Préambule
Voici deux citations pour introduire notre propos :
– La première est extraite d’une lettre de Liszt à son fils Daniel : « Travailler sur soi, sur autrui, travailler pour s’approprier les connaissances acquises, les faire fructifier ; telle est notre destinée sur la terre ».
– La deuxième est tirée d’une lettre de Wagner à Liszt en date du 12 juillet 1856 : « Si jamais nous comparions nos lettres, je ferais l’effet d’un vrai bavard à côté de toi, par contre tu ferais bonne figure comme homme d’action ! Mais mon excellent ami Franz, un peu d’abandon a du bon aussi ! Prends-en bonne note, toi le roi des bienfaiteurs !«
Ces citations résument assez bien un aspect important des relations entre les deux musiciens : s’est fait un devoir de promouvoir les plus grands artistes de son époque et notamment Wagner dont il mesure le génie. Dans les lettres qu’il lui envoie, il parle peu de lui et se met à l’entière disposition de son ami, en lui rendant compte fidèlement de ses actions en sa faveur. Wagner est beaucoup plus centré sur lui-même, il s’épanche énormément, faisant part de ses espoirs, de ses doutes et de ses moments de détresse.
Ainsi, sur le recueil des 349 lettres qui ont été publiées, Wagner en a écrit 218 et Liszt 131 seulement.
Il est à noter cependant que quand Liszt fait part de difficultés personnelles à son ami comme à la fin de l’année 1858, alors qu’il est amené à démissionner de son poste de chef d’orchestre à Weimar, il reçoit une réponse qu’on qualifiera, pour être gentil, de déplaisante de la part de Wagner qui réside alors à Venise. Celui-ci se moque du ton pathétique employé par Liszt et ne s’intéresse qu’aux rentrées d’argent espérées.
La réaction, le 4 janvier 1859, est courte mais cinglante : « Pour ne plus m’exposer au danger de t’importuner par des discours « pathétiques et trop sérieux », je renvoie le premier acte de Tristan à Haertel et te demanderai la permission de ne prendre désormais connaissance des autres actes qu’après leur parution en librairie. La symphonie Dante et la Messe ne pouvant passer pour des actions de banque, il est sans doute superflu de les envoyer à Venise. Je juge non moins superflu de recevoir de si loin des télégrammes de détresse et des lettres blessantes.«
Cet exemple est une exception car Liszt répondait toujours avec dévouement et générosité aux demandes pressantes de son ami. A la lecture de cette correspondance dans la traduction de L. Schmidt et J. Lacant parue en 1943 chez Gallimard, j’ai été subjugué par ces lettres dans lesquelles on trouve à la fois un souffle épique, des considérations triviales et une amitié de nature spirituelle entre deux génies.
Après avoir lu maints ouvrages sur et de Wagner, j’avais l’impression d’accéder à une autre façon peut-être plus authentique de connaître le maître de Bayreuth. Sans avoir la prétention d’être innovant ou original ni d’évoquer dans le détail les relations personnelles entre les deux amis, je souhaite simplement ainsi éclairer certains aspects de la pensée et de la vie de Wagner.
Ce travail est centré sur les 310 lettres échangées entre le 20 mai 1849 et le 7 juillet 1861, période fondamentale dans la vie et l’œuvre de Wagner. Fin mai 1849, il se réfugie en Suisse pour échapper à un mandat d’arrêt lancé contre lui à la suite de sa participation aux journées révolutionnaires de Dresde.
Après un court passage à Paris, il s’installe à Zurich où il résidera la plupart du temps. Sa production artistique et théorique est très dense : il achève en 1849 L’œuvre d’art et la révolution , en 1850 il publie Opéra et drame et en 1851 Une communication à mes amis.
De 1850 à 1853, il écrit le poème de l’Anneau du Nibelung et commence à composer la musique de son drame de 1853 à 1857, date à laquelle il s’arrête au milieu du deuxième acte de Siegfried, pour se consacrer à Tristan. Il n’assiste que de loin à la création de Lohengrin dirigé par Liszt, à Weimar en 1850. En 1855, il fait un long séjour à Londres, où il dirige plusieurs concerts. En 1858, il quitte définitivement Zurich pour séjourner à Venise, puis à Lucerne où il termine son Tristan. Enfin, il s’établit à Paris où Tannhäuser sera présenté, dans les circonstances que l’on sait, en 1861. Sa vie personnelle est agitée et ses relations avec Minna sont souvent tendues avec des périodes de séparation, de rupture et de réconciliation. Il traverse enfin une période particulièrement difficile sur le plan psychologique entre 1852 et 1854 et évoque parfois dans ses lettres l’idée du suicide.
