Naissance :

7 décembre 1801

Mort :

25 mai 1862

Chanteur d’opéra, acteur, auteur, dramaturge et directeur de théâtre autrichien

Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER
Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER

Johann NESTROY

par Nicolas CRAPANNE

Il n’est guère de personnage qui su se montrer artiste aussi complet que Johann Nestroy. Personnalité charismatique et haute en couleurs, aussi enthousiaste qu’il se montrait prêt à relever tous les challenges, il n’hésita pas, et ce malgré une courte vie de soixante ans à peine, à troquer son costume d’acteur, de chanteur et de musicien pour celui d’écrivain et de dramaturge et de directeur de théâtre. Et… quelle carrière !

Destiné tout d’abord à embrasser la voie sage d’une carrière juridique, Nestroy exerça tout d’abord (et avec un indéniable talent), le métier de chanteur d’opéra entre 1822 et 1831. Une carrière qui conduisit l’artiste de Vienne… à Amsterdam, puis à travers l’Europe – villes dans lesquelles l’artiste en profita pour « prendre l’air du temps » et s’inspirer d’un début de XIXème siècle foisonnant en explosions de courants artistiques des plus créatifs et des plus divers. Muni d’un répertoire à nul autre artiste de son temps comparable, Nestroy retournera ensuite dans sa ville natale, Vienne. C’est dans cette ville qu’il s’imposera non seulement en tant qu’acteur mais surtout en tant qu’auteur de pièces de théâtre à succès, discipline dans laquelle il ne tarda pas à se faire connaître… et reconnaître. Tant et si bien qu’il fut bien vite considéré et appelé par certains de ses contemporains comme « le Shakespeare autrichien » ou bien encore « l’Aristophane viennois ».

MVRW Carltheater WienContrairement à Shakespeare cependant, la carrière de dramaturge de Nestroy remporta un succès relativement immédiat : dès 1833, sa pièce Lumpacivagabundus reçut un important écho dans la société intellectuelle viennoise et son auteur devint d’emblée l’une des figures majeures de la vie culturelle et sociale de l’Autriche tout entière. C’est dans cette période qu’il succéda à Ferdinand Raimund comme directeur artistique des spectacles viennois. Et qu’il régna, seul, en maître absolu sur la scène théâtrale viennoise.

Mais alors que Raimund, héritier d’une tradition plus conventionnelle, avait préféré privilégier la production de fantaisies magiques et romantiques (souvent d’ailleurs fort pâles pour ne pas dire… médiocres), Nestroy changea radicalement le cap de l’orientation des spectacles viennois, en imposant la comédie à portée parodique, voire parfois critique. Opposé à une société des plus conservatrices (incarnée à elle seule par le sévère ministre Clemens Metternich), l’homme de théâtre dut jouer habilement avec les sous-entendus et les limites de la polémique ouverte pour pouvoir exprimer ses talents de critique de la société à travers sa prose et ses vers. Une pratique d’ailleurs caractérisée par l’emploi d’une langue, habile mélange de langage populaire viennois et d’expression savante ce qui fit de lui … que l’on étudie encore de nos jours son expression dramaturgique et littéraire comme un modèle « à part » et que ce dernier est étudié dans les universités germanophones.

Enfin, Nestroy fut également considéré comme l’un des précurseurs quant à l’utilisation de la musique pour souligner l’action théâtrale, le chant soulignant l’action théâtrale et faisant partie intégrante de l’action.

MVRW Johann-Nestroy+Die-schlimmen-Buben-Lustsp-Johann-NestroyImmensément productif, Johann Nestroy écrivit plus de quatre-vingts pièces durant une période couvrant les années 1840 et 1850. Parmi les plus célèbres d’entre elles, les comédies burlesques LumpacivagabundusLiebesgeschichten und HeiratssachenDer TalismanEinen Jux will er sich machen ou encore Der Zerrissene : toutes sont marquées par une profonde critique sociale épaulée par un sens aigu de la satire particulièrement cinglante.

Par nature opposé aux goûts d’une intellegentsia qui se piquait de modernité absolue et qui déjà portait l’art de Richard Wagner à une destinée triomphale, Nestroy, en réaction contre le compositeur de « la Musique de l’Avenir », n’hésita pas à s’imposer en tant que détracteur de celui-ci et signa deux parodies qui, du moins pour la première, connurent un certain succès : Tannhäuser, farce du futur sur une musique du passé avec des acteurs du présent ainsi que Lohengrin, opéra du futur.

Contemporain des styles Restauration et Louis-PhilippeJohann Nestroy fut l’un des éminents représentants du mouvement artistique Biedermeier, courant qui désigna la culture et l’art bourgeois apparus à cette époque.

Si Nestroy et son oeuvre sont aujourd’hui un peu oubliés (pour autant encore défendus de nos jours par la très active Internationale Nestroy-Gesellschaft, voir plus bas), ceux-ci ne manquent toutefois pas d’intérêt pour mieux comprendre l’évolution d’une culture, prise entre l’attachement à un classicisme sécurisant – celui d’une Antiquité idéalisée – et l’attrait pour de nouvelles formes d’expression artistique, dont l’art de Richard Wagner se révéla l’une des productions les plus abouties.

 

Eléments biographiques

Des années de formation,
entre études de droit… et passion pour le théâtre

MVRW RacibórzJohann Nepomuk Eduard Ambrosius Nestroy nait deuxième d’une fratrie de huit enfants d’une famille de citoyens viennois respectée et originaire de Ratibor en Silésie (aujourd’hui Racibórz, en Pologne).

Tout comme son père, avocat de renom, le jeune Nestroy a initialement pour but de poursuivre une carrière juridique, sur les traces de son père. La question de l’avenir du jeune homme à vrai dire ne se pose même pas, bien que ce dernier, dès son plus âge, ait déjà manifesté un intérêt plus que certain pour le théâtre. Après une scolarité passée sur les bancs de l’Akademische Gymnasium (1811-1813), puis au Schottengymnasium à partir de 1814, le jeune Nestroy (orphelin de sa mère, Magdalena, qui décéde la même année), n’hésite pas à imposer à son père ses goûts artistiques auprès de son père et donne ainsi son premier concert en tant que pianiste.

C’est la « voie de la raison » qui emporte un temps le jeune Nestroy qui, suivant la volonté de son père, entame des études de philosophie (à partir de 1819), puis de droit, à l’Université de Vienne, à partir de 1820. Ce qui n’empêche pas notre « artiste contrarié » de se produire dans différents concerts (ainsi le voit-on notamment interpréter, le 8 décembre 1818, la partie solo de basse dans un oratorio de Georg Friedrich Händel dans un concert donné à la Redoutensaal de la Hofburg).

