle, marquée par des rythmes syncopés et une orchestration exubérante. L’exemple le plus emblématique en est la célèbre Bacchanale, qui ouvre l’opéra dans une frénésie sonore envoûtante. Wagner y déploie des harmonies chromatiques et des figures mélodiques serpentines, traduisant un univers de plaisirs excessifs où l’abandon aux sens frôle la démesure.

Harry Rose souligne que cette effervescence orchestrale, ponctuée de contrastes dynamiques saisissants, symbolise à la fois l’attrait enivrant de la liberté absolue et l’abîme d’une existence dépourvue de repères spirituels. Contrairement à la musique de la Wartburg, qui repose sur des structures stables et ordonnées, celle du Venusberg est fluide et instable, incarnant le vertige d’un monde où les instincts dominent la raison.

La Wartburg : prière et ordre

Mvrw Tannhauser 650x452À l’opposé, la Wartburg se distingue par une musique d’une solennité épurée, portée par une écriture rigoureuse et lumineuse. Elisabeth, figure de pureté et d’élévation, est accompagnée de thèmes mélodiques d’une clarté radieuse, souvent soutenus par un orchestre aux sonorités diaphanes. Le Chœur des Pèlerins, leitmotiv spirituel de l’opéra, incarne cet univers de recueillement et de ferveur :

« Je marche à toi, ô mon Jésus,
Espoir des pèlerins !
Ô Vierge pure et douce, sois louée,
Protège notre route !  »

Cette prière musicale repose sur un rythme stable et des harmonies limpides, traduisant la foi profonde et la quête de rédemption des pèlerins. L’écriture chorale en homophonie renforce cette sensation d’unité et de communion, soulignant la cohésion et l’ordre spirituel qui s’opposent au tumulte du Venusberg.

Le contraste musical entre ces deux univers est un pilier essentiel de la dramaturgie de Tannhäuser. Là où la musique du Venusberg est mouvante, sensuelle et imprévisible, celle du Chœur des pèlerins est régulière, hiératique et structurée. Cette démarcation nette entre le profane et le sacré, entre l’instinct et la transcendance, illustre le dilemme existentiel du héros, tiraillé entre la tentation des sens et la quête du salut.

Dialectique Éros et Thanatos : une lutte spirituelle au cœur de Tannhäuser

Dans Tannhäuser, la tension entre Éros et Thanatos structure l’opposition fondamentale entre le Venusberg et la Wartburg. Ce conflit illustre l’antagonisme entre le désir charnel et l’aspiration à la pureté et à la rédemption. Wagner met en scène cette dialectique avec une intensité dramatique et musicale où le plaisir se mêle inextricablement à la menace de destruction et de damnation. L’Éros wagnérien, tel qu’analysé par Timothée Picard dans Wagner, une question européenne3, ne se limite pas à la sensualité ; il englobe une inquiétude métaphysique et souligne l’impossibilité de concilier ces deux pôles extrêmes.

Tannhauser Et Venus Par Otto Knille 1873 © Nationalgalerie Der Staatlichen Museen Zu BerlinLe Venusberg, royaume du plaisir hédoniste, incarne une extase qui semble absolue mais s’avère illusoire. Ce monde, figé dans une temporalité stagnante, enferme Tannhäuser dans un présent perpétuel sans transcendance. Peu à peu, cette jouissance devient un piège, se muant en une lassitude existentielle. L’Éros triomphant s’autodétruit, incapable de se sublimer ou de s’élever vers une dimension spirituelle. Cette conception du désir s’inscrit dans une tradition romantique où la passion, lorsqu’elle ne trouve pas d’issue spirituelle, mène inéluctablement au néant ou à la mort.

Face à cette emprise oppressante d’Éros, Thanatos se présente comme une alternative tout aussi problématique. En tentant de fuir le Venusberg et de retrouver la voie de la foi chrétienne à la Wartburg, Tannhäuser espère atteindre la rédemption. Cependant, la rigidité du dogme catholique, illustrée par le refus du pape de lui accorder le pardon, le plonge dans un désespoir encore plus profond. Prisonnier d’un dilemme insoluble, il incarne un homme déchiré entre un désir qui le condamne et une foi qui le rejette. L’impossible synthèse entre Éros et Thanatos questionne alors la nature même du salut : Tannhäuser est-il coupable d’avoir succombé à Vénus, ou bien victime d’un système religieux incapable de reconnaître la complexité de la condition humaine ?