De la correspondance échangée entre Wagner et Liszt, j’ai retenu neuf thèmes regroupés en cinq parties :
I – Quelques éléments de personnalité : ses relations avec l’argent et avec Minna
II – La France : sa vision de Paris et ses relations avec Berlioz
III – Les juifs : son antijudaïsme et ses relations avec Meyerbeer
IV – La politique
V – L’artiste : sa conception de l’art et l’œuvre de la sa vie, l’anneau du Nibelung.
I – Éléments de personnalité : ses relations avec l’argent et avec sa femme Minna
L’argent
C’est un lieu commun que dire de Wagner qu’il aimait le luxe et que ses besoins d’argent étaient importants. Il est rare que ses lettres n’évoquent pas ce sujet et il est parfois amusant de voir se côtoyer dans la même correspondance des considérations sublimes sur l’art et des plaintes triviales sur ses difficultés financières. On peut critiquer cette attitude, mais la lecture de ses lettres incite plutôt à l’indulgence.
Wagner n’est pas à proprement parler un homme d’argent. Il n’aime pas l’argent pour lui-même mais pour le confort et la sécurité qu’il peut lui apporter. Il ne sacrifiera jamais son œuvre pour de l’argent. Il a certes des goûts de luxe mais il est lucide avec cela et n’hésite pas à le revendiquer. Par ailleurs, sa situation n’est pas facile et dépend de rentrées souvent aléatoires. Il pense enfin que la société a une dette envers lui et son génie et qu’elle lui doit de quoi vivre selon ses goûts et ses besoins.
Voici quatre extraits de correspondance qui semblent bien étayer cette analyse.
Lettre du 3 octobre 1855 dans laquelle il évoque une proposition de se produire en Amérique : « L’Amérique est pour moi un terrible cauchemar. Si New York pouvait jamais se décider à m’offrir une somme sérieuse, cela me mettrait réellement dans un horrible embarras. Si je déclinais une offre pareille, je n’oserais le dire à personne, car tout le monde m’accuserait de manquer à ce que je me dois à moi-même dans ma situation. Il y a dix ans, je pouvais encore entreprendre quelque chose de ce genre ; mais aujourd’hui, il serait dur pour moi d’avoir à recourir à ces moyens détournés rien que pour vivre, aujourd’hui où je ne suis plus fait que pour suivre ma voie et remplir ma vocation stricte. Si je me laissais détourner de ma mission, je ne finirais jamais les Nibelungen. Bonté du ciel ! Des sommes comme celles que je pourrais gagner en Amérique, les gens devraient m’en faire cadeau, sans me demander en échange autre chose que ce que je fais, et qui est ce que je puis faire de meilleur. Avec cela, je suis plutôt fait pour dépenser 60. 000 francs en six mois que pour les « gagner », ce qui est d’ailleurs chose impossible pour moi, car ce n’est pas mon affaire de « gagner de l’argent » ; mais ce serait l’affaire de mes admirateurs de me donner autant d’argent qu’il m’en faudrait pour travailler avec entrain et produire quelque chose de bien. »
Lettre du 21 novembre 1858 à propos d’une déception concernant un versement sur ses droits d’auteur : « Dieu ! Que vous êtes heureux, vous tous qui avez le vivre et le couvert ! Nul de vous n’est capable, paraît-il, de se mettre à la place d’un pauvre diable comme moi, pour lequel toute recette est comme un gain de loterie. »
Lettre du 31 décembre 1858 où il évoque les relations de Franz Liszt avec les directeurs de théâtre : « Tu parles de moi à ces gens avec bien trop d’onction. Dis-leur : « Wagner se fiche de vous, de vos théâtres et de ses propres opéras ; il lui faut de l’argent un point c’est tout »… Me ferait-on le reproche de ne pas vivre plus petitement ? Mon Franz, quand tu verras le second acte de Tristan, tu admettras qu’il me faille beaucoup d’argent. Oui je suis un grand dissipateur ; mais pardieu, il en sort quelque chose. »
Lettre du 2 janvier 1859 : « Ce que je demande, c’est qu’on m’alloue une pension honorable et suffisante, uniquement afin de me permettre de produire tranquillement mes œuvres d’art sans avoir à me préoccuper du succès extérieur. »
Les relations avec Minna
Wagner s’est marié jeune, à l’âge de vingt-trois ans, et les relations avec son épouse ont été rarement harmonieuses. Il a vite pris conscience du fossé qui les séparait et qui s’élargissait au fil du temps. Cependant les lettres envoyées à Liszt pendant ces douze années témoignent d’une tendresse et d’une sollicitude envers son épouse qu’on ne s’attend pas à trouver chez un Wagner trop souvent présenté comme un égoïste foncier.