Après avoir terminé ses études en 1822, Johann Nestroy commence véritablement sa carrière artistique en tant que chanteur (basse) au Kärntnertortheater ainsi qu’au Hofoper de Vienne : son premier rôle au cours d’un représentation publique (24 août 1822) est Sarastro dans La Flûte enchantée de Mozart. A l’occasion de cette première prestation publique, la critique se montre extrêmement enthousiaste, louant la voix chaude et puissante de l’artiste ainsi qu’une présence scénique indéniable (devant les acclamations du public, le jeune chanteur doit même bisser l’air du deuxième acte). Une deuxième représentation a lieu le 31 août, réitérant les acclamations tant du public que de la critique : c’en est fait de la carrière juridique de Nestroy. Enorgueilli de ces tous premiers succès, il embrasse la carrière… d’artiste. Sur la scène, du moins… pour le moment !

 

Premiers débuts artistiques viennois

MVRW WIEN HoftheaterJohann Nestroy poursuit cette carrière de chanteur d’opéra aux débuts fulgurants et fait ses débuts dans d’autres rôles du répertoire, multipliant les prises de rôle et se forgeant un répertoire tout aussi dense. La même année de ses débuts, soit le 8 octobre 1822, Nestroy signe un contrat de deux ans sur la scène du Hoftheater de Vienne, ce qui lui assure la confortable rente de six-cent florins.

Vienne et ses théâtres à l’époque présentent un foisonnement culturel extraordinaire par toutes les formes d’expression artistique et théâtrale. Il en faut peu à Nestroy pour goûter pour la toute première fois de sa carrière à un répertoire plus populaire et c’est ainsi qu’il se produit dans des rôles à caractère humoristique sur la scène du Zwettlingers Hausheater, en parallèle à ses emplois de basse « sérieuse » sur la scène du Hoftheater.

Mais à Vienne, l’acteur doit faire face aux difficultés de la compétition ainsi qu’à des perspectives de carrière de facto assez limitées. C’est donc ailleurs en Europe qu’il envisage de se démarquer, de se faire un nom … et une carrière. Aussi Nestroy demande t’il son licenciement prématuré du Kärntnertortheater avec lequel il était alors sous contrat. Avec en perspective, un engagement (particulièrement plus intéressant) au Deutsches Theater d’Amsterdam (soit 1600 florins pour la première année).

Deux jours après son mariage avec Maria Wilhelmine von Nespiesny (le 7 septembre 1823), le couple quitte Vienne, le 21 septembre. Avec pour destination Amsterdam et l’espoir d’accéder à une carrière internationale.

 

Une carrière de chanteur européenne,
puis des débuts en tant que dramaturge :
Amsterdam, Brünn, Graz, Pressburg et retour à Vienne

MVRW Amsterdam Deutsches TheaterDès son arrivée à Amsterdam, Nestroy se produit sur la scène du Hoogduitse Schouwburg (ou Deutches Theater, Théâtre allemand) d’Amsterdam (il y interprète le rôle de Kaspar dans Le Freischütz de Weber, le 18 octobre de cette même année). Sur cette scène qui confortera ses aptitudes et ses qualités de chanteurs, il y restera trois années consécutives, multipliant encore les prises de rôles.

A cette époque son Journal atteste de la variété des spectacles ainsi que des différents rôles dans lesquels l’acteur se produit. Si au cours de la première saison Nestroy apparaît quatre-vingts fois sur la scène du Deutsches Theaterhollandais, la seconde – et ce malgré une longue maladie qui le prive de scène (en juin et juillet 1825) – le verra se produire pas moins … de cent-huit fois ! Abordant tous les genres, de l’opera seria à l’opéra bouffe en passant par la comédie populaire. Mais à chacune de ses apparitions, à chacune de ses prises de rôles, la critique est unanimement enthousiaste, louant le jeu clair et engagé d’un acteur crédible dans chacun des répertoires dans lequel il se produit.

A présent père d’un jeune garçon que son épouse lui donne à Amsterdam, Nestroy songe à revenir dans sa patrie d’origine, à présent armé de références solides et d’une réputation qui l’a très largement précédé.

C’est ainsi qu’il se produit pour la dernière fois sur la scène du Deutsches Theater d’Amsterdam le 13 août 1825, avant de reprendre le chemin pour son Autriche natale. Début septembre, il rentre à Hambourg, à Leipzig et à Prague.

MVRW BruennLe premier arrêt sera la ville de Brünn (actuellement Brno) ; rien ne prédestine mieux en effet les artistes en quête de reconnaissance de l‘époque que ces villes de province (comme Brünn, Graz ou bien encore Pressburg), tremplin pour mieux réussir une percée ultérieure sur les scènes viennoises. Arrivé à Brünn le 23 octobre 1825, Nestroy signe un contrat avec le Théâtre national le 26 octobre et, pourvu d’un salaire de 2800 florins, le chanteur commence une carrière qui ne désemplira pas de succès – son répertoire est toujours aussi vaste, comprenant des rôles d’opéra (Leporello de Don Giovanni, Papageno de La Flûte enchantée, ou bien Figaro du Barbier de Séville), tout aussi bien que des rôles dramatiques dans les drames de Schiller (Gessler de Guillaume Tell) ou de Kotzebue – un succès éphémère ceci dit car, au mépris de la censure, l’acteur prend de plus en plus de liberté sur scène, ce qui lui vaudra quelques mois d’emprisonnement.

MVRW GRAZ TheaterA partir de juin 1826, on retrouve Nestroy commence sur les scènes de Graz, puis de Pressburg. De plus en plus, il y joue un rôle comique. Il est intéressant de noter que pour l’année 1826, le répertoire de Nestroy comprenait soixante-trois rôles d’opéras et quarante-neuf rôles parlés ; pour 1830, le ratio a été inversé de sept rôles d’opéras et deux cent vingt-six rôles de de pièces de théâtre parlé. C’est durant cette période dite de « Graz-Pressburg » que l’artiste troque définitivement ses costumes de chanteur d’opéra contre ceux d’acteur de théâtre. Et d’auteur de pièces à succès, parodies de pièces de théâtre classique de l’époque : sa première farce – Sieben Mädchen in Uniform (Sept jeunes filles en uniforme) écrite en 1825, parodie de la pièce Douze filles en uniformes d’Angely, pièce dans laquelle il avait rencontré un très grand succès dans le rôle du personnage Sansquartier – qui rencontre un accueil très enthousiaste du public convainc définitivement l’acteur de se lancer à son tour dans une carrière d’écrivain dramaturge.

