Mikhaïl Alesksandrovitch BAKOUNINE

Cette section présente une série de portraits biographiques de ceux qui ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à l’édification de l’œuvre wagnérienne. Des amitiés ou des inimitiés parfois surprenantes ou inattendues, des histoires d’amour passionnées avec les femmes de sa vie, parfois muses et inspiratrices de son œuvre, mais également des portraits d’artistes (chanteurs, metteurs en scène, chefs d’orchestre…) qui, de nos jours, se sont “appropriés” l’œuvre du compositeur et la font vivre différemment sur scène.

BAKOUNINE Mikhaïl Aleksandrovitch

(30 mai 1814 – 1er juillet 1876)

Révolutionnaire, théoricien de l’anarchisme, philosophe.

Issu d’une ancienne famille russe d’origine hongroise, Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine abandonne la carrière militaire et s’inscrit à l’université de Moscou, contre l’avis de son père. En 1840, il part pour l’Allemagne et s’inscrit à l’université de Berlin. Il y intègre un groupe de jeunes hégéliens. En 1842, il rejoint Dresde où il découvre la pensée socialiste française (Proudhon, Louis Blanc, Fourier). Inquiété par la police tsariste, il quitte Dresde pour la Suisse, puis poursuit en Belgique et termine son périple en France. C’est à Paris, en 1844, qu’il rencontre pour la première fois Marx et Engels. Il apprend à la même époque qu’un oukase du tsar lui retire ses titres de noblesse, sa citoyenneté russe et le condamne par contumace à la déportation en Sibérie. Il se rapproche alors des Polonais en exil, devient ami avec George Sand et rencontre Proudhon. Bakounine prône le soulèvement de la Pologne contre la Russie et que les masses populaires russes doivent se révolter contre le régime tsariste.

La révolution de 1848 à Paris réveille le caractère impétueux de Bakounine qui devient désormais très actif. Après de multiples actions en Allemagne, il se retrouve à Dresde en 1849 pour initier des projets révolutionnaires en Bohème. Comme le roi de Prusse refuse le projet constitutionnel du parlement de Francfort et veut réprimer militairement les poussées démocratiques, une insurrection à Dresde est lancée à partir du 2 mai 1849. Face à l’ampleur de celle-ci, le roi de Saxe, Frédéric-Auguste II, et ses ministres quittent la ville et la laissent entre les mains des insurgés. Par son ardeur, Bakounine devient rapidement un des leaders du mouvement, mais l’armée prussienne encercle la ville et Bakounine doit quitter Dresde en toute hâte.

C’est durant cet épisode que Richard Wagner fait la connaissance de ce personnage pittoresque et révolutionnaire. A Dresde avec Minna depuis 1842, où il est chef d’orchestre du grand théâtre de la ville, Richard Wagner s’est engagé politiquement et il aurait même publié le 8 avril un essai anarchiste, La Révolution,  dans les Volksbätter de Röckel. C’est justement ce même August Röckel qui présente Bakounine à Wagner. Bakounine se dissimule à cette époque sous le pseudonyme de Dr Schwartz. Les deux hommes sympathisent, alors même que –fait rare dans les amitiés wagnériennes- le révolutionnaire n’aurait porté tout d’abord aucun intérêt au projet wagnérien si l’on en croit certains historiens. Il aurait même refusé d’entendre parler des projets d’opéras. Mais lors d’un concert où Richard Wagner dirige la IXème Symphonie de Beethoven, Bakounine va voir son ami et dans Ma Vie, Wagner relate les propos du révolutionnaire : « si toute la musique devait disparaître dans l’inéluctable embrasement du monde, il faudrait s’unir et risquer sa vie pour conserver cette symphonie. »

Il est intéressant de comparer les écrits de Wagner avec ceux de Bakounine de cette époque, comme celui-ci : « Je suis un amant fanatique de la liberté, la considérant comme l’unique milieu au sein duquel puissent se développer grandir l’intelligence, la dignité et le bonheur des hommes ; non cette liberté formelle, octroyée, mesurée et réglementée par l’Etat, mensonge éternel et qui en réalité ne représente jamais rien que le privilège de quelques uns fondé sur l’esclavage de tout le monde ; […] Non j’entends la seule liberté qui soit vraiment digne de ce nom, la liberté qui consiste dans le plein développement de toutes les puissances matérielles, intellectuelles et morales qui se trouvent en l’état de facultés latentes en chacun : la liberté qui ne reconnait d’autres restrictions que celles qui sont tracées par les lois de notre propre nature. »