Dans L’Amour et l’Occident4, Denis de Rougemont met en lumière cette dialectique wagnérienne en soulignant que la musique de Wagner exprime la tension entre la passion nocturne et l’aspiration à une lumière transcendante, entre la dissolution des formes dans l’extase et la quête d’un ordre supérieur qui donnerait un sens à l’existence. Ainsi, Tannhäuser ne se limite pas à opposer le sacré et le profane, mais illustre leur intrication profonde et questionne la possibilité d’un salut qui ne serait ni un renoncement absolu au désir, ni un abandon total aux pulsions. Wagner semble ainsi esquisser une vision alternative de la rédemption, où le salut ne résulterait pas d’une institution intransigeante, mais d’une réconciliation intime entre la chair et l’esprit, entre l’amour terrestre et l’élévation spirituelle.

Cette lecture, qui inscrit Tannhäuser dans une tradition romantique et schopenhauerienne de l’inassouvissement, révèle toute l’ambiguïté de l’œuvre : s’agit-il d’une critique du dogme chrétien, incapable d’embrasser la totalité de l’expérience humaine, ou d’une quête tragique vers un absolu inaccessible ? La réponse demeure suspendue, à l’image du destin de son héros, condamné à errer entre ces deux mondes sans jamais trouver le repos.

Foi et rédemption : variations et interprétations à travers 150 ans de mises en scène

Tischbein Tannhäuser 1845Depuis sa création en 1845 à Dresde sous la direction de Wagner, Tannhäuser – l’un des opéras les plus joués du compositeur – a fait l’objet d’innombrables mises en scène, chacune proposant sa propre interprétation du message spirituel et dramatique de l’œuvre. Durant plus de 150 ans, les productions ont oscillé entre fidélité au livret et relectures contemporaines, certaines modifiant profondément la signification originelle de l’ouvrage.

Parmi les premières adaptations marquantes, la version parisienne de 1861, commandée par Napoléon III, obligea Wagner à remanier son opéra en français et à y intégrer un ballet à l’Acte I pour satisfaire le public de l’Opéra de Paris. Ce remaniement, bien que marquant une évolution stylistique et orchestrale significative, atténue quelque peu – en renforçant l’aspect spectaculaire de la Bacchanale et en développant considérablement la scène du Venusberg – la dimension spirituelle de l’œuvre.

4b88981c7aeda21fd53195ae02a35682Au XXe siècle, plusieurs metteurs en scène ont proposé des relectures modernes. L’une des plus marquantes est celle de Wieland Wagner en 1955 à Bayreuth. En épurant totalement les décors, il privilégie un symbolisme lumineux et un jeu de clair-obscur, soulignant l’opposition entre la sensualité envoûtante du Venusberg et la pureté transcendante de la Wartburg. Cette approche métaphysique transforme l’errance du héros en une quête existentielle, dépassant la traditionnelle dichotomie morale entre le bien et le mal.

Dans les années 1970, Götz Friedrich à Berlin adopte une lecture psychanalytique en représentant le Venusberg comme une projection des désirs refoulés de Tannhäuser, inscrivant ainsi son conflit intérieur dans une perspective psychologique plus que spirituelle.

Au Festival Bayreuth Road Trip TannhaeuserCes dernières décennies, certaines productions ont cherché à moderniser l’œuvre, parfois en altérant son message initial. C’est le cas de Tobias Kratzer à Bayreuth en 2019, qui transpose l’action dans un contexte contemporain où Tannhäuser devient un artiste marginalisé, et où la distinction entre Vénus et Elisabeth s’estompe. La fin y est volontairement ambivalente : Tannhäuser semble condamné à demeurer éternellement prisonnier de ses contradictions.

D’autres metteurs en scène, au contraire, restent fidèles à l’essence du livret. En 2008, Sebastian Baumgarten à Bayreuth, bien qu’installant l’œuvre dans un décor futuriste aseptisé, respecte la symbolique chrétienne et le rôle rédempteur d’Elisabeth, accentuant l’opposition entre la chair et l’esprit par un contraste entre l’épure des décors et la frénésie du Venusberg.