Par ailleurs, dans la vie personnelle de l’acteur devenu dramaturge, ce sont également de grands bouleversements qui l’attendent (et qui vont favoriser quelque peu sa carrière à venir) : il parvient tant bien que mal à se séparer de sa première épouse, la tendre Wilhelmine qu’il avait longtemps convoitée et avec qui le temps de l’idylle est rompu (elle était rentrée à Vienne avec son fils refusant de suivre son mari dans une carrière hasardeuse sur les scènes de province autrichienne, ce qui aura toujours provoqué chez l’auteur des relents amères et aigris, l’inspirant dans ses pièces pour ses critiques du mariage bourgeois et conformiste viennois). A Graz, Nestroy rencontre néanmoins l’actrice Maria Antonia Cäcilia Lacher (dite « Weiler », 1809-1864) : dans sa vie privée comme dans sa carrière le théâtre prend une place désormais prédominante dans la vie de l’artiste. Ce qui sonne également le retour à Vienne de Nestroy… et bientôt sa consécration !

 

Retour à Vienne
et consécration de Johann Nestroy, le « Shakespeare viennois »

MVRW Josefstadt TheaterMuni d’un « bagage théâtral » considérable (le répertoire de Johann Nestroy ne comporte pas moins de 450 rôles), le dramaturge est à présent armé pour conquérir les planches viennoises. Pourtant son retour à Vienne et la reconnaissance de son talent par le public viennois – bien loin d’être immédiate – ne s’effectuera pas sans heurts.

Un premier engagement conduit l’acteur à se produire sur les planches du Théâtre de Josefstadt à Vienne où son œuvre est présentée pour la première fois au public en 1829, avec la pièce Der Tod am Hochzeitstage oder Mann, Frau, Kind(Décès un Jour de mariage ou Homme, femme et enfant). Mais le dramaturge qui ne brille véritablement que lorsqu’il se sent libre dans son écriture que dans son jeu d’acteur doit cette fois se plier aux règles de la censure viennoise, beaucoup plus sévère encore qu’en province. Nestroy doit désormais composer prudemment avec soin et attention pour ne pas choquer un public habitué au respect des conventions sociales, de l’éloge des « bonnes mœurs » et l’utilisation sur scène d’un langage châtié. Aussi le dramaturge, tiraillé entre ses élans foudroyants et la crainte de la censure mettra-t-il un certain temps à « trouver sa voie » et s’imposer sur la scène viennoise.

MVRW Carl CarlUne rencontre décisive marquera à jamais un tournant dans la carrière de l’auteur : celle du célèbre metteur en scène « Carl Carl » (Karl Andreas von Bernbrunn, 1787-1854) qui est séduit par la fougue et l’audace du jeune dramaturge. Il offre à Nestroy de se produire dans ses propres pièces sur la scène du Theater an der Wien dès août 1831.

Multipliant les apparitions sur les scènes du Théâtre de Josefstadt et du Theater an der Wien et les créations de ses pièces, en faisant preuve d’un infatigable dynamisme, Johann Nestroy parvient peu à peu à s’imposer à Vienne, lui, l’acteur, et le dramaturge, son œuvre.

Avec des débuts faits de prises de risque et d’échecs, voire de scandales retentissants (Un appartement à louer, en 1837), de peines d’emprisonnement imposées par la censure pour l’utilisation décidemment trop libre d’un langage qui sert de plus en plus le genre de la parodie et la caricature sociale et politique (Nestroy sera condamné en 1836 à quelques mois de prison)… et déjà de succès prodigieux confinant au triomphe ; si Nestroy « cherche encore sa voie », il est indéniablement en route vers le succès.

MVRW Nestroy acteurEt lorsqu’il ne doit pas payer le prix de sa liberté de ton de quelques jours passés en prison, l’auteur se produit en tournée dans toutes les contrées germaniques où seul un public germanophone est apte à comprendre les subtilités de cette langue (voir plus bas Spécificités de la langue de Nestroy et difficultés intrinsèques de traduction) qu’il utilise avec force jeux de mots utilisés à bon escient pour dénoncer, au travers de ses pièces, l’avidité, la corruption, l’hypocrisie et … la censure elle-même : tous ces thèmes récurrents, tels des obsessions, apparaissent désormais de manière régulière dans l’œuvre de l’artiste. C’est donc au tour des publics de Hambourg (1841) ou de Berlin (1844) de découvrir et de connaître l’œuvre unique de cet auteur hors du commun. Et de célébrer tant les pièces de ce dernier que son propre jeu d’acteur, ce dernier défendant toujours l’accueil réservé à son œuvre en interprétant la majeure partie du temps le rôle principal de celles-ci.

Quant à la scène viennoise, elle est désormais toute acquise à l’œuvre du brillant auteur, confirmant la position de ce dernier en tant que chef de file de l’école dramatique viennoise ; le 16 décembre 1840 a lieu la création du Talisman (Der Talisman), l’œuvre emblématique de Johann Nestroy, représentée en l’honneur de Maria Weiler, la fidèle compagnie à la ville comme sur la scène. Le Talisman – dont la Première remportera un très vif succès – sera d’ailleurs la seule pièce à obtenir le privilège de connaître différentes adaptations en langue étrangère et à accéder – ainsi que son auteur – à une reconnaissance internationale.

MVRW NESTROY Der Talisman

Adolf Bäuerles dans les colonnes du Wiener Theaterzeitung du 18 décembre 1840 loue ainsi l’œuvre de Nestroy : « Cette pièce est digne des plus hautes louanges. Les dialogues y sont jubilatoires, chacune ou presque des syllabes en sont remarquables, et les couplets, splendides n’auraient pu être écrits d’une autre main si magistrale que celle de Nestroy (…) »

Et la revue viennoise Der Humorist du même 18 décembre de consacrer définitivement Nestroy : « Le succès de sa dernière pièce a été très brillant. Cela faisait longtemps que nous n’avions entendus déverser autant d’applaudissements si francs et spontanés, tout aussi bien que largement mérités. »

Ce qui manque à l’auteur à présent afin de s’affirmer comme seul auteur à succès sur la scène viennoise, c’est de posséder son propre théâtre. Et le destin va l’y aider.

 

Johann Nestroy, directeur du Carltheater
Apogée du dramaturge. Les dernières années

C’est le décès du « mentor » du jeune auteur de pièces à succès qui à l’époque où il fit sa connaissance, « cherchait sa voie » qui va précipiter Johann Nestroy aux sommets de la gloire et imposer durablement le dramaturge comme maître absolu de la scène théâtrale viennoise de son époque. En effet, le 8 août 1854, meurt « Carl Carl », le vieil ami fidèle, qui fut l’un des premiers à reconnaître l’originalité et le talent de Nestroy et de croire au futur succès de la carrière du jeune auteur. Aussi brillant homme de théâtre, domaine dans lequel il se fit connaître pour la qualité de ses mises en scène, qu’il était un homme d’affaires avisé, « Carl Carl » le bien nommé avait pris ses quartiers dans son propre théâtre qu’il dirigeait avec un discernement fort inspiré.

