Nous avons abordé plusieurs fois, dans des séminaires précédents, ce thème de la réception de Wagner : en France, bien sûr, et à plusieurs reprises, mais aussi en Italie, en Espagne et plus précisément en Catalogne, et l’an dernier en Russie et aux Etats-Unis. Nous aurions pu continuer avec des pays encore un peu plus exotiques : Eh bien non ! Nous faisons une pause dans l’éloignement géographique ou culturel pour examiner le cas de la Belgique.
En effet, bien que pays petit et récent, la Belgique mérite d’être aussi présentée comme territoire wagnérien et wagnériste.
La plupart des créations en langue française des œuvres scéniques de Wagner l’ont été à Bruxelles avant de l’être en France.
Il en fut ainsi pour :
– Le Hollandais Volant (Le Vaisseau fantôme) : en 1872, avant Lille, 1893 ;
– Lohengrin : en 1870, avant Paris, 1887 ;
– Tristan et Isolde : 1894, avant Aix-les-Bains, 1897 ;
– Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg : en 1885, avant Lyon, 1896 ;
– L’Or du Rhin : en 1898, avant Nice, 1902 ;
– La Walkyrie : en 1887, avant Paris, 1893 ;
– Siegfried : en 1891, avant Rouen, 1900 ;
– Le Crépuscule des dieux : en 1901, avant Paris, 1902 ;
– La Tétralogie (intégrale) : en 1903, avant Lyon, 1904. Sans compter le Ring en langue originale, de la tournée Neumann en 1883 ;
– Parsifal : le 2 janvier 1914, avant Paris… le 4 Janvier.
Toutes ces premières belges eurent lieu au Théâtre de La Monnaie. Mais d’autres premières locales, en français ou en flamand, eurent lieu à Anvers ou à Gand entre les dates de Bruxelles et celles de la France.
Seuls Tannhäuser et Rienzi furent donc montés à Paris avant la Belgique, mais il faut préciser tout de même que Tannhäuser avait été représenté antérieurement en langue originale par une troupe allemande dès 1855 à Anvers.
Rappelons aussi que c’est également à La Monnaie, avant Paris, que seront créées plus tard les œuvres françaises suivantes : Sigurd et Salammbô de Reyer, Gwendoline de Chabrier, Fervaal, L’Etranger, Le Chant de la cloche de d’Indy, Le Roi Arthus de Chausson.
Cette avance belge dans le domaine wagnérien peut s’expliquer pour plusieurs raisons : caractère plus international de ce pays, absence de conflit politico-militaire avec l’Allemagne en 1870, présence de musiciens ou gestionnaires de théâtres courageusement attachés à la cause wagnérienne. Donc plus d’ouverture que Paris vis-à-vis de cette œuvre, mais avec cependant une proximité géographique du « marché ” parisien qui permettait chaque fois à La Monnaie de contribuer à bien remplir sa salle.
I – PREMIÈRES MANIFESTATIONS WAGNÉRIENNES À BRUXELLES
Comme en France les échos sur les premiers écrits et sur les premières créations d’œuvres de Wagner arrivèrent très progressivement.
Une lettre de Wagner à Liszt du 27 décembre 1850 fait état du souhait de M. Charles Hanssens, directeur de l’Opéra de Bruxelles, d’y voir représenté Lohengrin, opéra, comme le disait ce dernier « dont le sujet est tiré de l’histoire de la Belgique ». Mais il y avait les problèmes de la partition dans les mains de Lüttichau, et d’une traduction à faire en français. Aussi Wagner demande-t-il à son ami de l’aider à débrouiller cette affaire ; il en fait part également quelques jours après à son ami Uhlig. Liszt répond à Wagner qu’il devrait impérativement mettre comme conditions de revoir lui-même la traduction et d’assister aux répétitions générales. Mais ni l’un ni l’autre ne reçurent de suite.