Lettre du 18 juin 1849 : « Très cher ami, voilà près d’un mois que j’ai quitté ma femme et elle ne m’a pas encore donné signe de vie ; je suis bien triste et bien découragé. Pour travailler en ce moment, il me faut du calme et un chez moi ; si j’ai ma femme auprès de moi dans la gentille ville de Zurich, je trouverai l’un et l’autre. »
Lettre du 15 janvier 1854 : « Un mariage trop hâtif avec une femme estimable, mais nullement à ma hauteur, a fait de moi, pour la vie, un hors la loi… Il est impossible que je goûte un amour heureux, seul un amour malheureux m’est encore accessible – un hors la loi, un « impossible »!«
Lettre du 27 septembre 1858 : « J’ai grande pitié de ma pauvre femme ; elle a eu une période terrible à surmonter ; c’est surtout sa santé si éprouvée qui m’a incliné depuis des mois aux ménagements les plus attentifs. Ils sont restés vains, car la malheureuse, justement sous l’influence de la maladie qui lui dérobait le sommeil, se ruait à corps perdu dans son malheur arrachant tout à sa suite. J’espère néanmoins que le changement complet de situation et notre séparation même auront sur elle un effet salutaire ; la culture manque trop à cette pauvre femme pour qu’elle puisse trouver refuge dans une noble résignation qui forcerait le respect. Elle est pour l’instant en Saxe chez des parents ; elle s’installera ensuite à Dresde avec nos hardes ; si, un jour, je peux remettre les pieds en Allemagne, j’irai la voir – je ne songe d’ailleurs en aucune façon à l’abandonner complètement. Nous sommes tous assez misérables pour pouvoir nous comprendre et nous aider. »
Lettre du 8 mai 1859 : « En ce moment, je dépense pour ma femme toute la bonne humeur que je peux trouver en moi. Je la soigne, je la dorlote comme à l’époque de notre lune de miel. Mais aussi j’ai la satisfaction de la savoir en bonne voie ; son vilain mal diminue à vue d’œil, elle se remet, elle ira, je l’espère, jusqu’à devenir raisonnable sur ses vieux jours. Aussi lui ai-je écrit dernièrement, alors que je venais de recevoir ton Dante, que nous avions passé par l’enfer et que, si le purgatoire lui faisait du bien, nous finirions sans doute par trouver encore un petit coin de paradis. »
Richard et Minna se sépareront en 1862 et elle décédera d’une maladie de cœur en 1866.
II – Les rapports avec la France : sa vision de Paris et ses relations avec Berlioz
Sa vision de Paris
Pour Wagner comme pour beaucoup d’étrangers, la France, c’est essentiellement Paris, ville dans laquelle il séjourne notamment de 1839 à 1842, et pendant la période 1859-1861. Il est attiré par ce qui est considéré à l’époque comme la capitale de l’art et de l’opéra mais ressent de l’amertume et du ressentiment dans un univers qui lui est largement étranger et où il n’obtient pas la reconnaissance qu’il estime être en droit de recevoir. Il prend conscience de tout ce qui le différencie, en tant qu’artiste allemand, de la culture et du mode de vie français comme en témoignent les extraits suivants :
Lettre du 5 juin 1849 : « Cet affreux Paris me pèse et m’accable ; souvent, je beugle comme un veau qui regrette l’étable et le pis de sa mère. Comme je me sens seul dans cette foule !«
Lettre du 5 décembre 1849 à propos d’un projet d’opéra pour Paris : « S’il m’a fallu du temps pour me faire à l’idée d’écrire un opéra pour Paris, cela tenait avant tout à une certaine antipathie qui m’est particulière, à une antipathie d’artiste pour la langue française. Cela ne te paraîtra pas très compréhensible ; mais il faut dire que tu appartiens à l’Europe, que tu es un cosmopolite, tandis que moi, je suis exclusivement un enfant de Germanie… Ainsi, cher ami, nous finirons peut-être par nous entendre parfaitement, et tu m’approuveras de ne pas essayer de devenir français (ce qui du reste ne me réussirait jamais – et ce qu’à vrai dire les Français ne demandent pas du tout à un allemand) et de rester ce que je suis, mais en me proposant de parler, en cette qualité, d’une manière intelligible aux Français.«
Lettre du 25 janvier 1858 : « Autrefois, Paris avait toujours pour moi quelque chose de désagréable et d’inquiétant : il m’attirait tout en m’inspirant une vive répulsion, si bien que mon séjour ici était un vrai supplice de Tantale. Aujourd’hui, tout est bien changé ; la répulsion reste, et le charme qui me séduisait a perdu sa puissance… Ici, je sens plus positivement qu’en aucun lieu de la terre que je me trouve dans un monde avec lequel je n’ai absolument rien de commun, et cela parce qu’il se présente sous des dehors si séduisants et sous une forme si nette, si délicate et si parlante. »
Lettre du 8 mai 1859 : « C’est pourtant terriblement antipatriotique de vouloir s’arranger une existence agréable au cœur même du pays habité par l’ennemi de la nation germanique. Ces bons allemands devraient, en vérité, faire quelque chose pour épargner cette horrible épreuve au plus germanique de tous les compositeurs d’opéras germaniques. »
Cependant ces propos qui donnent une image quelque peu caricaturale du nationalisme de Wagner, sont nuancés par une lettre du 13 septembre 1860 lors d’un passage à Mayence : « Je t’avouerai qu’en remettant le pied sur le sol germanique, je n’ai pas éprouvé la moindre émotion, à part la surprise que m’a causée le langage stupide et grossier que j’ai entendu autour de moi. Crois-moi, nous n’avons point de patrie ! Et si je suis « Allemand », je porte certainement cette Allemagne en moi-même.«
Les relations avec Berlioz
On pourrait donner à ces relations le titre connu, » je t’aime moi non plus”. Berlioz a dix ans de plus que Wagner qui découvre sa musique lors de son premier séjour à Paris au début des années 1840. Mais les deux musiciens vont vraiment faire connaissance lors d’un séjour commun à Londres en 1855. Le courant passe bien entre les deux hommes et Wagner exprimera son estime et son admiration pour le musicien français ; mais malgré un respect réciproque, il restera une part d’incompréhension entre les deux artistes.
