Mvrw Zola Par Manet
Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER
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RICHARD WAGNER / EMILE ZOLA : Analogies et Correspondances

par Marie-Bernadette FANTIN-EPSTEIN

« Ce siècle s’appellera le siècle de WAGNER. » Joséphin PELADAN 1

« Négliger WAGNER, ce serait enfantin [. .,]
Seulement, au lieu de s’immobiliser avec lui, on peut partir de lui. » Emile ZOLA2

Le but de la présente étude n’est pas d’établir un parallèle rigoureux entre deux œuvres qui, a priori, ne semblent pas présenter beaucoup d’éléments communs. Cependant, pour être moins directement apparente que chez des écrivains comme Proust ou Claudel, l’imprégnation wagnérienne est un fait reconnu chez l’auteur des Rougon-Macquart. Notre propre sensibilisation au «wagnérisme» de Zola passe par la méthode analogique qu’ont en partie empruntée les musicologues André Coeuroy et Léon Guichard3, et surtout le romancier-essayiste Thomas Mann4, plutôt que par les voies d’une spécialisation directement zolienne comme  » l’étude de rythmologie romanesque  » d’Auguste Dezalay dans son ouvrage L’Opéra des Rougon-Macquart 5.

 

Le temps des batailles wagnériennes

On sait que Wagner a eu un « militant » en la personne d’Emile Zola lorsque Charles Lamoureux décida de monter Lohengrin au Palais Garnier, le 16 septembre 1891. Les pressions et les menaces furent telles qu’à la veille du spectacle certains choristes, affolés, refusèrent de chanter. Des wagnériens de la littérature, de la politique, du journalisme, s’offrirent pour les remplacer : parmi eux se trouvaient Zola, Clemenceau, Catulle Mendès, Fourcaud, Antonin Proust.

D’une manière indirecte l’Affaire Dreyfus ramène également à Wagner, puisque, en général, les « Dreyfusards» s’affirment wagnériens, ce qui s’explique aisément lorsqu’on connaît les options politiques de Richard Wagner, franchement situées dans une idéologie socialisante et reconnues comme telles à ce moment-là, alors que les « anti-dreyfusards » se trouvent parmi les nationalistes d’extrême-droite. Messidor (1897) date justement de cette époque et il n’est pas possible de penser aux thèses soutenues dans ce drame lyrique sans établir une corrélation, non seulement avec L’Or du Rhin, mais avec les mythes politiques de Wagner. Au-delà de l’attitude qui lui avait valu la proscription en 1849, après les événements de Dresde, ses Œuvres en Prose le montrent sincèrement attaché aux théories de Saint-Simon, de Lamennais et de son Art Social, et surtout de Proudhon. En 1898, paraît l’ouvrage de Bernard Shaw : Le Parfait Wagnérien qui connaît un grand retentissement. S’appuyant sur les textes en prose de Wagner, il donne une lecture socialiste de la Tétralogie en assimilant la société dépeinte dans Le Ring à la société industrielle de la fin du XIXème siècle 6. Wagner est revendiqué au même moment par le mouvement anarchiste, beaucoup moins pour ses relations passagères avec Bakounine, que pour des essais comme L’Art et la Révolution (1850), qui est réimprimé à ce moment-là à Bruxelles dans les Publications des Temps Nouveaux 7. Emile Zola se situe donc à une fin de siècle où l’on n’en finit pas de « retrouver» Wagner.
Mais qu’appelle-t-on «wagnérisme», en France, à la fin du XIXe siècle? Etre «wagnérien », c’est, avant tout, aimer l’œuvre de Wagner. C’est aussi une manière d’écrire ou de composer dans l’esprit de cette œuvre. Pourtant, ceux qui se font les champions d’une « musique française » totalement dégagée des emprises étrangères apparaissent souvent comme les vrais héritiers du wagnérisme, Saint-Saëns et Debussy, plus particulièrement8. A cette époque le «wagnérisme» apparaît comme une idéologie au même titre qu’une esthétique. Le témoignage le plus éloquent en la matière est la création de La Revue Wagnérienne par Edouard Dujardin, en février 1885 9. Tous les grands noms du Symbolisme y collaborent : Mallarmé, Verlaine, Moréas, Laforgue, Verhaeren, Maeterlinck, Henri De Régnier, Villiers De L’Isle-Adam, Catulle Mendès …, mais on n’y trouve pas de Naturalistes, amis de Zola. Ce sont les Symbolistes qui récupèrent Wagner et en font leur idole ; en croyant le  » servir  » ils ne réussissent, trop souvent, qu’à sombrer dans un pseudo-mysticisme obscur et pédant, qui va aboutir au snobisme10. Dans ses rapports avec Richard Wagner, Zola doit beaucoup à ses amis peintres : Cézanne d’abord, mais aussi Renoir, qui laissera un portrait inachevé du compositeur à la suite d’un voyage en Sicile où il avait fait sa connaissance – et aussi Fantin-Latour, auteur de lithographies, de dessins et d’aquarelles illustrant les drames wagnériens et collaborant à la fameuse Revue Wagnérienne.