À cette époque, la réception de Wagner en Belgique débutait avec des articles extrêmement critiques de Joseph Fétis, savant musicologue et directeur du conservatoire de Bruxelles. La première audition publique de l’Ouverture de Tannhäuser, à Bruxelles le 10 décembre 1853, ne reçoit de Fétis que des commentaires acerbes. Et il est donc évident que dans les éditions ultérieures de sa monumentale Biographie universelle des musiciens, Fétis rédige pour Wagner une notice très critique. Mais, quoi qu’en pensât le Commandeur Fétis, des critiques belges commençaient à s’intéresser à Wagner. Gand et Liège eurent quelques auditions de pages orchestrales qui ne soulevèrent pas un grand intérêt.
II – RICHARD WAGNER EN BELGIQUE
Ce sera un bref séjour et le seul qu’il fera dans ce pays. Wagner était venu à Paris pour se faire mieux connaître par une série de concerts en janvier-février 1860. Il lui fut suggéré par le journaliste Giacomelli de les répéter dans la capitale belge, ce qu’il accepta volontiers pour reconstituer sa trésorerie mise à mal. Deux concerts furent donc dirigés par le Maître à Bruxelles les 25 et 28 mars : ils eurent en général du succès auprès du public mais un peu moins auprès de la critique. Notons toutefois que Fétis, que Wagner dès son arrivée rencontra dans une entrevue assez orageuse, reconnut au moins après le premier concert sa qualité comme chef d’orchestre. ..
Le contrat, mal lu par Wagner, s’étant avéré défavorable financièrement pour lui, il renonça au troisième concert prévu. Il fit aussi une excursion à Anvers qui lui permit de se rendre compte de visu que le château perché sur une colline du décor de Lohengrin était une vue de l’esprit et que le paysage de l’Escaut était une « plaine sans bornes ».
III – LES PREMIÈRES « PREMIÈRES »
Les échos du scandale de Tannhäuser à Paris en 1861 (dans la distribution duquel figurait une cantatrice belge : Marie Sass dans le rôle d’Elisabeth) arrivèrent amplifiés en Belgique, ce qui concourut à faire que les efforts courageux de musiciens ou journalistes comme Adolphe Samuel, Jules Guilliaume et Edmond van der Straeten, n’aboutirent qu’à quelques interprétations d’extraits d’œuvres wagnériennes à Bruxelles et en province.
Un projet de représentation de Rienzi en 1862 tourna court en raison de certaines difficultés et d’un faible empressement du compositeur lui-même. A noter cependant à cette époque que, dans l’intimité, le premier roi des Belges, Léopold 1er se faisait, paraît-il, souvent jouer du Wagner au piano.
Mais Lohengrin vint : pas d’originalité pour cette première place dans les créations wagnériennes en Belgique, mais l’avance est quand même notable sous l’angle francophonique. C’est un pianiste de grand renom, Louis Brassin, passionné de Wagner, organisant à son domicile des auditions commentées de pièces wagnériennes, qui arriva à persuader le directeur de La Monnaie, M. Vachot, de monter Lohengrin. Il lui fallut beaucoup d’adresse et de diplomatie pour le convaincre que seul Hans Richter, disciple de Wagner, pourrait mener à bien cette création. Le chef d’orchestre en titre, Singelée, accepta de bonne grâce de seconder Richter. Ce dernier s’opposa évidemment à une proposition du directeur Vachot de voir introduire un divertissement chorégraphique au début du troisième acte. Par contre il dut accepter la mort dans l’âme d’importantes coupures. De son côté, Brassin se consacra pleinement aux répétitions.
La première eut lieu le 22 mars 1870 et fut suivie de vingt-et-une représentations, la plupart dirigées avec un moindre talent par le chef Singelée. Lohengrin fut encore donné comme clôture de saison. Ce fut un grand succès tant pour le public que pour la critique, sauf évidemment pour Fétis. La presse parisienne était représentée, entre autres, par Catulle et Judith Mendès et Villiers de l’Isle-Adam. Bien que Verlaine n’ait pas été présent, il a réalisé à cette occasion un croquis représentant ses amis enthousiastes dans leur loge.
Wagner commença dès lors à être de plus en plus entendu en concert en Belgique : et c’est à ce moment, symboliquement que Fétis mourut.
Ajoutons que les fêtes musicales organisées à Weimar en l’honneur de Beethoven en 1871 bénéficièrent du talent d’un chef belge, Edouard Lassen, qui, en tant que maître de chapelle du théâtre grand-ducal, conduisit successivement Le Vaisseau Fantôme, Tannhäuser, Lohengrin et Les Maîtres Chanteurs. Joseph Dupont, dont on reparlera en rendit compte pour Le Guide musical.