Ainsi, Berlioz ne comprend pas la modernité de Wagner et notamment de Tristan, tandis que Richard reproche au français de sacrifier le drame à la musique en négligeant l’équilibre nécessaire entre le livret et la partition.
La correspondance avec Liszt évoque ces questions.
Lettre du 08 septembre 1852 : « Je suis peiné de voir que Berlioz veut ou doit se mettre à remanier son Cellini. Si je ne me trompe, cet ouvrage remonte à plus de douze ans : est-ce que Berlioz ne s’est pas développé depuis ce temps-là pour faire quelque chose de tout autre ? Quelle maigre confiance en lui-même a-t-il donc pour être obligé de revenir à un travail qui date depuis si longtemps?… Crois-moi, j’aime Berlioz, malgré la méfiance et le caprice qui le tiennent éloigné de moi ; il ne me connaît pas mais je le connais. Si j’attends quelque chose d’un compositeur, c’est de Berlioz, mais non pas s’il suit la voie qui l’a conduit jusqu’aux platitudes de sa symphonie de Faust, car s’il continue dans ses errements, il ne peut que devenir ridicule. Si un musicien se sert du poète, c’est bien Berlioz, mais son malheur est qu’il accommode toujours ce poète à sa fantaisie musicale, et qu’il arrange à son gré tantôt Shakespeare, tantôt Goethe. Il a besoin d’un poète qui le pénètre, qui le dompte à force d’enthousiasme, qui soit pour lui ce que l’homme est pour la femme. Je vois avec douleur cet artiste extraordinairement doué se perdre par cette solitude égoïste. Puis-je l’en empêcher ?«
Lettre du 5 juillet 1855 : « Je rapporte de Londres un vrai bénéfice : c’est une cordiale et profonde amitié que j’ai conçue pour Berlioz et qui est partagée. J’ai assisté à un concert de la New Philharmonique dirigé par lui… Quelques jours après, nous étions seuls à dîner chez Sainton : il était très animé, et les progrès que j’avais faits en français m’ont permis de parler avec beaucoup d’entrain, pendant les cinq heures que nous avons passées ensemble, de toutes les questions se rapportant à l’art, à la philosophie, à la vie. J’emportai de cette rencontre une profonde sympathie pour mon nouvel ami ; il se révéla pour moi sous un jour différent de celui sous lequel je l’avais vu jusqu’alors ; chacun reconnut tout à coup dans l’autre un compagnon d’infortune, et je me trouvai plus heureux que Berlioz. Après mon dernier concert, il vint me voir avec quelques autres amis de Londres ; sa femme l’avait accompagné ; nous restâmes ensemble jusqu’à trois heures du matin, et nous nous séparâmes en nous embrassant avec effusion.«
Lettre du 22 mai 1860 dans laquelle il cite une lettre écrite en français à Berlioz : « Cher Maître (je sais que ma familiarité est devenue gênante pour lui). Je viens de lire votre article sur Fidelio. Soyez en mille fois remercié ! C’est une joie toute spéciale pour moi d’entendre ces accents purs et nobles de l’expression d’une âme, d’une intelligence comprenant et s’appropriant si parfaitement les secrets les plus intimes d’un autre héros de l’art ; il y a des moments où je suis presque plus transporté en apprenant cet acte d’appréciation que par l’œuvre appréciée elle-même, puisque cela nous témoigne infailliblement qu’une chaîne ininterrompue d’intime parenté rallie entre eux les grands esprits, qui, par ce seul lien, ne tomberont jamais dans l’incompris. Si je m’exprime mal, j’espère pourtant que vous ne me comprendrez pas mal. »
Il ajoute ensuite à Liszt : « Dieu sait comment il prendra ce charabia. Voudra-t-il ne pas me comprendre cette fois ? J’ai peur de lui avoir donné, par mon français, de bonnes raisons pour cela… Je suis arrivé à cette conclusion qu’aujourd’hui nous formons une triade exclusive de tout autre élément, parce que nous sommes tous les trois pareils : cette triade se compose de toi, de lui et de moi. Mais il faut bien se garder de le lui dire : il se cabre dès qu’on lui en parle. »
III Les relations avec Meyerbeer et l’antijudaïsme de Wagner
Le terme d’antijudaïsme semble préférable à celui d’antisémitisme car ce dernier mot n’a été introduit dans la langue allemande qu’à la fin du XIXème siècle et car la position de Wagner vis-à-vis des juifs était fondée plus sur la culture que sur la race. Il y a bien évidemment un lien fort entre ses relations avec Meyerbeer et son antijudaïsme et ce lien apparaît dans les échanges de correspondance avec Liszt.