MVRW Carltheater WienC’est en 1838 en effet que l’homme de théâtre – à l’époque directeur également du Theater an der Wien – avait racheté le Théâtre de Leopoldstadt perdu dans d’inextricables difficultés financières. Le bâtiment, partiellement démoli en 1847, renaquit de ses cendres la même année et fut inauguré le 10 décembre 1847 sous le nouveau nom de Carltheater, du nom de son directeur visionnaire. Avec pour clou de la soirée d’inauguration, la création de Die schlimmen Buben in der Schule de Johann Nestroy, son auteur « protégé ».

Car les œuvres de Nestroy devinrent rapidement l’apanage et le fer de lance du Carltheater – assurant par là-même un succès phénoménal à l’inauguration de cette nouvelle salle qui rapidement devint « LA » salle à la mode de l’époque – les héritiers de Carl Carl demandent avec reconnaissance et humilité à l’auteur de reprendre la direction du Carltheater à la mort de son fondateur. Ce que Nestroy accepte derechef. Le voilà à présent seul maître à bord de la destinée de son œuvre qu’il fait représenter sur les planches de son propre théâtre.

Ensemble, avec l’aide de la fidèle compagne Maria Weiler, le dramaturge conduira l’entreprise du mieux qu’il pourra.

Mais la direction d’un théâtre, l’écriture de pièces à succès et l’interprétation sur scène… n’est-ce pas trop pour un seul homme ? D’autant plus que l’auteur est demandé sur les scènes de Bad Ischl, Pest, Ödenburg, Trieste… Autant de sollicitations qu’un homme sage et prudent se devrait de décliner, mais auxquelles un auteur qui fut si longtemps en quête de reconnaissance ne peut… refuser ! Aussi l’auteur se montre moins prolifique sur la scène viennoise (que sa compagne Maria Weiler dirige lorsque Nestroy est en représentation … « ailleurs »), et les apparitions sur scènes du dramaturge que le public viennois avait pris pour habitude d’encenser se font plus rares. Si les années 1854-1855 confortent l’homme de théâtre en sa position de maître absolu de la scène théâtrale viennoise, les années suivantes ne manqueront pas de confirmer le déclin progressif du génie de l’auteur.

Seul véritable succès retentissant de Nestroy reconnu pour son art de parodiste et de son génie caricaturiste, la satire du Tannhäuser de Richard Wagner qu’il créera sur la scène de « son » Carltheater, le 31 octobre 1857. La pièce, reprise soixante-quinze fois, assurera une rente confortable au couple formé par le directeur de théâtre et son épouse. Vraisemblablement enivré par le succès de sa parodie wagnérienne, et peut-être un peu trop sûr de son talent (!) Nestroy de se « s’acharner » sur le pauvre Wagner et de se commettre une deuxième fois dans une pièce du même style. Avec un Lohengrin, opéra du futur, créé sur la même scène le 31 mars 1859 et qui, cette fois-ci, sera bien loin de connaître le même succès (voir plus bas Les parodies wagnériennes de Johann Nestroy).

La direction de Johann Nestroy à la tête du Carltheater de Vienne prend fin le 31 octobre 1860 et est célébrée par une magnifique « sortie d’adieu » au cours d’une soirée exceptionnelle qui rend hommage aux œuvres les plus célèbres du dramaturge et les rôles les plus emblématiques de sa carrière d’acteur.

Agé de soixante ans, Johann Nestroy se produira ensuite à quelques rares reprises sur les scènes qui firent (et virent) naître le succès du dramaturge : Graz, Pressburg, Vienne. Sa dernière apparition viennoise a lieu le 4 mars 1862. L’acteur et dramaturge meurt des suites d’un accident vasculaire cérébral le 25 mai 1862 à Graz, ville dans laquelle il s’était produit une ultime fois le 29 avril.

Lorsqu’il disparaît au terme d’une carrière exceptionnelle et hors du commun, Johann Nestroy aura interprété sur scène pas moins de… 880 rôles ! Il laisse à la postérité une production extraordinaire composée de quatre-vingt-trois pièces de théâtre à travers lesquelles le dramaturge s’exprime avec une rare et extraordinaire maîtrise de la langue allemande et un style qui font de lui un auteur unique en son genre.

 

Spécificités de la langue de Nestroy
et difficultes intrinsèques de traduction

MVRW Nestroy_1842Bien qu’assez peu (re-)connu à l’étranger, Johann Nestroy est considéré par les germanophones (et dans les pays germaniques) comme « LE » dramaturge comique suprême de la langue allemande. Un pur génie créatif comparable à d’autres grands noms de la comédie internationale tels que Molière, Shakespeare, Labiche ou bien Feydeau.

Pendant près de trente ans, soit environ de 1830 à 1860, l’ex-chanteur d’opéra devenu acteur, puis auteur dramaturge a dominé la scène théâtrale viennoise imposant son propre style – au demeurant unique et véritable « marque de fabrique » de l’auteur – aux spectateurs viennois, attirant aussi bien dans les théâtres qu’il dirigeait aussi bien un public populaire que bourgeois.

En Autriche, et à Vienne en particulier, les pièces de Nestroy continuent toujours d’être produites et interprétées. Et avec succès. Sans pour autant connaître un succès à l’étranger. Pourquoi ?

MVRW Nestroy_TalismanC’est parce que les textes de Nestroy, fondés sur une brillante profusion de jeux de mots et de langage brillant, ne révèlent leur richesse qu’à un public apte à comprendre ceux-ci que le dramaturge a peu été traduit à l’étranger. Au contraire d’auteurs français tels que Molière, Labiche ou bien encore Feydeau, qui, bien qu’indéniables génies de la scène, n’ont pas eu recours à une langue aussi spécifique que celle de Nestroy pour élaborer le texte de leurs pièces. C’est pourquoi, aussi ardue que la tâche peut être, il manque toujours aujourd’hui un travail de traduction véritablement convaincant de l’œuvre du dramaturge viennois. La meilleure tentative étant sans doute un opus intitulé Trois Comédies de Johann Nestroy (New York, Ungar, 1967) contenant des textes en anglais américain réalisés par deux émigrés autrichiens, Max Knight et Joseph Fabry. Tout travail de traduction authentique de la langue de Nestroy qui saurait reproduire en une autre langue la verve linguistique exceptionnellement travaillée de l’auteur autrichien demeure encore aujourd’hui un défi aussi attirant qu’il semble impossible à réaliser.

Ce qui a généralement dissuadé les traducteurs d’effectuer la tâche ardue de rendre en une langue étrangère toute la subtilité linguistique du dramaturge viennois, c’est que le langage utilisé par Nestroy est fondé sur différents registres d’allemand utilisés par le peuple viennois du milieu du XIXème siècle. Mais Nestroy n’est pas un « dramaturge dialectal » au sens commun du terme : l’auteur ne se contente pas d’écrire en utilisant un dialecte quelconque et de retranscrire son œuvre avec ce langage.