Enhardie par le succès de Lohengrin, La Monnaie programme Le Vaisseau Fantôme, très attendu par le public qui remplit la salle le 6 avril 1872, mais qui s’avéra être un four, pour des raisons essentiellement artistiques. On lit dans Le Guide musical : « Ce n’est pas avec un Hollandais impossible, une Senta fatiguée, des chœurs flasques et un orchestre sans vie que Le Vaisseau Fantôme pouvait réussir « . Les séances suivantes furent données à prix réduits devant des salles à moitié vides. La reprise de 1890 ne fut pas plus heureuse, et il fallut attendre 1910 pour que Le Vaisseau s’impose.
La première de Rienzi, par contre, se donna avec succès à Gand en mars 1872.
La perspective de la création de L’Anneau et de la construction du Festspielhaus conduisit à la constitution d’un Comité bruxellois qui sera représenté à Bayreuth par Louis Brassin pour la pose de la première pierre du 22 mai 1872. Le violoncelliste Jules Deswert fut destinataire d’une lettre de Wagner lui confiant le soin de recruter des instrumentistes.
Une nouvelle direction et surtout un nouveau premier chef d’orchestre passionnément wagnérien, Joseph Dupont, vont mettre en répétition Tannhäuser qui sera créé le 20 février 1873, en présence d’un bon nombre de Français et aussi d’Allemands.
Un journaliste écrit : « Si un spectateur indépendant s’était avisé de faire une observation, il aurait été assommé sur place. L’enthousiasme s’est traduit par des vociférations, toujours en langue allemande, qui pouvaient faire croire qu’une armée de sauvages était débarquée dans la capitale de la Belgique ». Une reprise en 1874 s’avéra moins fréquentée, avec une soirée de gala en présence du roi et de la reine des Belges et du duc et de la duchesse d’Edimbourg.
L’œuvre, fort bien chantée, ne fut guère écoutée, le spectacle était dans la salle. La direction, croyant plaire sans doute aux augustes personnages, ne crut pouvoir mieux faire que d’intercaler un ballet au deuxième acte. Singulière façon d’honorer les souverains !
IV – PAUSE À LA MONNAIE
Mais une reprise de Tannhäuser dès l’année suivante fut un mécompte : on peut penser que les premières représentations de l’année précédente avaient suffi à contenter les amateurs. Il existait encore bon nombre d’hésitants, la méfiance était encore grande et Wagner n’avait pas cessé d’être contesté car il est vrai que la wagnérophobie française de cette époque était géographiquement proche…
Des critiques faisaient pression pour que le répertoire traditionnel reprenne ses droits. Dans un article de L’art musical, on lit ceci : « Le public, le vrai public belge, est fatigué d’entendre les hurlements qui retentissent depuis trois ou quatre ans sur la scène de La Monnaie. Il y reviendra le jour où ils auront cessé ». Ces années ont été aussi marquées par des problèmes de direction et de gestion de ce théâtre.
Mais la diffusion des œuvres wagnériennes se poursuivait dans les salles de concert, notamment sous la direction de Joseph Dupont aux « Concerts populaires » et il y eut aussi la publicité qui entoura les préparatifs de Bayreuth.
V – LES BELGES À BAYREUTH
Le Wagnerverein de Bruxelles animé par un groupe très actif put rassembler des sommes importantes pour le théâtre de Bayreuth et Louis Brassin fut son délégué pour participer aux répétitions de l’été 1875.
Il put rendre compte à ses amis, restés en Belgique, de ses très fortes impressions du travail mené par le Maître, avec Richter au pupitre et Liszt suivant la partition, ainsi que de l’agencement de la salle qui n’avait pas encore ses rangées de sièges. Bien que les répétitions n’aient pas été ouvertes au public, Brassin raconte que le nombre des invités privilégiés étant de plus en plus important, la centaine de sièges ne suffit pas et on s’assit directement sur les gradins. Il narre aussi l’ambiance de la réception du dernier soir à Wahnfried.