En conclusion…

Ainsi, Tannhäuser dépasse le cadre de la simple adaptation d’une légende médiévale pour s’élever au rang d’une méditation universelle sur la compassion, la rédemption et le pardon. L’œuvre illustre comment la musique et l’histoire se conjuguent pour mettre en scène le rejet et la quête de salut, offrant une lecture intemporelle et érudite du message wagnérien.

Avec et à travers Tannhäuser, Wagner exprime pleinement sa propre quête spirituelle et sa vision d’une foi libérée des carcans institutionnels. Une foi où le salut ne saurait être l’apanage d’une soumission aveugle aux dogmes ni d’un conformisme rigide dicté par une société inflexible, mais s’incarnerait dans une rédemption fondée sur le sacrifice et la puissance rédemptrice d’un amour sincère et universel. 


NC

Notes de bas de page (références) :
1 – MATHIEU Jean, Tannhäuser, entre histoire et légendes in WAGNERIANA ACTA 2003 @CRW Lyon
2 – ROSE Harry, Ce que Tannhäuser nous révèle sur la notion du pardon [selon Wagner], article paru sur le site internet américain https://outreach.faith/ (6 mars 2024). Voir ANNEXE ci-après.
3 – PICARD Timothée, Wagner, une question européenne (Presses universitaires de Rennes, 2006 ; https://doi.org/10.4000/books.pur.38107.)
4 – ROUGEMONT (de) Denis, L’Amour et l’Occident (Editions Flammarion « 10-18 », 1 novembre 1974)

_________________________

ANNEXE :
Ce que le Tannhäuser de Wagner nous révèle sur les notions du pardon et de l’exclusion.

par Harry ROSE
(traduction @Le Musée Virtuel Richard Wagner, 2024)
Titre original : »What Wagner’s opera “Tannhäuser” tells us about forgiveness and inclusion »
Texte reproduit ici avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Pour retrouver le texte intégral dans sa version originale en anglais, cliquez ici.

Brisé, épuisé, méconnaissable aux yeux de ceux qui l’ont connu, Tannhäuser revient d’un pèlerinage à Rome marqué par la douleur et le sacrifice. Parti implorer l’absolution du pape, sur l’insistance d’Élisabeth, il espérait expier ses errances au Venusberg, royaume du plaisir charnel sous la domination de la déesse Vénus. Mais au Vatican, il ne trouve qu’un jugement implacable :

« Tu partageas des voluptés coupables,
Tu t’enflammas à l’ardeur de l’enfer,
Tu séjournas au Venusberg :
A jamais soit damné !
Comme ce bâton en ma main
Jamais ne s’ornera d’une fraîche verdure,
Des flammes de l’enfer,
Jamais tu ne seras délivré ! »

Par ces paroles, le pape – souvent identifié à Urbain IV dans la légende – scelle le sort du pèlerin, lui imposant une épreuve inhumaine : jusqu’à ce que son bâton de pèlerin refleurisse, il ne pourra espérer le pardon. Pourtant, alors que Tannhäuser touche à la fin de son errance, la prière d’Élisabeth, qui a sacrifié sa vie en implorant la clémence divine, est entendue. Des pèlerins accourent, annonçant le miracle : le bâton desséché s’est couvert de jeunes pousses. Là où l’intransigeance ecclésiastique s’était refermée sur une sentence sans appel, la ferveur d’une âme pure a triomphé.

Dans cette parabole dramatique, Wagner met en lumière une contradiction fondamentale : l’institution religieuse, à travers la figure du pape, refuse tout espoir de rédemption à un homme en quête de salut, tandis que l’amour désintéressé d’Élisabeth parvient à briser cette fatalité. À travers cette opposition, Tannhäuser dénonce une Église figée dans son rigorisme, incapable d’accueillir les âmes égarées et de reconnaître la puissance transformative de la compassion.