Le seul roman de Zola qui nomme Wagner est L’Oeuvre. Le wagnérisme n’y apporte qu’une caution documentaire. On rencontre deux personnages, le peintre paysagiste Gagnière, vague caricature de Fantin-Latour, et une femme sotte et vulgaire, Mathilde, qui se disent «wagnériens» et ne sont que ridicules :

«… Et Wagner, Madame […] Wagner, ah ! Wagner, l’ouverture du Vaisseau Fantôme, vous l’aimez, dites que vous l’aimez. Moi, ça m’écrase. Il n’y a plus rien, plus rien, on meurt !. ..
Leurs voix s’éteignaient, ils ne se regardaient même pas, anéantis coude à coude, leur visage en l’air, noyés. »11

C’est déjà le ton du salon des Verdurin … Ailleurs, on entend Gagnière pérorer, plagiant Liszt et Baudelaire : il évoque le prélude de Tannhäuser, ou bien il relate les bagarres qui accompagnent les auditions de Wagner aux grands concerts parisiens. C’est la satire des snobs tels que Proust, dans La Recherche du Temps Perdu , et Willy, dans ses chroniques de l’Echo de Paris, nous les montreront. On ne peut donc voir dans le prétendu « wagnérisme» de ce roman que la peinture relativement extérieure d’un phénomène de mode, illustration d’un contexte historique.

Analogies …
Nous avons déjà évoqué l’originalité de l’écriture wagnérienne qui réside essentiellement dans le principe du leitmotiv 12. Cette technique consiste en la répétition de thèmes qui reparaissent en connotation avec des situations et des états d’âme. Paul Alexis décèle une disposition à la récurrence chez Zola, dès 1882. L’influence du wagnérisme a probablement exagéré en lui cette tendance naturelle.

On pourrait penser que dans Une Page d’Amour l’utilisation d’un thème unique et de ses variations, à la manière de Monet, représente une adaptation du leitmotiv wagnérien. Mais la rigoureuse symétrie des procédés dans l’enfermement du « cadre» de la fenêtre d’Hélène est en contradiction avec la souplesse et la malléabilité du leitmotiv wagnérien, la résultante en demeure plus picturale que musicale.

Il y a plus de wagnérisme chez Zola lorsqu’il utilise le procédé d’écriture qui consiste à composer des morceaux de bravoure à partir de sensations visuelles et olfactives, dont les éléments apparaissent successivement, en s’étageant comme une partition où s’affirment des rythmes, des hauteurs, des nuances et des timbres d’instruments. Ainsi, le Ventre de Paris nous joue l’immense partition des Halles, avec 1’«entrée» des poissons, l’ «entrée» des viandes, l’ «entrée» des fruits trop mûrs, et la célèbre « symphonie des fromages »13.
L’antithèse sublime de ce monde nauséabond est la « partition» des fleurs dans La Faute de l’Abbé Mouret. Le romancier transpose la mort d’Isolde de Wagner dans les pages consacrées à la mort d’Albine. Le mythe de Tristan et le drame lyrique du compositeur allemand ont marqué toute la littérature de cette époque. Paris est particulièrement sensible à la traduction en prose du Vaisseau Fantôme, de Lohengrin, de Tannhäuser et de Tristan, publiée par Wagner sous le titre insolite de Quatre poèmes d’opéras, et qui avait été, en réalité, faite par Challemel-Lacour 14. Zola a eu connaissance des textes de Wagner par cette traduction et il est troublant de comparer ces pages de Tristan avec celles de la mort d’Albine. L’impression est encore plus forte si l’on écoute simultanément la musique de Wagner. Emile Zola semble avoir voulu réaliser l’osmose entre la traduction en prose du livret, la musique et son propre texte15.
L’écriture de Zola tire sa respiration lyrique d’une véritable obsession de synesthésies. Albine « écoute » les «parfums », comme Renée, dans La Curée, est sensible à «la musique étrange des odeurs» de la serre 16. Le suicide d’Albine nous transporte dans une atmosphère de fantastique et d’irréalité, créée par une profusion de plantes réunies là en dépit de toute logique botanique : elles ne fleurissent pas à la même saison ! Cette mort ressemble à un orgasme, dans le même sens que l’assomption d’Isolde, au IIIème acte de Tristan, où l’orchestre reprend les effluves musicaux de la scène d’amour du IIème acte – interrompus par une dissonance à l’arrivée du roi Marke -, pour aboutir avec l’expiration d’Isolde transfigurée, à la résolution que l’on attend depuis l’étrange distorsion du prélude du Ier acte. La musique halète, des bouffées musicales se superposent, s’entremêlent étourdissantes, étouffant le dernier cri d’Isolde (« Lust »), emportée dans un « océan de délices » sonores :
« Faut-il respirer ? Faut-il prêter l’oreille? Faut-il m’abreuver, me plonger, me noyer doucement dans ces vapeurs? [… ] dans la sonore harmonie des vagues de parfums » 17

