Sur la conception du livret de Tannhäuser
« J’étais dans cette disposition d’esprit, quand me tomba entre les mains le livre populaire allemand de Tannhäuser ; cette figure merveilleuse, que créa la muse du peuple, s’empara de moi avec la plus grande violence ; mais elle le pouvait alors [à bon droit]. Certes le Tannhäuser n’était nullement un personnage nouveau pour moi ; depuis longtemps, le récit de Tieck me l’avait fait connaître. Il avait alors éveillé en moi des dispositions mystiques, ainsi que l’avaient fait dans ma jeunesse les contes d’Hoffmann, mais sans provoquer pourtant mon instinct artistique. Je relus donc le poème moderne de Tieck et compris pourquoi j’étais demeuré froid devant son mysticisme coquet et son catholicisme frivole, maintenant que m’apparaissait dans le livre populaire et dans le naïf lied de Tannhäuser, dans l’authentique et simple poème populaire, le personnage de Tannhäuser sous ses traits si nets et si immédiatement compréhensibles. — Mais ce qui surtout m’attira irrésistiblement, ce fut le lien, pourtant très lâche, que je découvris, dans le livre populaire, entre le Tannhäuser et La Guerre des Chanteurs à la Wartburg. J’avais entendu parler aussi de cet épisode poétique que j’avais lu autrefois dans Hoffmann, dont le récit ne m’avait alors pas impressionné autrement que celui de Tieck. Mais voici que le hasard me mettait sur la trace du récit le plus simple et le plus authentique de cette guerre des chanteurs dont toute l’atmosphère me rappelait avec tant d’infini la patrie ; cela me conduisit à étudier le poème haut-allemand de la Guerre des Chanteurs, que par bonheur un philologue allemand de mes amis, qui se trouvait l’avoir en sa possession, put me procurer. » Richard Wagner, Une Communication à mes amis
Sur la légende de Tannhäuser
« Obéissant à l’impulsion inconsciente qui me poussait vers tout ce qui me paraissait germanique, je ne saisis tout le charme de cette impulsion qu’après avoir lu le simple récit de la vieille légende de Tannhäuser. Je connaissais, il est vrai, déjà les éléments divers de ces épisodes que j’avais trouvés dans le Phantasus de Tieck, mais ils m’avaient ramené plutôt vers le genre fantastique qu’Hoffmann m’avait fait aimer, et je n’avais pas songé à chercher dans cette histoire le sujet d’une œuvre dramatique. Ce qui fit pencher à présent la balance du côté du livre populaire, c’est qu’on y racontait, en passant, la part qu’avait prise Tannhäuserau « Tournoi poétique de la Wartburg ».
Je connaissais aussi ce dernier récit par le conte d’Hoffmann, Les Frères de Sérapion. Seulement, je sentais que le motif en avait été fortement altéré par le poète, et je m’efforçai de trouver des éclaircissements sur la trame véritable de cette attrayante légende. Lehrs m’apporta alors un numéro des Mémoires de la Société allemande de Königsberg, dans lequel Lukas parlait en détail du Wartburg Krieg et en donnait le texte dans une langue primitive. Je ne pouvais pas me servir, pour ainsi dire, de cette forme ancienne, mais elle me montra le Moyen Âge allemand sous un coloris caractéristique dont je n’avais encore aucune idée. » Richard Wagner, Mein Leben (Ma Vie)
Sur le château de la Wartburg et le Mont de Venus
« À cette époque (avril 1842), le voyage de Paris à Dresde durait encore cinq jours et cinq nuits. […] L’unique échappée lumineuse de ce trajet fut l’apparition du Wartburg, baigné des seuls rayons de soleil dont nous jouîmes sur toute notre route. L’aspect de ce château, qui assez longtemps se présente très favorablement aux voyageurs venant de Fulda, me réchauffa extraordinairement le cœur. Non loin de là, j’aperçus une crête de montagne que je baptisai sur-le-champ de « Horselberg », et, tout en roulant dans la vallée, je montais en imagination la scène du troisième acte de mon Tannhäuser. J’en conservai une mémoire si précise que plus tard le peintre Despléchiens en put exécuter les décors à Paris d’après le plan que je lui en fournis. » Richard Wagner, Mein Leben (Ma Vie)
En excursion au Venusberg
« J’entrepris, suivant mon ancienne habitude, une excursion à pied dans les montagnes de la Bohême. Je voulais travailler au plan de mon Vénusberg sous les agréables impressions de cette course. Je me laissai tenter par le site si pittoresque de Schreckenstein, près d’Aussig, et m’arrêtai dans une petite auberge où, chaque soir, on m’arrangea une litière de paille dans l’unique salle. L’ascension journalière de la Wostrai, la plus haute cime de la contrée, me rajeunissait, et cet isolement romantique réveilla à tel point la fougue de ma jeunesse que, par un beau clair de lune et seulement enveloppé de mon drap de lit, je grimpai dans les ruines du Schreckenstein pour me donner à moi-même l’llusion du revenant que j’aurais voulu y voir. En même temps, je me délectais à la pensée que peut-être quelqu’un m’apercevait ainsi de loin et tremblait d’épouvante. C’est là que dans mon calepin je notai le plan détaillé d’un opéra en trois actes, le Vénusberg. Plus tard, en écrivant le libretto, j’ai suivi exactement ce plan.
À l’une de mes escalades de la Wostrai, j’entendis soudain, au tournant du vallon, un pâtre qui, étendu dans l’herbe, sur uns hauteur, sifflait un joyeux air de dans champêtre. Je me figurais aussitôt que je me trouvais dans le cortège des pèlerins qui passent dans la vallée, près du berger. Cependant il me fut impossible de me rappeler plus tard la mélodie du pâtre et je dus m’aider moi-même, selon ma méthode habituelle. »
Richard Wagner, Mein Leben (Ma Vie)
Sur le titre : Tannhäuser ou Venusberg ?
« Meser éprouvait une telle aversion pour le titre de Venusberg (mont de Vénus), qu’il parvint à me le faire changer. Il prétendait que, ne fréquentant pas le public, j’ignorais les mauvaises plaisanteries auxquelles on se livrait sur ce titre et qui provenaient certainement des professeurs et des étudiants de la clinique médicale de Dresde, car elles reposaient sur un jeu de mots obscène qu’eux seuls comprenaient à l’origine. Il suffit à Meser de me citer ce jeu de mots répugnant pour que j’accomplisse le changement désiré. Je joignis alors au nom de mon héros le nom d’une légende étrangère au mythe de Tannhäuser : le Tournoi poétique du Wartburg, et je mis celui-ci en étroite relation avec l’histoire de Tannhäuser. Cette conjonction mécontenta malheureusement l’historien Simrock, savant et traducteur estimé dont je faisais grand cas. » Richard Wagner, Mein Leben (Ma Vie)