Les relations avec Meyerbeer
Elles datent du premier séjour de Wagner à Paris entre 1839 et 1842. Richard est reçu par l’auteur du Prophète qui fait la pluie et le beau temps dans le Paris musical et qui lui fait bon accueil en le recommandant à différentes personnalités. Ces recommandations restent cependant sans résultat et Wagner va développer un sentiment d’humiliation et un fort ressentiment nourris par les succès que remporte Meyerbeer et la conviction qu’il a de lui être infiniment supérieur. Voici trois extraits tout à fait parlants ; à noter que Wagner utilise souvent la lettre M pour désigner Meyerbeer.
5 juin 1849 : « Ô cher Liszt, il faut que tu finisses par être parfaitement éclairé sur le compte de cet homme ; mais que dis-je là ? Ne sais-tu pas depuis longtemps que des natures comme celles de M sont l’antipode de la tienne et de la mienne ? Ne sais-tu pas depuis longtemps qu’entre M et toi, il ne pouvait exister qu’un lien formé de ton côté par la générosité et du sien par le calcul ? Lorsque ces deux trames se rencontrent dans le tissu de vos relations, tu pouvais pendant un temps te faire quelque illusion. Mais je crois que ton affection s’aveuglait volontairement et que tu te livrais de propos délibéré à une illusion généreuse. M est petit, essentiellement petit, et malheureusement je ne rencontre personne qui soit tenté d’en douter« .
18 avril 1851 : « Mes rapports avec Meyerbeer ont un caractère tout particulier : je ne le déteste pas, mais il m’est antipathique au-delà de toute expression. Cet homme éternellement aimable et complaisant me rappelle, à l’époque où il se donnait encore l’air de me protéger, la période la plus obscure, je dirais presque la plus immorale de ma vie : c’était la période des hautes relations et des escaliers dérobés, celle où nous sommes bernés par des protecteurs pour lesquels nous n’avons pas le moindre attachement… Je ne reproche pas le moins du monde à Meyerbeer l’inefficacité voulue de son obligeance envers moi ; au contraire, je suis heureux de n’être pas son débiteur au même titre que B (Berlioz ?) par exemple. »
L’antijudaïsme
L’extrait précédent fait le lien avec son antijudaïsme ; il fait partie d’une lettre dans laquelle Wagner explique à Liszt pourquoi il a écrit en septembre 1850, sous le pseudonyme de K. Freigedank (libre penseur) dans le Neue Zeitschrififiir Musik un article intitulé Das Judenthum in der Musik (le judaïsme dans la musique).
Dans cet article très virulent, il estime notamment que « seuls les artistes qui abandonneraient leurs racines juives, si c’est possible, pourraient enfin de compte, s’exprimer » (c’est-à-dire créer réellement et non simplement copier ou imiter).
Voici donc la suite de la lettre du 18 avril : « Tu me poses une question à propos de « Judaïsme ». Tu sais certainement que l’article est de moi : pourquoi me le demander ? Si je l’ai publié sous un pseudonyme, ce n’est point par peur ; mais pour éviter que la question ne fût dénaturée par les juifs, et ne devînt une question personnelle. J’avais une vieille dent contre cette juiverie, et ce sentiment de rancune est aussi nécessaire à ma nature que la bile l’est au sang. Un jour vint où ce maudit griffonnage juif porta ma colère à son comble, et alors je finis par éclater ; le coup a porté ; il semble avoir été terrible, et j’en suis bien aise, parce que je voulais faire trembler ces gens-là. Car ils resteront les maîtres, c’est certain, de même qu’il est positif qu’aujourd’hui ce ne sont pas nos princes, mais les banquiers et les épiciers qui règnent. »
Il tente ensuite d’atténuer le courroux prévisible de Liszt à ces propos, en les relativisant : « Sous quels traits me vois-tu ?… Mais laissons cela. Ce sont des choses mondaines sur lesquelles nous pouvons parfois différer d’opinion sans jamais nous séparer quand il s’agit de chose divines. Ferme les yeux sur ce qui peut te déplaire dans ce que je dis là. »
De nombreuses lettres contiennent des attaques contre les juifs qu’il associe à la marchandisation de l’art.