De la même façon, dans sa chambre débordant des fleurs et des plantes odorantes arrachées au Paradou, Albine « fut bientôt toute vibrante des sonorités prodigieuses qui éclataient autour d’elle [… ] pâmée, mourante [elle] haletait. Elle ouvrait la bouche, cherchant le baiser qui devait l’étouffer, quand les jacinthes et les tubéreuses fumèrent, l’enveloppèrent d’un dernier soupir, si profond, qu’il couvrit le chœur des roses. Albine était morte dans le hoquet suprême des fleurs. »18

Faisant pendant au merveilleux Paradou, La Curée (1871) avait déjà montré une serre luxuriante et maléfique: univers de séduction fatale proche du Vénusberg de Tannhäuser ? Intuition du jardin du IIème acte de Parsifal (1882) où les filles-Fleurs se confondent avec les plantes ? L’exaspération végétale de la serre qui prend au piège de ses tentations Renée et Maxime en pervertissant leurs sens évoque moins Phèdre que Vénus ensorcelant le chevalier Tannhäuser ou que Kundry rencontrant l’androgyne Parsifal au château de Klingsor. Dans l’abondance des feuilles et des fleurs, fruits des « noces puissantes »19 de la terre, sous les arbres aux sucs vénéneux, Renée frissonne de jouissance et de prémonition mortelle. Il y a en elle certains aspects de l’ambiguïté de Vénus, et surtout de Kundry, qui vit la contrainte magique de sa sensualité avec une nostalgie d’amour maternel.
La condensation symphonique de grands moments d’intensité lyrique, dans La Faute de l’Abbé Mouret comme dans La Curée, nous fait découvrir une nature surréelle où les personnages évoluent dans un état hallucinatoire. Le Paradou et la serre sont deux partitions inversées – l’endroit et l’envers de ce que Wieland Wagner, parlant de la mort d’Isolde, appelait des noces avec l’Eros cosmique. La nature, chez Zola, ce Provençal, est pleine d’une vie débordante qui prend une extension exceptionnelle en s’opposant par vastes antithèses au monde de la Nuit. Dépassant la référence à Tristan ou à Tannhäuser, l’œuvre de Zola, dans des affrontements bibliques ou mythiques, retrouve Wagner, mais celui du Ring, Wagner le Saxon, nostalgique de l’univers méditerranéen, le Wagner de l’Ombre opposée à la Lumière, qui est le conflit fondamental de la Tétralogie. A l’Or interdit des profondeurs du Rhin, que la Nuit de la Forge transforme en objet de corruption, correspondent chez Zola les entrailles de la Ville et celles de la Terre, les effrayantes débauches d’odeurs pourrissantes du Ventre de Paris et les miasmes mortels des galeries de Germinal. A la beauté radieuse du Frêne Yggdrasill, l’Arbre qui porte le Monde jusqu’ au ciel, celui qui a vu Odin-Wotan commettre, hélas, la faute originelle, correspond chez Zola l’arbre géant du Paradou, dont les branches sont «pareilles à des membres protecteurs », dans sa « solitude nuptiale, toute peuplée d’êtres embrassés, chambre vide, où l’on sentait quelque part, derrière les rideaux tirés, dans un accouplement ardent, la nature assouvie aux bras du soleil »20. C’est l’arbre du jardin d’Eden, l’arbre des mythologies, dilaté dans des métaphores pleines de sensualité, de couleurs, de parfums proches du Cantique des Cantiques. On est entraîné, pris de vertige, dans une sorte de folie d’images, dans un monde magique, où les « partitions» de Zola, telles les grandes fresques orchestrales de Wagner, ne se contentent pas de créer une « impression » chez l’auditeur, mais le forcent à être « actif». On retrouve, de part et d’autre, cette même volonté farouche d’entraîner, d’envoûter, de séduire, aussi.