L’année suivante, sous la conduite des Brassin, Dupont, La Fontaine, Kufferath, Lassen, Mauss, Servais, le premier festival reçut un important contingent de Belges.
D’après Kufferath, ce fut le plus important de tous les pays étrangers ; Richard Wagner recevant ses invités, aurait dit : « Encore des Belges ! Toujours des Belges ! Mais il y en a partout ! Ca ne finira donc jamais ! ». Charles Tardieu relata de manière très précise par des lettres envoyées au journal L’Indépendance belge tout ce qu’il avait vu, entendu et vécu pendant une semaine à Bayreuth. Ces lettres furent ensuite éditées en volume.
VI – LE WAGNÉRISME REVIENT EN FORCE
Deux dates importantes : en février 1877, le premier concert intégralement consacré à Wagner, et en février 1878, l’éclatant succès de la reprise de Lohengrin avec des trains spéciaux « de théâtre », marquent le début d’une grande période wagnérienne. La Monnaie aura donc été le champ d’expérimentation des traductions en langue française : les trois premières, dont nous avons parlé, avaient été traduites par Charles Nuitter, puis par Victor Wilder – résidant à Paris mais natif de Belgique – fort d’un accord passé avec Cosima Wagner, pour Les Maîtres Chanteurs, La Walkyrie, Tristan, Le Crépuscule des dieux. Mais ensuite les traductions d’Alfred Ernst soutenu par La Revue wagnérienne de Paris, furent retenues pour Siegfried et L’Or du Rhin. La direction de La Monnaie suivit ainsi une prudente alternance dans ce contexte d’une forte concurrence des traducteurs. Enfin Parsifal sera créé sur le texte de Judith Gautier revu par le directeur de l’époque Maurice Kufferath.
Une troupe allemande vint donner à Gand en 1880–81 plusieurs représentations des quatre premières œuvres de Wagner. Et puis ce fut le passage à Bruxelles début 1883 après le Nord de l’Allemagne et les Pays-Bas, du Wagner-Theater d’Angelo Neumann avec La Tétralogie. Il y eut des problèmes de rivalités entre Wallons et Flamands, de dépose des éléments de décors dans la rue, mais, malgré l’élévation des prix, la salle de La Monnaie fut bientôt louée et on dut organiser une représentation supplémentaire pour La Walkyrie et pour Le Crépuscule. On n’avait jamais vu tant d’auditeurs suivre la représentation, le texte (et même la partition) à la main : la salle de la Monnaie ressemblait à un cabinet de lecture… Les commentaires de la presse furent très partagés. Voici deux extraits : « Cela ne tient en rien du charme ni de la séduction ; cela vous saisit brutalement, cela vous secoue, vous subjugue, vous terrifie presque. Il n’y a pas à résister ; il faut se rendre. C’est le viol de l’admiration !”. Et puis : « Il n’y a plus de chanteurs, il n’y a que des récitants dans La Tétralogie. Comment Wagner a-t-il méconnu les immenses ressources de ce merveilleux instrument, la voix humaine ». Immédiatement après le cycle, la troupe de Neumann donna également deux concerts Wagner à Bruxelles, toujours dirigés, bien sûr, par Anton Seidl.
Pour la création de Parsifal à Bayreuth, il y avait eu une rumeur répandue par des antiwagnériens d’une prétendue épidémie de variole à Bayreuth, information rapidement démentie, mais qui fit hésiter bien des gens à s’y rendre. La presse belge, bien représentée, fut pratiquement unanime quant à l’impression grandiose que fit l’œuvre ultime du Maître.
VII – MORT DE WAGNER
Le comité belge du patronat de Bayreuth s’employa à ouvrir une souscription pour faire déposer une couronne aux couleurs belges sur la tombe à Wahnfried.
Dès le 18 février le Concert populaire substitua l’ouverture des Maîtres Chanteurs à un autre morceau du programme : elle fut longuement et significativement acclamée. Et le dernier concert du 8 avril fut entièrement composé d’œuvres de Wagner.