Bien loin de là ! En effet, le travail de Nestroy sur la langue allemande se révèle, pour qui est sensible aux subtilités de la langue germanique, extrêmement travaillé. Son langage, excessivement stylisé, va du registre de l’allemand littéraire le plus « noble » à celui du dialecte populaire viennois.

Outre l’utilisation de ce langage unique propre à l’auteur, le style lui-même de Johann Nestroy, d’une richesse incroyable, se démarque par le recours à de multiples allusions théâtrales – preuve de l’immense culture de cet homme de théâtre qui sur scène multipliait les prises de rôles – que le dramaturge adapte à l’action de ses pièces par de vives métaphores qui dénoncent ouvertement l’hypocrisie de son époque et la duperie dont son public contemporain est la victime.

 

L’œuvre de Nestroy,
son héritage et sa postérité

Chanteur d’opéra reconverti en acteur puis en dramaturge auteur de pièces à succès, Johann Nestroy est toute sa vie durant resté fidèle à la passion pour le chant, celle-là même qui l’avait mené à consacrer sa vie à mener une carrière artistique. Ainsi ce n’est guère étonnant si une grande partie de son œuvre, de ses pièces pour la scène, incluent une partie musicale, parfois chantée.

MVRW Wiener_Musiker_1852Interprète au talent exceptionnel – tel que nous le rapportent les critiques de la presse de l’époque – chanteur lyrique au charisme magnétique, l’artiste ne se fraya pourtant jamais aux difficultés de la composition musicale.

C’est pourquoi le dramaturge eut recours, pour la partie musicale de ses pièces, à une étroite collaboration avec des compositeurs chevronnés de son époque. Ainsi a t’il travaillé toute sa carrière durant avec un nombre – pour autant relativement restreint – de compositeurs tels que : Adolf Müller Sr. (compositeur de quarante-et-une des pièces de Nestroy entre 1832 et 1847), Michael Hebenstreit (auteur de la musique de dix des œuvres du dramaturge, entre 1843 à 1850), Carl Binder (entre 1851 à 1859, compositeur, entre autres, de la musique des parodies de Johann Nestroy sur les opéras de Richard Wagner, Tannhäuser et Lohengrin, opéra du futur), ainsi qu’Anton M. Storch, Franz Roser, Carl Franz Stenzel et Andreas Skutta.

Quant à leur forme, la plupart des œuvres de Nestroy ont pour sous-titre ou dénomination, « Posse » c’est-à-dire « farce » – la plupart d’entre elles étant d’ailleurs des Possen mit Gesang (farces chantées).

Celles qui sont parvenues à la postérité tiennent surtout au fait que ce sont des parodies de l’auteur sur des opéras créés à cette époque (et parmi ceux-ci, certains des plus célèbres du répertoire) : La Cenerentola de Rossini, Martha de von Flotow, Robert le Diable de Meyerbeer, Zampa ou la Fiancée de Marbred’Herold, ainsi qu, les plus célèbres, les parodies sur les œuvres de Richard Wagner, Tannhäuser et Lohengrin.

Outre ces pièces, on note encore parmi le catalogue des œuvres du dramaturge, moins connues, des drames musicaux (dont Lorbeerbaum und Bettelstab de Karl von Holtei et Robert der Teufel de Raupach), ainsi que quatre « Quodlibets », deux Burlesques ainsi qu’une opérette sur la musique de Jacques Offenbach.

Le travail – et la carrière – d’auteur de pièces de théâtre de Johann Nestroy débuta alors que ce dernier était employé sur la scène du théâtre de Graz, en Autriche (à partir de 1832). Galvanisé par ses premiers succès, Nestroy poursuivit son travail qu’il poursuivit pour les scènes de Pressburg (jusqu’en 1846), puis surtout sur la scène du Theater an der Wien où quarante-cinq de ses pièces y furent créées. Après deux productions données au Théâtre de Leopoldstadt, l’artiste pris ses quartiers au Carltheater  – dont il prit la direction par la suite  – de 1847 à 1859, où il en créa vingt nouvelles autres.

Tombé pendant un temps en désuétude, la quasi-moitié des œuvres de Nestroy ont été remontées par les théâtres modernes allemands et beaucoup font partie intégrante du répertoire viennois d’aujourd’hui.

Preuve de la reconnaissance de l’auteur de langue germanique et de sa popularité, l’un des plus importants prix de théâtre d’expression allemande porte son nom.

Le « Prix Nestroy » est en effet un prix annuel pour le théâtre – principalement autrichien – décernant différentes catégories ; l’équivalent en Autriche des « César » … ou des « Molière » ! La cérémonie annuelle se tient à Vienne et est diffusée en direct à la télévision nationale.

 

Les parodies wagnériennes de Johann Nestroy

Parodier les œuvres données sur les scènes du Grand Opéra au XIXème siècle était chose courante au XIXème siècle. Loin toutefois de ridiculiser ces dernières afin de les confiner au plus vite aux oubliettes de l’Histoire de la Musique, les parodies données sur les scènes populaires des petits théâtres de grandes capitales artistiques européennes… contribuaient même parfois au succès de celles-ci en immortalisant dans les esprits des gens du peuple les mélodies de la musique dite « savante ». Et nul compositeur – ou presque – n’échappa à cette loi de l’époque : se voir parodier devint même assez rapidement un signe de distinction… de Mozart à Wagner, en passant par Rossini… ou même… Offenbach, l’emblématique parodiste du Second Empire qui se vit parfois… parodié lui-même !

Et quand ces parodies populaires ne se cachaient pas – via la plume de leur auteur – de montrer une certaine acerbité (une moquerie, voire un agacement) à l’encontre du compositeur de l’œuvre initiale, elles ne parvinrent jamais toutefois à étouffer un grand succès populaire… telles que les œuvres de Richard Wagner devaient peu à peu recontrer.

C’est le cas du Tannhäuser  de Wagner, l’un des plus grands succès du futur Maître de Bayreuth, parodié par Johann Nestroy. Puis du Lohengrin, opéra du futur – pour en reprendre le titre exact – du même auteur. Si dans le premier cas, la critique du grand opéra se faisait relativement bienveillante à l’encontre du futur compositeur du Ring, dans la deuxième œuvre, on peut noter un certain agacement de l’auteur viennois apparemment insensible aux charmes des mélopées du Graal et des rives de l’Escaut, fort sceptique voire critique à l’encontre de … la « Musique de l’avenir » et de son auteur.