Correspondances dramatiques : Or Du Salat ou Or Du Rhin ?

Le rêve de réaliser en littérature une synthèse comparable à celle du drame wagnérien existait-il chez Zola ? Il semble que oui.

« Oh ! Wagner, le dieu en qui s’incarnent des siècles de musique! Son œuvre est l’arche immense, tous les arts en un seul, l’humanité vraie des personnages exprimée enfin … » 21, s’exclame le peintre paysagiste Gagnière. Patrick Brady, dans son excellente étude de ce roman, remarque, sous la plume de Zola, l’utilisation fréquente de l’expression «l’Arche immense» pour évoquer l’œuvre qu’il souhaite réaliser.
Or c’est l’image qui, pour Zola, paraît définir aussi la création artistique de Wagner. En 1874, dans la préface des Nouveaux Contes à Ninon, il écrit: «Je voudrais coucher l’humanité sur une page blanche, tous les êtres, toutes les choses : une œuvre qui serait l’arche immense. » Il place plusieurs fois l’expression dans la bouche de son « double», le Sandoz de L’Œuvre. Patrick Brady, pour sa part, conclut ainsi : « Cette expression « l’Arche immense», souligne sans doute le côté épique de l’œuvre de Wagner, comme celle de Zola lui-même, aspect que l’article de Jules Lemaitre [sic] sur Germinal vient de souligner, en mars 1885. »22
Les pages quasi-symphoniques où s’organise une mise en théâtre, Les Rougon-Macquart en foisonnent. Prenons l’exemple très connu de la scène de la grève, dans Germinal. Les jeux d’ombres et de lumières, la présence de la lune, la rumeur des arbres et celle de la foule, les silences et les cris, composent une scène de drame lyrique, avec une construction pyramidale qui n’est pas sans évoquer la conclusion du Crépuscule des Dieux. Les thèmes se succèdent, sont repris, se mêlent, comme dans l’orchestre, et l’image finale surgit du cataclysme :
« Une armée poussait des profondeurs des fosses une moisson de citoyens dont la semence germait et ferait éclater la terre, un jour de grand soleil »23
On pense au dernier leitmotiv de la partition du Crépuscule qui est le message d’espoir laissé au monde par Brünnhilde : le thème wagnérien de la Rédemption par l’Amour monte à travers la renaissance et la germination zoliennes24.

Parmi les livrets d’opéras que l’écrivain rédige pour son ami, celui qui nous semble présenter le plus d’intérêt est Messidor (1897) car c’est par cette œuvre qu’une violente polémique éclate, répercutée par la presse de l’époque : Zola se voit accusé de «plagiat» sur Wagner et son Or du Rhin. Il n’en reste pas moins attaché à ses convictions et réaffirme que «respecter Wagner, lui être fidèle, c’est créer un art national comme le fut le sien.»25.
Wagner lui-même se plaisait à dire: « Ne soyez d’aucune école, surtout pas de la mienne »26. Il a fréquemment répété que « le comprendre », ce n’était pas « l’imiter», mais qu’après lui, les artistes devraient considérer le wagnérisme comme une incitation à trouver dans leurs propres racines l’essence d’une œuvre originale.

Emile Zola avait fait paraître en 1893 dans Le Journal une longue étude intitulée « le Drame Lyrique »27. Il insistait, dans cet article, sur l’importance d’un bon livret, et déclarait que pour réaliser l’opéra idéal, il était indispensable que le compositeur « soit son propre librettiste» : c’est littéralement le programme wagnérien.