Wagner, lui, écrit dans les Volksblätter :

« Je détruirai la domination d’un individu sur les autres, des morts sur les vivants, de la matière sur l’esprit ; j’anéantirai la force des puissants, de la loi et de la propriété. Je détruirai l’ordre établi qui divise l’humanité unie en peuples ennemis en puissants et en faibles, en légitimes et en hors-la-loi, en riches et en pauvres, car cet ordre fait de nous tous des malheureux.[…] Que soit détruit tout ce qui vous opprime et vous fait souffrir. Et des ruines de ce vieux monde, que surgisse un monde nouveau, plein d’un bonheur jamais ressenti. »

Wagner est « partagé entre la peur et l’admiration » face à ce personnage qui bien qu’à son écoute, bien que prenant parti pour des réformes du monde musical, ce qui fortement apprécié par le jeune chef d’orchestre ambitieux, est quelque peu effrayant par ses théories terrifiantes et son mépris pour le socialisme français à la Proudhon. Le but de Bakounine est l’anarchisme et la destruction de la société avec ses institutions.

A la même époque, Richard Wagner projette de composer un opéra sur Jésus de Nazareth, cherchant à développer le caractère révolutionnaire du Messie. Bakounine se désintéresse totalement de ce projet et recommande à Wagner de représenter Jésus « en homme faible ».

Pendant la lutte révolutionnaire, le fougueux Richard Wagner rejoint Bakounine, il grimpe au clocher de la Kreuzkirche pour observer les mouvements des troupes prussiennes et avertir les insurgés. Le 16 mai 1849, la police de Dresde lance un mandat d’arrêt contre Richard Wagner qui réussit à fuir, grâce à un passeport périmé fourni par un ami. Kietz témoigne qu’avant le départ de Dresde le perroquet de Wagner ne cessait de répéter « Richard Liberté ! »

Menant désormais des routes séparées, les deux hommes conservent l’un pour l’autre une estime et une loyauté réciproques. Ainsi Bakounine a cherché à protéger Wagner puisque lorsqu’il est interrogé par la police, il nie s’être lié politiquement au compositeur qu’il qualifie même d’ « original ». Et plus tard, alors que Bakounine habite près de chez Wagner en Suisse, il se refuse à lui rendre visite pour ne pas le compromettre d’avantage. Et jusqu’à la fin de sa vie, comme en témoigne le Journal de Cosima (7 juillet et 16 octobre 1878), Richard Wagner restera un grand admirateur de l’anarchiste russe qu’il désigne comme « l’image personnifiée de l’avenir de la Russie et qui avait été un « sauvage et grand seigneur. »

CPL

 

Pour l’anecdote :
L’étrange et fascinante relation – unique en son genre – qui unit et marqua si profondément le théoricien idéaliste de la politique et celui, non moins idéaliste de la musique (alors qu’elle ne dura que quelques semaines à peine) fut l’objet d’un très intéressant – quoique fort méconnu – documentaire pour la télévision allemande et réalisé par Carlheinz Caspari en 1970.
– DIE BARRIKADE. RICHARD WAGNER UND MICHAEL BAKUNIN – EINE BEGEGNUNG, une fiction de Carlheinz Caspari pour la télévision (Allemagne, 1970)
Production : Norddeutscher Rundfunk Diffusion : ARD le 19.7.70) / Format :106 min.
avec Franz Gary (Michel Bakounine), Werner Dahms (Richard Wagner), Elisabeth Ackermann (Mme Wagner), Dieter Stengel (Gottfried Semper), Gerd Martienzen (August Röckel), Kurt Conradi (Amtmann Heubner), Hans Joachim Schmidt (Dr. Munde).

 

Voir également : 
-« Vies et visages de Richard Wagner à travers cent ans de réalisations cinématographiques (1913-2013»

 

 

 

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