Neuf ans après la création de l’œuvre en 1845 à Dresde, Tannhäuser et la guerre des Chanteurs à la Wartburg, l’opéra de Richard Wagner est donné pour la première fois sur la scène du Théâtre de Breslau (aujourd’hui Wroclaw, en Pologne). Et c’est un certain Hermann Wollheim, étudiant allemand en médecine à Breslau, qui, le premier, après une représentation du chef d’œuvre wagnérien qu’il découvre alors pour la première fois, décide d’en écrire une comédie parodique, initialement destinée à être présentée lors d’un symposium étudiant du Corps Silesia de Breslau à Francfort (Oder). La représentation de la comédie de Wollheim rencontra un tel succès que de nombreux administrateurs de théâtre demandèrent immédiatement le droit de monter cette dernière sur les planches de leurs théâtres de la province allemande. Pour ce faire, la comédie de Wollheim fut éditée sous le titre Tannhäuser und die Keilerei auf der Wartburg (litt. Tannhäuser et la querelle sur la Wartburg).

MVRW tannhaeuser-im-venusberg

À Vienne, capitale de l’Empire austro-hongrois, l’opéra de Richard Wagner fut créé sur la prestigieuse scène de l’Opéra le 28 août 1857. A cette époque, la popularité de Johann Nestroy, alors directeur du Carltheater depuis 1854, sur les scènes populaires viennoises est en pleine croissance. D’après une source émanant de Wollheim lui-même, il faut peu de temps à Nestroy après la première viennoise de l’œuvre de Wagner (qui remporta par ailleurs un énorme succès), pour que celui-ci ne s’empare de l’opéra de Wagner, revu par Wollheim dont il avait apprécié le travail, et commence un travail d’adaptation « à sa propre manière ». La version du Tannhäuser de Nestroy gomme tous les aspects par trop « potaches » que la comédie de Wollheim – destinée avant tout à un public d’étudiants – avait très largement utilisés. L’œuvre est également ramenée aux trois actes initiaux de l’opéra de Wagner, et celle-ci retrouve le cadre de la grotte de Vénus (transformée pour l’occasion en épicerie fine – « Delicatessen » – tenue par la matrone Vénus), la forêt dans laquelle on entend un pâtre « jouer de la cornemuse » ainsi que « d’autres bruits fort sonores d’animaux » et le majestueux cadre du château de la Wartburg, que Wollheim avait ramené à une brasserie des bas-fonds d’une petite ville de province allemande. Et en introduisant – ce qui fit la force et la qualité de l’œuvre – son style littéraire unique (élément d’importance puisqu’il atteste de la paternité de l’œuvre, celle-ci ayant été contestée et faisant encore aujourd’hui l’objet de débats : le texte de la comédie ayant été écrit par Nestroy lui-même ou ce dernier ayant confié l’écriture de la pièce à un co-auteur – ce qui paraît assez improbable, étant donné justement l’utilisation de ce style unique et inimitable dans cette œuvre). La musique quant à elle porte, chose certaine, la signature du fidèle Carl Binder.

MVRW NESTROY dans TANNHAUESERDès le 12 septembre 1857, soit moins de deux semaines après la création de l’opéra de Wagner, l’œuvre de Nestroy est présentée aux autorités de la Cour chargées de la censure. Il faudra deux semaines avant que cette dernière, une fois débarrassée de ses initiales allusions politiques jugées un brin trop subversives et remaniée de manière à ne point choquer la bonne société viennoise, ne reçoive l’autorisation d’être présentée sur la scène du Carltheater. La première fut ainsi donnée le 31 octobre 1857 : Nestroy lui-même interprétait le rôle du Landgraf Purzel, Karl Treumann, celui de Tannhäuser,  Alois Grois, Wolfram, Friedrich Hopp, le « Katafalker », Wilhelm Knaack, celui du berger. Et rencontre un énorme succès immédiat, comme la plupart des pièces que Nestroy présentait sur la scène de son propre théâtre. Après une série de 75 représentations, l’œuvre est retirée de l’affiche le 30 octobre 1860.

Mais indéniablement – pour ou contre la volonté de son auteur – l’œuvre de Nestroy, qui reprenait les grands thèmes mélodiques de l’opéra de Richard Wagner, contribua à rendre ce dernier populaire. Parmi toutes les classes de la populations viennoises.

Voir également :
– Tannhäuser de Johann Nestroy

Plus ambigu est le cas de Lohengrin, opéra du futur, représenté pour la première fois sur la même scène du Carltheater le 31 mars 1859, deuxième pièce que Nestroy réalisa en parodiant l’œuvre de Richard Wagner.

Apparemment enorgueilli par le succès qu’il remporta avec sa parodie de Tannhäuser, Nestroy, avec son Lohengrin, se compromit une deuxième fois dans une satire de la « musique de l’Avenir », qu’il juge par trop savante et destinée seule à une élite intellectuelle qui se pique – toujours selon lui – de toute forme de nouveauté absolue… jusqu’à friser l’absolu absconse. C’est dans cet esprit ouvertement critique que le dramaturge viennois écrit le texte de sa comédie satirique, avec pour but de ridiculiser ouvertement l’art de Richard Wagner.

MVRW LOHENGRIN Vienne 1858L’opéra de Wagner (créé sur la scène du Théâtre de Weimar le 28 août 1850 sous la direction musicale de Franz Liszt) avait été créé sur la scène de l’Opéra de Vienne (Hofoper, Théâtre de la Cour) le 19 août 1858.

Nestroy voit en ce nouveau choc artistique wagnérien une manne inespérée pour remplir les rangs du Carltheater dont il est toujours à la direction. Mais l’auteur commence à se faire remarquer par un certain manque de cette verve de génie qui avait fait son succès et par une baisse notoire d’inspiration.

Et en effet, il faudra bien plus de temps au dramaturge viennois pour composer le livret de cette nouvelle parodie wagnérienne que la quinzaine de jours qu’il avait employée à concevoir son Tannhäuser.

Est-ce par ce qu’il se sentait moins certain du succès à venir de sa pièce ? Ou parce qu’il n’arrivait pas à saisir l’opportunité musicale et dramatique de l’œuvre originale pour en composer le pendant satirique ? C’est ce que semblent attester les premières hésitations de l’auteur à apporter son nom en signature de cette nouvelle comédie en musique. Avant qu’il ne se décide finalement à s’en approprier la paternité peu avant la première (NDA : à noter d’ailleurs que sur le manuscrit de l’œuvre de Nestroy, qui comporte maintes modifications, suppressions et corrections, on distingue la plume étrangère – et anonyme – d’un auteur autre qui ne fut jamais identifié. Pour les plus curieux, le manuscrit original de la comédie est conservé à la Bibliothèque de Vienne, au Rathaus – Hôtel de Ville).