Mais, par égard pour son ami Bruneau, Zola ajoutait que des relations privilégiées entre artistes  » complémentaires  » pouvaient aboutir au même résultat. Tout en étant conscient des difficultés à surmonter pour écrire « après Wagner», Zola terminait en faisant l’apologie d’un livret «réaliste », peignant « la vie, la vie partout, même dans l’infini du chant ». Par des moyens «naturalistes », Zola, dans Messidor, transpose le mythe où Wagner, dans L’Or du Rhin, oppose la volonté de puissance à l’amour. Dans La Tétralogie, la violence faite à la nature entraîne la fin d’un monde, le cycle se referme et ce ne sera qu’un éternel recommencement, tant que les hommes n’auront pas compris le message d’amour de Brünnhilde.
Le Messidor de Zola fait de ses héros des montagnards de la vallée de Bethmale, en Ariège, où coule un ruisseau qui charrie des pépites d’or28 .Un des leurs construit une usine sur le cours d’eau et barre ainsi, à son unique profit, la route de l’or. Une avalanche détruit l’usine, transforme la rivière en eau souterraine qui rendra aux habitants, avec l’amour et la prospérité, son or transmué en moissons. Zola invente la « légende de l’or », qui est peut-être un désir de rappeler les superstitions des hautes vallées montagnardes, mais dont les symboles nous ramènent étrangement à L’Or du Rhin29. Même si, chez Wagner, l’eau ne réussit pas à empêcher la prolifération de l’or maudit, forgé en anneau à des fins mercantiles, et si chez Zola, au contraire, l’eau devient plus importante que l’or puisqu’elle permet la germination qui le réincarne en moissons, les deux œuvres ne montrent pas autre chose qu’un monde blessé qui ne peut être sauvé que par l’amour. Mais il faut bien avouer, à propos de Messidor, que les réelles qualités de la partition de Bruneau30 – un discours lyrique continu – parviennent difficilement à animer un livret qui procède par juxtapositions d’éléments dont l’ensemble ne réussit pas à prendre « vie». Le drame wagnérien, lui, sait tirer du mythe l’essentiel de la vie.
Tout Messidor, même son discours social, est dans La Tétralogie. L’inverse pourrait-il se vérifier ? Il semble bien que ce soit dans les promesses du messianisme de Brünnhilde que rayonnent le message de Fécondité, l’hymne à la Terre et à l’Amour.
En définitive, Emile Zola apparaît bien comme le plus « wagnérien» de tous les écrivains français de la fin du siècle, bien plus que ceux qui se sont ostensiblement réclamés de Richard Wagner. Mais ce n’est pas lorsqu’il se réfère ouvertement à son œuvre que Zola est le plus proche de lui. C’est par son caractère même, par le côté visionnaire de ses cycles romanesques, par son style épique, qu’il rejoint le Maître de Bayreuth, dans son souhait de créer « la grande arche» …

 