Date mémorable également par le fait que ce fut la première prestation à Bruxelles de deux interprètes dont la carrière sera éblouissante : Rose Caron et Ernest van Dyck. D’autres concerts en province, des conférences, marquèrent la disparition de Wagner. À la création de l’Association wagnérienne universelle en mai, le Comité belge s’empressa de la rallier : les membres, de trente-sept en 1884 passèrent à soixante-treize en 1889.
Mais il manquait depuis quelques années l’âme du mouvement, Louis Brassin, qui était passé depuis quelques années de la direction du conservatoire de Bruxelles à celui de Saint-Pétersbourg et qui y mourut en 1884.
VIII – SUITE DES « PREMIÈRES »
La première des Maîtres Chanteurs de Nuremberg se fit en mars 1885, dirigée par Joseph Dupont.
Elle avait été précédée par un déplacement de la direction à Londres pour assister aux représentations données sous la direction de Hans Richter, spécialiste s’il en était de cette partition. Ce fut un très grand succès, malgré les souhaits de défaite des détracteurs et ceux, au contraire, qui redoutaient un insuccès. Sachs était interprété par Seguin qui sera le Wotan-Wanderer du premier Ring en France, à Lyon, en 1904. Cette première se déroula en présence de la Reine des Belges et de nombreux représentants de la presse parisienne : Jullien, Fourcaud, Benoit, Dujardin, Guiraud, Lascoux…
Les deux années suivantes, il y eut plusieurs concerts comportant des actes entiers de Wagner ou des extraits avec solistes, dans lesquels le ténor van Dyck commença à s’illustrer comme un interprète exceptionnel.
Puis ce fut la première de La Walkyrie en mars 1887. Lapissida, nouveau co-directeur de La Monnaie avec Joseph Dupont, avait fait auparavant le voyage de Dresde pour assister à une représentation de cette œuvre. On avait agrandi la fosse d’orchestre et fait en sorte que l’obscurité soit renforcée. Félia Litvinne était Brunnhilde. La reine des Belges était là encore : elle s’était même occupé, paraît-il, du cheval qui devait représenter Grane. De France, étaient venus Reyer, Jullien, Servières, Dujardin, Massenet, Chabrier, Delibes, Messager, Mendès, Lascoux etc…
Le succès entraîna l’apparition de deux parodies, genre apprécié à l’époque : la première, La Petite Walkyrie, « bouffonnerie illyrique en un acte et pas mal de nuages » ; la seconde, Valkyrigole, « parodie éclair avec les personnages de Singe-Mou, Si-Dinde, Pouding, Veau-Blanc, Sisca, Brune-Mie ».
Suivront la première de Siegfried en 1891, Tristan et Isolde en 1894, Le Crépuscule des dieux en 1901, La Tétralogie en 1903, L’Or du Rhin en 1909 et évidemment Parsifal en 1914.
Notons au passage que Tristan fut dirigé par Philippe Flon qui sera de 1903 à 1909 le premier chef d’orchestre au Grand Théâtre de Lyon où il créa Le Crépuscule, L’Anneau intégral et Le Vaisseau Fantôme, et en fut aussi son co-directeur avec Limouzy de 1906 à 1909.
La dernière première de Wagner, fut, comme de juste et comme partout, Parsifal, dès le 2 janvier 1914, dans la traduction de Judith Gautier revue par Kufferath. Ce dernier dessinera également les esquisses des décors confiés à l’excellent peintre-décorateur Jean Delescluze et les costumes furent dessinés parle célèbre peintre Femand Knopff. Cet événement fut aussi l’occasion de fêter la direction de Kufferath-Guidé, le 5 mai, après la trente-cinquième représentation. Il y eut la publication d’un livre commémoratif avec une importante notice sur l’œuvre par Kufferath ainsi qu’une souscription pour une médaille commémorative, due au sculpteur Devreese.
Signalons aussi que Wagner eut un défenseur de talent à Liège avec Sylvain Dupuis et ses Nouveaux Concerts qui permit la venue dans cette ville de von Bülow, Richard Strauss, Mahler, Felix Mottl, Weingartner, rien de moins. . . .
Pour compléter et finir cette approche chronologique, voici quelques zooms particuliers.
ANNEXES :
Annexe 1 –
ERNEST VAN DYCK (1861-1923)
Ce fut un des très grands interprètes de Wagner.