Cette première justement eut lieu le 31 mars 1859 sur la scène du Carltheater : Nestroy y interprétait le rôle-titre, Karl Treumann, le rôle travesti d’« Elsa von Bragant » (sic), Alois Grois, celui de Hanns der Gerechte (Hanns le Juste, l’alter ego du Roi Henri l’Oiseleur wagnérien), Therese Braunecker-Schäfer, celui de Gertrude (Ortrud chez Wagner).

Si le livret de Nestroy en lui-même ne pêche pas par son caractère comique – surtout pour qui connaît l’œuvre originale de Wagner – celui-ci peut séduire un public bienveillant et peu exigeant. Le tragique de l’action originale transformé en comédie, la parodie minutieuse du livret de Wagner (passé à un examen à la loupe et caricaturé … parfois jusqu’à un excès « un peu lourd ») et la caricature des personnages wagnériens (i.e. l’apparition de Lohengrin dans une charrette tirée par un agneau, une Elsa travestie telle une petite fille qui trépigne pour connaître le nom et les origines de son mystérieux époux à en devenir une mégère), et ces jeux de langage dont seul un auteur au talent de Nestroy possédait le secret (i.e. dans l’énoncé de la distribution, les « Chevaliers du futur avec leurs dames également du futur », les vers par lesquels Mordigall (Telramund) accuse Elsa au premier tableau de la pièce, le récit final du Graal, géniale parodie du Récit du Graal parodiant l’original wagnérien…) relèvent toutefois plus du genre de la comédie « facile » et peu inspirée que de celui d’une pièce de génie dramatique et littéraire.

Sans doute ayant foi cependant en la force dramatique de sa pièce et de la prouesse littéraire qu’il avait là accomplie, Nestroy ne chargea pas son fidèle Carl Binder, compositeur de la musique, de se perdre à s’inspirer des leitmotive wagnériens pour en composer la mélodie.

C’est d’ailleurs l’une des critiques majeures que l’on relève dans la presse de l’époque (le Wiener Theaterzeitung, le Fremden-Blatt ou bien encore Die Presse) à l’issue de la première qui ne rencontra pas – loin s’en faut – le succès attendu par ses auteurs. La pièce, jugée médiocre, fut fustigée par la presse qui, dans son ensemble, s’accorda à saluer la performance des artistes mais condamna ouvertement l’œuvre elle-même. A posteriori, les spécialistes de l’œuvre de Nestroy s’accordent aujourd’hui à reconnaître que ce bien pauvre Lohengrin, opéra du futur est décidément l’une des œuvres les plus faibles de l’auteur.

Lohengrin, opéra de Wagner destiné à émouvoir les spectateurs et n’ayant pas à craindre « les menaces » de la satire ou de la parodie ? Sans doute. Un autre Roi de l’opérette, Franz von Suppé, cette fois, tenta, lui également, de remporter le défi de parodier Wagner avec Lohengelb oder die Jungfrau von Dragant (Tragant), opérette en trois sur un livret de Karl Costa et Moritz Anton Grandjean (création le 23 juillet 1870 au Stadttheater de Graz). Cette dernière, elle-même présentée comme une parodie inspirée par celle de Johann Nestroy, eut également bien des difficultés à séduire son public. Remaniée à n’en plus finir, elle ne réussit à convaincre finalement la critique que dans sa toute dernière version, l’action ayant été transposée dans le monde contemporain et sur la base d’un livret remanié par Kurt Huemer. L’œuvre de von Suppé cette fois reprenait des extraits de la musique de Richard Wagner. A en croire que cette dernière était bien incontournable et indissociable du livret pour remporter un succès d’estime.

Voir également :
– Lohengrin de Johann Nestroy

MVRW Wien_Nestroy-DenkmalSi notables et dignes d’intérêt que sont ces deux parodies d’opéras de Richard Wagner remaniés par la plume de Johann Nestroy pour avoir survécu aux affres du temps et avoir le privilège d’être de temps à autres remontées sur quelques scènes viennoises contemporaines, il est toutefois indéniable que celles-ci – œuvres d’ailleurs tardives dans la production du dramaturge – sont bien loin de nous rapporter l’immense talent ainsi que toute la verve du dramaturge viennois.

Seul en fait le Tannhäuser parodié par Nestroy relève d’un certain intérêt. Pour avoir été la première parodie sur une œuvre de Richard Wagner à rencontrer un succès populaire… et à contribuer – à sa manière, et sans doute en dépit même du souhait de son auteur – au succès de l’œuvre originale.

Il faudra attendre un demi-siècle, avec de Sacrés Nibelungen (Die lustigen Nibelungen) composés par Oscar Strauss et donnés en création en 1904 (d’ailleurs sur la même scène du Carltheater à Vienne) pour que la parodie viennoise de l’œuvre de Richard Wagner réussisse à s’imposer de manière durable.

 

Die Internationale Nestroy-Gesellschaft

La Société Internationale Nestroy (Internationale Nestroy-Gesellschaft) est, entre autres, à l’origine de la publication d’une revue, Nestroyana, qui s’est rapidement imposée comme l’organe principal pour la publication des articles d’éminents spécialistes de l’oeuvre de Johann Nestroy. Cette dernière comporte également des rapports réguliers sur diverses conférences – y compris la conférence internationale annuelle (Nestroy-Gespräche) qui a lieu chaque été à Schwechat – ainsi qu’un certain nombre d’analyses contemporaines de l’oeuvre du dramaturge autrichien.

Publié au nom de l’Internationale Nestroy-Gesellschaft par Verlagsbüro Mag., la revue Nestroyana paraît à raison de deux fois par an ; les articles y sont reproduits en allemand (seulement).

 

ANNEXE : LISTE DES ŒUVRES DE JOHANN NESTROY

Drames historiques : 
– Prinz Friedrich von Corsica (écrit entre 1822 et 1826/27)