Loin de se limiter à une trame narrative, Wagner confère à cette tension une force musicale saisissante. Lorsque Tannhäuser relate son audience avec le pape, il le fait dans un chant tourmenté, scandé en croches et en noires martelées, sa voix poussée à l’extrême dans une ferveur désespérée. Ce passage, connu sous le nom du Récit de Rome, est l’une des épreuves les plus redoutables du répertoire de ténor. Son intensité traduit l’agonie du personnage, rejeté par ceux qui auraient dû l’accueillir.

Ce rejet, que l’on peut interpréter comme un échec pastoral fondamental, devient le pivot du drame. Wagner ne se contente pas de raconter l’histoire d’un homme brisé ; il élève le débat à une dimension universelle, soulignant la faillite d’un système où le rigorisme moral l’emporte sur l’humanité.

Un drame de l’exclusion et de la quête de sens

C’est Vénus elle-même qui pose la question centrale de l’opéra lorsque, tentant de ramener Tannhäuser à elle, elle lui demande :

« Es-tu proscrit, exilé par le monde ?
Ne trouves-tu nulle part la pitié,
Cherches-tu l’amour dans mes bras ? »

Cette question résonne comme un écho aux réflexions du cardinal Robert W. Mc Elroy sur la nécessité d’un accueil inconditionnel au sein de l’Église. Il souligne combien certaines pratiques pastorales, en excluant des individus de la pleine participation à la communauté, vont à l’encontre du message fondamental du Christ : « Nous sommes tous blessés et tous également en quête de guérison. » Trop souvent, l’ostracisme et l’excommunication ont dressé des barrières infranchissables aux portes de l’Église, rejetant ceux qui, pourtant, aspirent à la rédemption.

Tannhäuser, pécheur condamné par le dogme, incarne le dilemme universel de l’individu en quête de reconnaissance et de salut. Le cardinal Mc Elroy met en lumière une autre faille du système ecclésiastique : son incapacité à différencier la gravité des péchés et à juger la faute charnelle avec discernement. « En qualifiant systématiquement tous les actes sexuels hors mariage de péchés objectivement graves, nous avons placé cette question au centre même de nos structures d’exclusion eucharistique, au détriment du message évangélique. »

Ainsi, Tannhäuser n’est pas seulement victime de ses propres faiblesses, mais aussi d’une institution qui confond rigueur et intransigeance, et qui peine à saisir les nuances de l’expérience humaine. Ce conflit s’exprime avec force dans la réplique d’Élisabeth aux chevaliers de la Wartburg :

« Si vous voulez ravir tout espoir au pécheur,
Dites-moi donc quel mal il vous a fait ? »

Par ces mots, elle rappelle une vérité essentielle : la miséricorde et la dignité de chaque être humain doivent être au cœur de toute action pastorale. Refuser toute possibilité de rédemption, c’est non seulement éloigner un homme de l’Église, mais surtout, de Dieu lui-même.

Si Wagner n’était pas un théologien, son approche du salut, telle qu’elle s’exprime à travers son livret et sa musique, dépasse les limites d’un moralisme restrictif. Il célèbre une rédemption accessible aux âmes imparfaites, une voie d’espérance ouverte à ceux qui peinent à trouver leur place dans une institution rigide.

Être catholique aujourd’hui, c’est naviguer entre une doctrine enracinée dans la tradition et une exigence d’ouverture et de miséricorde. Face aux voix qui défendent une vision rigide du dogme, le message du cardinal Mc Elroy apparaît comme un appel à l’amour et à l’inclusion. Il s’inscrit dans une dynamique de renouveau, semblable à cette fleur qui éclot sur le bâton desséché de Tannhäuser, symbole d’une Église en pleine mutation, appelée à accueillir sans conditions plutôt qu’à condamner sans appel.

HR.

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Qui Wieland Wagner a-t-il surnommé « trompette pour enfants » („Kindertrompete”) après une audition en raison du timbre de sa voix particulièrement clair et aigu ?
Réponse :

Anja Silja. À partir de 1960, elle chanta dans presque toutes les mises en scène de Wieland Wagner, non seulement à Bayreuth, mais aussi au niveau international. Leur étroite collaboration artistique (et leur relation amoureuse) s'est poursuivie jusqu'à la mort de Wieland Wagner (1966). Après cela, Anja Silja ne s'est plus jamais produite à Bayreuth.

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