Notes

  1. Joséphin Péladan, L’Art idéaliste et mystique (1894), Paris. Cité par André Cœuroy, WAGNER et l’esprit romantique, Paris,
    Gallimard, 1965, p. 304 (ch. IX consacré à l’influence de WAGNER sur les Naturalistes).
    2. Alfred Bruneau, A l’ombre d’un grand cœur, Paris, Charpentier, 1932, p. 65.
    3. Léon Guichard, La Musique et les Lettres en France au temps du wagnérisme, Paris, PUF, 1963 ( p. 213-216).
    4. Thomas Mann, Souffrances et grandeur de Richard WAGNER, texte traduit en 1933 et publié à Paris chez Fayard; rééd. sous le titre WAGNER et notre temps (Paris, Brodard et Taupin, 1982), p. 57 et note 4, p. 221, citant des extraits de Présence de ZOLA, paru en trad. française chez Fasquelle en 1953.
    5. Auguste Dezalay, L’Opéra des Rougon-Macquart, «étude de rythmologie romanesque», Paris, KlinckSieck, 1983.
    6. Bernard Shaw, The Perfect Wagnerite, Londres et New York, 1898. C’est dans cette perspective que s’inscrivent beaucoup de mises en scène contemporaines, notamment celle de Patrice Chéreau, en 1976 à Bayreuth à l’occasion du centenaire du Ring.
    7. Il est important de rappeler qu’en 1939 il existe (aussi) des gens qui publient une traduction de la Tétralogie, sous-titrée ‘Bible d’un anarchiste’ : c’est le cas d’A. de Malander (Collection « La Belle Equipe », édition « Les Humbles », 1939).
    8. Pelléas et Mélisande est un héritage direct du wagnérisme. Proust ne s’y était pas trompé, qui avait eu en 1911 la révélation de l’œuvre. Il compare l’opéra de Debussy à Tristan et Parsifal.
    9. La « Revue » paraît jusqu’au printemps 1888. Son fondateur, E. Dujardin, est l’auteur d’un roman « wagnérien » : Les Lauriers sont coupés, où il déclare utiliser la technique du leitmotiv dans le « monologue intérieur,. – manière qui influencera l’écriture de Joyce dans Ulysse.
    10. Voir pour cela la thèse d’Emilien Carassus, Le Snobisme dans les Lettres Françaises, Paris, Colin, 1966, p. 293-313 (4ème partie, chap. « Les Musicomanies »).
    11. Emile ZOLA, L’Œuvre, Paris, Gallimard, rééd. 1983, p. 378.
    12. Voir note 9 concernant le roman de Dujardin.
    13. Emile ZOLA, Le Ventre de Paris, Paris, Garnier-Flammarion, rééd. 1971, p.156, p 241, p. 233, p. 296,300.
    14. Quatre poèmes d’opéras, suivi de la Lettre sur la Musique, trad. Challemel-Lacour autorisée par WAGNER, paraît en 1861 à la Librairie Nouvelle (elle fera l’objet de nombreuses rééditions). ZOLA n’a pu avoir en mains que cette traduction. La première
    version scénique pour la création française de Tristan à Paris était d’Alfred ERNST (Nouveau Théâtre, 1899).
    15. Tristan et Isolde fut créé à Munich en 1865. Il faut noter que la première représentation en français n’aura lieu qu’en 1893, à
    Monte-Carlo. Le prince Albert de Monaco était un fervent wagnérien et un « Dreyfusard » militant. L’œuvre ne sera donnée à l’Opéra de Paris qu’en 1904, mais les concerts Lamoureux et Colonne ont déjà inscrit régulièrement des extraits du répertoire wagnérien à leur programme, en particulier la « Mort d’Isolde ».
    16. Emile ZOLA, La Faute de l’Abbé Mouret, Paris, Fasquelle, rééd, 1978, p. 421, et La Curée, Paris, Fasquelle, rééd. 1984, p.57.
    17. Challemel-Lacour, ouv. cit. p. 373.
    18. La Faute, ouv. cit. p. 422.
    19. La Curée, ouv. cit.. p. 57.
    20. La Faute, ouv. cit., p. 267.
    21. L’Œuvre, ouv. Cit, p. 218.
    22. Patrick Brady, L’Œuvre d’Emile ZOLA, Genève, Droz, 1968, p. 346.
    23. Germinal, ouv. ciL, p. 239.
    24. Voici le « message » laissé par Brunhilde aux hommes de l’avenir après la catastrophe finale : « Comme la fumée se dissipe, la race des Dieux a passé / Je laisse le monde sans guide / Mon haut savoir est le trésor que je lui donne / Plus de biens, plus d’or, plus de fastes divins / Plus de maisons ni de burg / Plus de maîtres suprêmes !… / Plus rien de la menteuse tyrannie des pactes obscurs / Et de la dure contrainte des hypocrites conventions / Pour être heureux en joie ou en peine / Faites régner seul – l’Amour » (texte non mis en musique).
    25. A. Bruneau, ouv. cit., p. 92.
    26. Lettre sur la Musique, ouv. cit. (note 14).
    27. A. Bruneau, ouv. cit, p. 59 à 66.
    28. L’Ariège est célèbre pour ses rivières contenant des paillettes; la plus connue, le Salat, se situe justement dans une vallée proche de celle de Bethmale.
    29. La « légende de l’Or » est un Ballet situé au IIIème acte, ce qui resitue l’œuvre dans la tradition de l’opéra français, mais rappelle aussi le ballet du Vénusberg dans Tannhäuser.
    30. Un intéressant travail de recherche a été consacré à l’oeuvre d’A. Bruneau, et notamment à Messidor, par Alain Jouffray (CNRT).
    On trouve une information plus générale sur le théâtre de ZOLA et ses livrets d’opéras chez Lawson A. Carter (1963), F.W.J. Hernmings (1966) et plus récemment chez J.M.Guien (1983).
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De 1876 à 1878, Wagner vécut une idylle particulièrement intense avec une jeune Française dont la beauté, l’intelligence et les parfums l’avaient envoûté. Qui était-ce ?
Réponse :

Judith Gautier (1845-1917). L'écrivaine était la fille du poète Théophile Gautier. En raison de son tempérament impétueux, elle était surnommée « l'ouragan ». Elle servit de modèle à Wagner pour le personnage de Kundry (Parsifal).

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