Né à Anvers en 1861, il avait des talents de poète et dramaturge mais s’orienta assez vite vers le chant, d’abord comme baryton dans des associations diverses et des salons à Louvain et Bruxelles.
Le concert donné à la mémoire de Wagner, le 8 avril, aux Concerts populaires le fait connaître dans le « Preislied » des Maîtres Chanteurs. Mais sa première interprétation scénique se fit avec la fameuse première de Lohengrin à Paris, le 3 mai 1887. Ce fut encore lui qui la reprit le 16 septembre 1891. En 1887, deux émissaires de Cosima, von Gross, administrateur financier du festival de Bayreuth et le chef d’orchestre Hermann Levi, seront impressionnés par la prestation de van Dyck, et Cosima l’invite pour une audition à Munich dès septembre. Van Dyck était venu, avec sa jeune épouse Augusta, au festival de 1886 mais en spectateur. (A noter que leur mariage fut célébré le 31 juillet précédent soit le jour même de la mort de Franz Liszt ; de plus, il est vraisemblable que Franz Servais le frère d’Augusta ait été le fils illégitime de Liszt… ) Van Dyck sera engagé dès 1888 à Bayreuth. Il sera Parsifal pendant huit festivals jusqu’en 1912 et Lohengrin lors de sa création à Bayreuth en 1894.
Cependant les relations entre van Dyck et Cosima seront tumultueuses avec des hauts et des bas, le ténor ne se soumettant pas à toutes les volontés de Cosima… Malou Haine cite en exergue de son ouvrage sur van Dyck l’extrait suivant d’une lettre de Cosima : « Parmi tous les artistes avec lesquels le travail m’a mise en relation, je n’en sais point sur lequel j’ai fondé de si grandes espérances [. . .] L’idée ne me serait pas venue, que vous seriez celui qui me causerait la plus profonde déception » (en 1896, il ne sera pas invité au festival).
Il sera engagé au Hofoper de Vienne, omniprésent à Bruxelles, Paris, Londres et fera plusieurs tournées en Amérique et en Russie. Il honorera le Grand-Théâtre de Lyon dans un Siegmund en 1912… A Bruxelles, il aura interprété : Lohengrin, Tannhäuser, Tristan, Siegmund, Loge. Parmi ses accompagnateurs pianistes, on compte Georges Lauweryns, futur chef d’orchestre au Grand Théâtre de Lyon et Alphonse Cluytens (le père d’André).
Annexe 2 –
MAURICE KUFFERATH (1852-1919)
Musicologue et musicographe belge, il collabora au Guide MusicaI dont il fut le directeur de 1890 à 1914.
En 1900, il fut nommé directeur du Théâtre de La Monnaie. Bien qu’à cette date, la plupart des créations wagnériennes fussent déjà faites, les trois dernières et les reprises furent, en particulier pour la mise en scène, de qualité encore supérieure.
Dans les écrits de Kufferath, on retiendra surtout les six volumes parus de 1891 à 1898 consacrés au Théâtre de Wagner de Tannhäuser à Parsifal.
Manquent à la série : Tannhäuser, L’Or du Rhin, Le Crépuscule des dieux sans compter Le Hollandais non compris dans le programme déterminé. Il s’agit de monographies de très grande qualité : analyse des sources légendaires et historiques, histoire de l’œuvre et sa réception. Dans les pays francophones, ces études contribuèrent de façon très importante à la diffusion de l’œuvre wagnérienne. Et elles demeurent encore de nos jours très recherchées par les wagnériens.