En voici deux exemples :
30 mars 1853 : « Laisse donc, toi aussi, ces épiciers et juifs allemands : as-tu autre chose que cela autour de toi ? Ajoutes-y les jésuites et tu auras le compte ! Des épiciers, des juifs et des jésuites, voilà ce qu’il y a, mais d’hommes point ! ».
4 avril 1855, à propos de son séjour à Londres : « Sache-le : ici la mesquinerie, la sécheresse du cœur et la sottise pieusement entretenue sont gardées et protégées par des murs d’airain ; il n’y a qu’un gredin, un juif qui puisse réussir ici.«
IV La politique
Pour Wagner, la politique et l’art sont intimement liés, mais c’est le projet esthétique qui doit l’emporter sur le projet politique. L’œuvre d’art doit changer l’humanité, lui apporter le bonheur en transformant les rapports sociaux. L’art a une fonction politique et doit régénérer une société décadente. Malgré son aventure malheureuse pendant la révolution du printemps 1849, il reste attaché à un idéal humaniste et à un projet de société harmonieuse.
Lettre du 19 juin 1849 : « Je puis bien te l’affirmer à toi, personnellement : mes sentiments, qui se sont manifestés par une franche sympathie pour le mouvement populaire de Dresde, sont bien éloignés de ce fanatisme ridicule qui dans tout prince voit un ennemi à combattre, une victime à frapper… Tu connais la source amère de mon mécontentement, tu sais qu’il a pour origine la pratique de l’art que j’aime, que je l’ai entretenu avec passion et qu’enfin je l’ai laissé déborder et se répandre sur tous les objets qui, à mes yeux, se rattachaient nécessairement à la cause première de mon irritation. C’est ainsi que, par la force des choses, j’en vins à me dire : « Il faut que cela change ; cette situation ne peut plus durer… » Inutile de t’affirmer qu’à la suite de mon équipée, j’ai été pour toujours guéri de la politique ; tout être intelligent le comprendra sans peine. J’ai voulu redevenir et je suis redevenu artiste, rien qu’artiste… Cela me fait supposer que tu trouves le moment mal choisi pour intercéder en ma faveur auprès d’une cour (de Weimar) qui, naturellement, ne voit en moi que le révolutionnaire politique, ce qui lui fait oublier le révolutionnaire dans le domaine de l’art… ».
Lettre du 30 janvier 1852 au sujet du personnage d’Ortrud dans Lohengrin : « Ortrude est une femme… qui ne connaît pas l’amour. C’est tout dire et c’est dire ce qu’il y a de plus terrible. Elle ne vit que par la politique. Un homme politique est désagréable, mais une femme politique est horrible… Nous ne connaissons pas dans l’histoire de figures plus cruelles que celles des femmes politiques… Elle est une réactionnaire qui ne songe qu’aux choses anciennes, qui, par suite, est hostile à tout ce qui est nouveau, et cela dans le sens le plus furieux du mot : elle voudrait exterminer le monde et la nature, rien que pour rendre la vie à ses dieux évanouis. ».
Lettre du 13 avril 1853 écrite en réponse à une lettre de Liszt qui l’invite à retrouver la foi chrétienne : « Vois mon ami, moi aussi j’ai une foi puissante qui m’a valu, comme de raison, les railleries amères de nos politiques et de nos juristes ; je crois à l’avenir de l’humanité, et cette croyance, je la tire simplement d’un besoin de mon âme. »
Puis évoquant la nécessité de l’amour, il ajoute : « Cette force grandissant et devenant universelle créera un jour sur cette terre un état d’où nul n’aspirera à sortir pour aller dans un autre monde (devenu parfaitement inutile), car il sera heureux : il vivra et aimera. ».
V L’artiste : sa conception de l’art et l’œuvre de sa vie, l’Anneau du Nibelung
Sa conception de l’art
On connaît sa haute idée de l’art qui doit être à la fois total et rédempteur et l’appréciation négative qu’il porte sur les pratiques artistiques de son temps qu’il juge superficielles et décadentes.
Voici des extraits de correspondance dans lesquels Wagner affirme la primauté du drame et du poème sur la musique.