Fééries, farces et parodies : 
– Sieben Mädchen in Uniform (1825)
– Der Zettelträger Papp (1827)
– Dreyßig Jahre aus dem Leben eines Lumpen, bzw. Des Wüstlings Radikalkur oder: Die dreyßig Jahre der Verbannung, (1828)
– Der Einsylbige oder Ein dummer Diener seines Herrn (1829)
– Der Tod am Hochzeitstage oder Mann, Frau, Kind (1829)
– Die Verbannung aus dem Zauberreiche oder Dreißig Jahre aus dem Leben eines Lumpen (1832)
– Der gefühlvolle Kerckermeister oder Adelheid die verfolgte Wittib (1832)
– Nagerl und Handschuh oder Die Schicksale der Familie Maxenpfutsch (1832)
– Zampa der Tagdieb oder die Braut von Gyps (1832)
– Der konfuse Zauberer oder Treue und Flatterhaftigkeit (1832)
– Die Zauberreise in die Ritterzeit oder Die Übermüthigen (1832)
– Genius, Schuster und Marqueur oder Die Pyramieden der Verzauberung (1832)
– Der Zauberer Februar oder Die Überraschungen (1833; Autor Johann Baptist Frey, von Nestroy sind lediglich die Couplettexte)
– Der Feenball oder Tischler, Schneider und Schlosser (1833)
– Der böse Geist Lumpacivagabundus oder Das liederliche Kleeblatt (1833)
– Robert der Teuxel (1833)
– Der Tritschtratsch (1833)
– Der Zauberer Sulphurelectrimagneticophosphoratus und die Fee Walpurgiblocksbergiseptemtrionalis oder Die Abenteuer in der Sclaverey oder Asiatische Strafe für europäische Vergehn oder Des ungerathnen Herrn Sohns Leben Thaten und Meinungen, wie auch seine Bestrafung in der Sclaverey und was sich alldort ferneres mit ihm begab (1834)
– Müller, Kohlenbrenner und Sesseltrager oder Die Träume von Schale und Kern (1834)
– Das Verlobungsfest im Feenreiche oder Die Gleichheit der Jahre (1834)
– Die Gleichheit der Jahre (1834)
– Die Familien Zwirn, Knieriem und Leim oder Der Welt-Untergangs-Tag (1834)
– Weder Lorbeerbaum noch Bettelstab (1835)
– Eulenspiegel oder Schabernack über Schabernack (1835)
– Zu ebener Erde und erster Stock oder Die Launen des Glückes (1835)
– Die Ballnacht (1836), Autor Johann Karl Waldon, von Johann Nestroy sind lediglich die Liedtexte
– Der Treulose oder Saat und Ernte (1836)
– Die beiden Nachtwandler oder Das Notwendige und das Überflüssige (1836)
– Der Affe und der Bräutigam (1836)
– Eine Wohnung ist zu vermiethen in der Stadt, Eine Wohnung ist zu verlassen in der Vorstadt, Eine Wohnung mit Garten ist zu haben in Hietzing (1837)
– Moppels Abentheuer im Viertel unter Wiener Wald in Neu-Seeland und Marokko (1837)
– Das Haus der Temperamente (1837)
– Glück, Mißbrauch und Rückkehr oder Das Geheimniß des grauen Hauses (1838)
– Der Kobold oder Staberl im Feendienst (1838)
– Gegen Torheit gibt es kein Mittel (1838)
– Die verhängnisvolle Faschingsnacht (1839)
– Der Färber und sein Zwillingsbruder (1840)
– Der Erbschleicher (1840)
– Der Talisman (1840)
– Das Mädl aus der Vorstadt oder Ehrlich währt am längsten (1841)
– Einen Jux will er sich machen (1842)
– Die Ereignisse im Gasthofe (1842)
– Die Papiere des Teufels oder Der Zufall (1842)
– Liebesgeschichten und Heurathssachen (1843)
– Nur Ruhe! (1843)
– Eisenbahnheirathen oder Wien, Neustadt, Brünn (1844)
– Hinüber – Herüber (1844)
– Der Zerrissene (1844)
– Die beiden Herren Söhne (1845)
– Das Gewürzkrämerkleeblatt oder Die unschuldigen Schuldigen (1845)
– Unverhofft (1845)
– Der Unbedeutende (1846)
– Zwey ewige Juden und Keiner (1846)
– Der Schützling (1847)
– Die schlimmen Buben in der Schule (1847)
– Martha oder Die Mischmonder Markt-Mägde-Miethung (1848)
– Die lieben Anverwandten (1848)
– Freiheit in Krähwinkel (1848)
– Lady und Schneider (1849)
– Judith und Holofernes (1849)
– Der alte Mann mit der jungen Frau (1849); dazu:
– Der Flüchtling (1890; Bearbeitung von Chiavacci/Ganghofer)
– Höllenangst (1849)
– Sie sollen ihn nicht haben oder Der holländische Bauer (1850)
– Karikaturen-Charivari mit Heurathszweck (1850)
– Alles will den Prophet’n seh’n (1850)
– Verwickelte Geschichte! (1850)
– Mein Freund (1851)
– Der gutmüthige Teufel oder Die Geschichte vom Bauer und der Bäuerin (1851)
– Kampl (1852)
– Heimliches Geld, heimliche Liebe (1853)
– Theaterg’schichten durch Liebe, Intrigue, Geld und Dummheit (1854)
– „Nur keck!“ (1855)
– Umsonst! (1857)
– Tannhäuser (1857)
– Ein gebildeter Hausknecht (1858)
– Zeitvertreib (1858)
Lohengrin (1859)
– Frühere Verhältnisse (1862)
– Häuptling Abendwind oder Das greuliche Festmahl (1862)

Cet article est protégé

En savoir plus Cet article est protégé par les droits d’auteur. Toute copie ou reproduction est strictement interdite.
LES ARTICLES SUIVANTS SONT SUSCEPTIBLES DE VOUS INTÉRESSER
Hans RICHTER
par par Nicolas CRAPANNE et Stéphanie BARUT

Hans Richter est l’image même de la fidélité. D’un naturel enthousiaste et ambitieux, le chef d’orchestre soutint le compositeur toute sa vie durant et même au-delà, participant lui-même au mythe de Bayreuth qu’il contribua à façonner. Refusant la simplicité et la compromission (il refusa ainsi de diriger les premières munichoises… (Lire la suite)

Robert SIPP
par Nicolas CRAPANNE

Né à Leipzig, le musicien Robert Sipp a toujours été très actif dans la vie culturelle de sa ville. Dès 1825, Robert Sipp est engagé au sein du Gewandhaus de Leipzig où il occupe un poste de violoniste. Il restera membre de la prestigieuse formation jusqu’en 1870. Probablement sur l’avis… (Lire la suite)

Naissance :

7 décembre 1801

Mort :

25 mai 1862

Chanteur d’opéra, acteur, auteur, dramaturge et directeur de théâtre autrichien

Sommaire
Quels opéras de jeunesse de Wagner n’ont jamais été représentés au Festspielhaus de Bayreuth ?

Réponse : Les Fées, La Défense d’aimer et Rienzi. Wagner lui-même avait décidé que ces œuvres de jeunesse ne devaient pas faire partie du programme du Festspielhaus. Cependant, à l'occasion de l'année Wagner 2013, ces trois opéras ont été joués à Bayreuth en coproduction avec l'Opéra de Leipzig, non pas au Festspielhaus, mais à l’Oberfrankenhalle.

LIENS UTILES
Pas de liens utiles
TAGS
Partagez cette page avec vos amis !

Appeller le musée

16, Boulevard Saint-Germain 75005 Paris - France

Français / English / Deutsch