Le procès de Jules Destrée
Cette personne, avocat et wagnérien fervent, quitta la salle de la Monnaie le 18 avril 1891, après une représentation de Siegfried, indigné par les scandaleuses coupures qu’il avait constatées. Il résolut de prendre la défense de l’art outragé et assigne la direction devant le tribunal de commerce. La cause sera défendue par Destrée lui-même et son ami Edmond Picard. Destrée argua sans détour que la direction d’un théâtre ne pouvait « pas plus supprimer des morceaux qu’un restaurateur ne peut enlever des plats du menu d’un dîner à prix fixe”. Son confrère, maître Picard, s’indignait de cet « attentat contre la dignité de l’art » qui était en même temps « une violation de la loi commerciale prescrivant de livrer intacte la marchandise vendue » (n’oublions pas que nous étions dans un tribunal de commerce !) Dans la presse on lit ceci : « Un usage ne prévaut pas contre une disposition légale. D’ailleurs un usage admis pour Les Huguenots ou La Juive peut-il s’appliquer à Siegfried ? De ce que l’on a coutume de châtrer les matous peut-on inférer qu’il soit permis de pratiquer la même opération sur tous les mammifères ». De son côté, Maurice Maeterlinck écrivit à Destrée : « En passant, mes félicitations pour le procès de La Monnaie. J’ai été comme vous victime des manipulations de ces industriels. Vous êtes vraiment le grand justicier de l’art ici « . Le tribunal de commerce rendit un jugement qui, s’en tenant à l’aspect strictement commercial du problème, débouta le demandeur qui avait agi « sous l’empire des sentiments esthétiques les plus élevés ». Mais il demeurait que Destrée avait suscité ainsi un débat public.
Wagnérisme et arts plastiques
Le symbolisme et l’idéalisme du tournant du XIXᵉ -XXᵉ siècles seront très présents en Belgique. Les plasticiens seront très proches des milieux ésotériques, notamment Rose-Croix avec l’importance qu’ont eue le Sãr Péladan et Schuré à Bruxelles.
– Emile Fabry (1965-1866) a peint plusieurs grands panneaux installés à La Monnaie : sans céder à la tentation, somme toute facile, d’illustrer des opéras précis, Fabry, attentif à la résurgence des mythes dans l’œuvre de Wagner, conçut un cycle inspiré par la naissance de la tragédie de Nietzsche.
– Jean Delville (1867-1953) : très attiré par l’occultisme, il est l’auteur d’un Tristan et Yseult, crayon et fusain, un Parsifal, fusain, un autre, huile sur toile.
– Femand Khnopff (1858-1921), marqué par les préraphaélites (Burne-Jones, Rossetti) pèlerin de Bayreuth avec Verhaeren en 1887, on lui doit une lsolde,fusain et pastel.
– James Ensor (1860-1949) : Enthousiasmé par Wagner, on lui doit Bourgeois indignés sifflant Wagner à Bruxelles, dessin, Au conservatoire, dessin, La chevauchée des Walkyries, gouache et crayon, et Les amusements des Walkyries, crayons de couleur.
– Alfred Moitroux (1886-1938) : un Parsifal, fusain, apparemment inspiré de La Vierge aux rochers de Vinci.
– Henri de Groux (1867-1930) fit le voyage de Bayreuth en 1896 : caractérisé par ses visions hallucinées, on peut citer un Siegfried blessé, lithographie, un Lohengrin, pastel,
– Siegfried et les filles du Rhin, lithographie, plusieurs portraits et un buste de Wagner.
– Constantin Meunier, sculpteur, auteur entre autres d’une Walkyrie.
– Geo Verbanck, sculpteur d’une Brunnhilde.
On pourrait ajouter pour les passionnés d’iconographie wagnérienne les adresses de maisons ou d’immeubles de Bruxelles ornés de sgraffites ou de médaillons sculptés.
JB in WAGNERIANA ACTA 2010 @ CRW Lyon
Bibliographie :
– EVENEPOEL (Edmond) :
Le Wagnérisme hors d’Allemagne (Bruxelles et la Belgique) : Paris, Bruxelles et Leipzig, Fischbacher-Schott-Ono Junne, 1891, XII-300 p.
– COUVREUR (Manuel)
La Monnaie wagnérienne. Bruxelles, Université libre de Bruxelles – Cahiers du GRAM 1998, V-405 p.
– HAINE (Maloll)
Ernest Van Dyck, un ténor à Bayreuth. Suivi de la correspondance avec Cosima Wagner. Lyon, Symétrie, 2005, 266 p.
– TARDIEU (Charles)
Lames de Bayreuth. L’Anneau du Nibelung de Richard Wagner. Représentations données en Août 1876 (Extrait de L’Indépendance belge). Bruxelles, Scott, 1883, 175 p.
Catalogues d’expositions