Lettre du 5 décembre 1849 au sujet d’un projet d’opéra pour Paris : « Or, voilà que se dresse la question du poème et du sujet lui-même : sur ce point, il faut que je déclare qu’il m’est absolument impossible de me borner à mettre en musique un poème à la composition duquel je serais resté tout à fait étranger ; non pas que je regarde la tâche comme étant au-dessous de moi, mais parce que je sais par expérience que je ferais une musique mauvaise et insignifiante. »
Lettre du 8 septembre 1850 évoquant une représentation de Tannhaüser à Dresde : « Mais si nous considérons loyalement et sans égoïsme la nature de la musique, il nous faut avouer qu’elle n’est, sur une grande échelle, qu’un moyen d’arriver au but : or, dans un opéra sensé, ce but c’est le drame, et celui-ci est, à coup sûr, entre les mains des acteurs sur la scène… Mais quelle est donc, à proprement parler, la chose principale, essentielle pour un chanteur ? Est-ce la voix seule ? – Certes non. C’est la vie et le feu, et avec cela une application sérieuse doublée d’une volonté forte, énergique… Il me fallut – figure-toi ma terreur – voir, par exemple, que dans le concours des chanteurs, mon Tannhäuser adressait l’hymne à Venus à… Élisabeth et que devant toute une assemblée, il criait en pleine figure à la plus chaste des jeunes filles les mots que voici : « Celui qui t’a serrée avec transport dans ses bras, celui-là, celui-là seul sait ce qu’est l’amour… » Le public resta déconcerté et ne savait plus où il en était. En vérité, j’ai pu voir à Dresde que le public ne s’est familiarisé avec le contenu dramatique de mon opéra qu’en lisant le livret in extenso, et que c’est seulement en faisant abstraction de la représentation proprement dite, en y mettant du sien par l’imagination qu’il a appris à comprendre la représentation elle-même… Dans une musique dramatique, chaque mesure doit se justifier en exprimant une idée qui se rapporte à l’action ou au caractère du personnage… ».
Aujourd’hui aussi, en fonction de certaines mises en scène décalées, les spectateurs devraient pouvoir faire abstraction de la représentation proprement dite. Encore faut-il en être capable, surtout que c’est encore plus difficile quand on a lu le livret in-extenso !
Lettre du 25 novembre 1850 dans laquelle il utilise une métaphore célèbre qui compare la musique à une femme : « Si je veux prouver que la musique, comme femme, doit être nécessairement fécondée par le poète, comme homme, il faut que je fasse en sorte que cette merveilleuse créature ne soit pas livrée au premier libertin venu, mais qu’elle soit uniquement fécondé par l’homme qu’un amour vrai, irrésistible, pousse à désirer cette femme. »
Pour compléter ces propos, voici deux courts extraits de lettres dans lesquelles il exprime sa difficulté pour composer de la musique :
16 décembre 1856 : « Tout ce que la nature m’a refusé, tout ce que le défaut de culture m’a interdit comme musicien, nul autre que toi ne peut y suppléer par un échange d’idées. Sans ce stimulant, mes faibles aptitudes musicales perdent nécessairement leur productivité ; je perds tout entrain, je me sens devenir lourd, je produis péniblement ; que dis-je ? La production peut devenir un supplice pour moi. »
8 mai 1859 : « Je ne saurais trop le dire combien je me sens piètre musicien ; la main sur ma conscience, je me tiens pour un vrai ignorant. Tu n’aurais qu’à me voir parfois quand je suis là à me dire : « il va tout de même falloir que ça marche » ; puis, quand je me mets au piano et que je rassemble quelque misérable fracas pour abandonner la partie comme un imbécile. Quel découragement alors ! Comme je reconnais bien qu’en musique je ne suis qu’un bousilleur ! »
Il y a certainement une part de coquetterie dans ces propos mais ils semblent cependant bien illustrer le fait que Wagner se considérait autant, si ce n’est plus, comme un poète et un dramaturge que comme un musicien.
L’œuvre de sa vie, l’Anneau du Nibelung
Il convient ici de rappeler brièvement la chronologie de sa composition : Le projet initial, « la Mort de Siegfried » date de la fin des années quarante. De 1849 à 1853, il écrit les quatre poèmes qui vont constituer la Tétralogie en partant de la fin et en terminant par l’Or du Rhin et les fait éditer sans en avoir composé la musique. Il commence la composition musicale en 1853 mais l’interrompt au milieu de Siegfried en 1857 et ne la reprendra qu’en 1869 pour la terminer en 1874.
Sa correspondance avec Liszt exprime tout l’enthousiasme du génie créateur :
Lettre du 25 novembre 1850 dans laquelle il évoque la reprise de son projet : « Oui, oui mon cher Liszt, c’est à toi que je dois de pouvoir bientôt redevenir tout à fait artiste. Je considère la reprise définitive de mes projets, à laquelle je reviens aujourd’hui, comme un des moments décisifs de ma vie. Entre l’exécution musicale de mon Lohengrin et celle de mon Siegfried, il y a pour moi un monde plein d’orages mais fécond, je le sais. J’avais tout un passé à liquider ; j’avais à mettre en pleine lumière ce qui n’existait autrefois qu’à l’état de vague lueur; à triompher de la réflexion née fatalement dans mon esprit, et cela par mes propres armes, par l’examen approfondi de son objet, pour me rejeter ; en pleine connaissance de cause, dans la belle inconscience de la création artistique. »
Lettre du 20 novembre 1851 où il justifie la nécessité d’écrire La Walkyrie et le prologue intitulé alors « l’enlèvement de l’or du Rhin » : « Une œuvre d’art et, par la suite, le drame seul ne peuvent produire leur plein effet que si, dans les moments importants, l’intention poétique est révélée complètement aux sens…Il faut que je présente mon mythe entier dans sa signification la plus profonde et la plus étendue, sous les traits les plus nets que l’art puisse lui donner afin de la faire comprendre parfaitement ; il ne doit rien rester en lui qui ait besoin d’être complété par la pensée, la réflexion ; il faut que tout être sensible et sans prévention puisse comprendre l’ensemble grâce à ses organes perceptifs, car à ce prix seulement il peut se pénétrer les moindres détails. Il me reste donc encore deux moments principaux de mon mythe à représenter, et tous deux sont indiqués dans le « Jeune Siegfried » ; le premier dans le long récit que fait Brünnhilde après son réveil ; le second dans la scène entre Alberich et le Voyageur au second acte et entre le Voyageur et Mime au premier acte.
Ce n’est pas seulement la réflexion de l’artiste, mais aussi le sujet merveilleux et extraordinairement fécond pour la représentation que m’offraient ces moments eux-mêmes qui m’a décidé… Figure-toi l’amour singulièrement funeste de Siegmund et de Sieglinde ; Wodan dans le rapport profondément mystérieux qu’il a avec cet amour ; puis, après sa rupture avec Fricka, le furieux empire qu’il exerce sur lui-même, lorsqu’il sacrifie à la coutume et qu’il décrète la mort de Siegmund ; enfin la merveilleuse walkyrie, Brünnhilde, lorsque, devinant la pensée secrète de Wodan, elle brave le dieu et est châtiée par lui ; figure-toi ce trésor d’émotions et tu comprendras que ce n’est pas simplement la réflexion, mais surtout l’enthousiasme qui m’a inspiré mon dernier plan !… Il faut que tout cet ensemble de drames soit représenté en même temps, dans une succession rapide… Il faut que la représentation de mes drames des Nibelungen ait lieu à l’occasion d’une grande fête et se déroule en trois jours consécutifs, à la veille desquels on donnera le prologue…
Quelque hardi, extraordinaire, peut-être même fantastique que mon plan puisse te paraître, sois bien convaincu qu’il s’est imposé à moi comme la conséquence nécessaire de l’essence et du fond du sujet qui m’a rempli tout entier, et que j’éprouve le besoin de traiter dans toute son étendue. Le traiter comme il m’est permis de le faire, au double titre de poète et de musicien, est pour le moment mon seul objectif : tout le reste doit m’être indifférent jusqu’à nouvel ordre. ».
Lettre du 15 janvier 1854 au sujet de la composition de L’Or du Rhin : « C’est avec une vraie fureur du désespoir que j’ai continué et terminé mon œuvre : ah ! Comme, moi aussi, j’étais pris dans ce filet, la misère de l’or ! Crois-moi, on n’a pas encore composé ainsi. Je m’imagine que ma musique est terrible : c’est un bourbier d’horreurs et de sublimités !«
Lettre du 17 janvier 1854 : « Cette œuvre est vraiment la seule chose qui me rattache à la vie. Quand je pense à des sacrifices à faire, quand je demande des sacrifices, c’est uniquement pour cette œuvre, car c’est elle seule qui me fait sentir que j’ai encore un but sur cette terre. C’est pour elle qu’il faut que je tienne bon, et que je reste ici où j’ai dressé ma tente et où je me suis fixé pour travailler. »
Lettre du 3 octobre 1855 à propos du deuxième acte de La Walkyrie : « Si cet acte est joué tout à fait comme je le voudrais, il produira certainement, si chacune des intentions est parfaitement comprise, une émotion profonde comme on n’en a jamais éprouvé au théâtre. Mais ces choses-là ne sont écrites que pour des gens bien trempés (pour personne, à vrai dire !) : ceux qui sont incapables de ressentir des émotions pareilles ou qui sont trop faibles pour les supporter se plaindront sans doute ; tant pis, cela ne saurait m’influencer.«
Lettre du 30 mars 1856 : « Je brûle de savoir comment tu trouveras le dernier acte, car en dehors de toi, je n’ai personne à qui je pourrais le communiquer avec fruit. Il est réussi ; c’est probablement ce que j’ai écrit de mieux jusqu’à ce jour. C’est une tempête terrible, tempête des éléments, tempête des cœurs, qui s’apaise graduellement pour finir par le sommeil magique de Brünnhilde.«
in WAGNERIANA ACTA 2010 @ CRW Lyon