LA MUSIQUE POUR PIANO DE RICHARD WAGNER

L’œuvre musicale de Richard Wagner est composée d’opéras ou “drames musicaux” allant des “Fées” (Die Feen) à “Parsifal”. Une présentation détaillée de chacune de ces œuvres majeures est ici associée à un ensemble d’articles thématiques, replaçant celles-ci non seulement dans le contexte de sa vie personnelle mais également dans son contexte social, économique et culturel. Cette section regroupe également l’ensemble des œuvres musicales (hors opéra) et son œuvre littéraire.

LA MUSIQUE POUR PIANO DE RICHARD WAGNER

par logo_cercle rw Henri PERRIER

 

Les compositions pour piano de Wagner ne sont évidemment pas à mettre sur le même niveau que ses œuvres dramatiques. Ce serait d’une idolâtrie puérile et stérile de vouloir élever au rang de chef d’œuvre suprême certaines pièces qui relèvent bien plus du domaine des travaux pratiques d’un étudiant s’initiant à la création musicale et dont le compositeur lui-même a fait par la suite bien peu de cas.

Néanmoins, à côté d’œuvres de jeunesse laborieuses et interminables, il y en a d’autres plus tardives, simples, discrètes et charmantes qui ne peuvent que recueillir la sympathie, sinon les caciques de la science pianistique, du moins de la part des wagnériens de cœur. Cependant, plutôt que de s’engager plus avant dans des considérations critiques que ce soit sur les œuvres, sur leur auteur, sur ses admirateurs ou ses contempteurs, penchons-nous sur la matière elle-même, c’est-à-dire faisons le recensement de ces diverses pièces pour piano en les groupant par genres ce qui pourra permettre de les apprécier avec davantage de discernement.

Tout d’abord, bien que cela représente une partie quantitativement importante, nous ne nous attarderons pas sur les travaux d’arrangement et de réduction d’œuvres symphoniques ou opératiques, que ce soit la réduction pour piano de la Neuvième Symphonie de Beethoven que Richard réalisa à l’âge de dix-sept ans (WWV 9) ou celles d’opéras de Donizetti, Auber ou Halévy auxquelles il dut se livrer à l’époque de sa misère parisienne. Signalons toutefois qu’il a effectué lui-même une réduction pour piano de Tannhäuser, ce qui est à ma connaissance la seule fois qu’il fit ce genre de travail pour une de ses propres œuvres lyriques.

Ceci mis a part, nous pouvons classer les œuvres de Wagner pour clavier dans les trois catégories suivantes :

– Les œuvres d’apprentissage

– Les œuvres de circonstance

– Les musiques d’accompagnement d’œuvres vocales

1) Les œuvres d’apprentissage

Pendant les années 1828-1832, à Leipzig, sous la férule de son maître le Kantor Theodor Weinlig, Richard s’initia à la composition en écrivant un assez grand nombre de pièces aussi bien symphoniques que pianistiques, dont celles qui nous sont restées témoignent d’une indiscutable application mais ne laissent voir ni originalité manifeste, ni génie éclatant. Aussi n’intéressent-elles plus une postérité restreinte que parce que leur auteur est celui qui devait devenir le maître suprême du drame lyrique. De cet ensemble, trois Sonates pour piano ont été perdues et trois autres ont pu être conservées.

La première, en si bémol majeur (WWV 21), dédiée à son maître Weinlig et publiée en son temps par Breifkopf et Hartel, a un charme juvénile de bon aloi mais le redoutable inconvénient de durer plus de vingt-cinq minutes.

La deuxième est la Fantaisie en fa dièse mineur (WWV 22) bien moins scolaire, elle est, comme son nom l’indique, structurée de manière fantasque. Certains commentateurs à l’oreille particulièrement exercée y ont décelé des structures embryonnaires annonçant des œuvres ultérieures. On y retrouve surtout, de manière lancinante, le thème de Marguerite au rouet des Sept compositions pour le Faust de Goethe écrites quelques mois auparavant.

La troisième est la Grande Sonate en la majeur (WWV 26) qui est fortement influencée par le modèle beethovenien. Mais l’auditeur se lasse de faire cette constatation pendant les trente longues minutes que lui inflige cette œuvre avec d’incessantes répétitions.

En résumé, même s’il y aura toujours quelques esprits précieux qui se plairont à y déceler la préfiguration d `une inventivité puissante, ces trois Sonates peuvent difficilement être proposées à un auditoire de concert. Elles restent donc confinées dans des enregistrements dont la raison d’être est justement de proposer à titre documentaire l’intégralité des œuvres pour piano de Wagner.

On peut détacher de ce groupe des œuvres d’apprentissage la Polonaise en ré majeur (WWV 23) dont il existe deux versions pour deux et quatre mains ; sinon très originale, elle est du moins plaisante et entraînante. Ecrite dans l’enthousiasme suscité par la révolte contre l’occupant russe et l’arrivée à Leipzig de réfugiés polonais, on peut l’assimiler aux œuvres de circonstance que nous allons envisager maintenant.

2) Les œuvres de circonstance

Nous rangeons dans ce groupe des feuilles d’album dédiées à des personnes généralement de sexe féminin, proches par le cœur ou par l’aide et l’intérêt qu’elles portèrent à l’artiste.

On peut leur appliquer le terme suranné de « bluettes » qui désigne de petites pièces sans importance mais finement écrites. La première par ordre chronologique est une pièce pour piano en mi majeur, charmante et sans prétention, dédiée à l’ami et compagnon de Richard dans sa vie de bohème à Paris, le peintre Emst-Benedikt Kietz ; elle porte le titre de Romance sans paroles.

Puis vient une œuvre importante à plus d’un titre qui est la Sonate en La bémol majeur (WWV 85) pour l’album de Madame M.W., Mathilde Wesendonck, bien sûr. Pièce en un seul mouvement d’une dizaine de minutes, c’est sans doute la meilleure des œuvres pour piano de Wagner. Ecrite en juin 1853, c’est la première composition du Maître après les cinq longues années d’interruption qui suivirent l’achèvement de Lohengrin, si on oublie une très modeste et très brève polka écrite un mois plus tôt et destinée à la même Mathilde. Notre Cercle a fait entendre cette sonate plusieurs fois en concert (Stephan Môller, John Gevaert). C’est une œuvre attachante, peut-être pas d’un grand intérêt purement pianistique ni d’une inspiration mélodique particulièrement riche. C’est plutôt une rêverie qui reflète bien l’état d’esprit de Wagner à cette époque de sa vie : tendres sentiments pour Mathilde et besoin tourmenté de se replonger dans le monde de l’opéra.

L’année suivante, il dédia à Marie Luckmeyér, la sœur de Mathilde, une pièce aimable et farfelue “valse ou polka ou quelque chose d’autre » intitulée “Züricher Vielliechen » (philippine zurichoise).

Wagner écrira encore trois feuilles d’album dédiées à des admiratrices et bienfaitrices :

– Dans l’album de la princesse M. (Metternich) pour la remercier de son influence et de son engagement au moment des représentations parisiennes de Tannhäuser (WWV 94, 1861 ). C’est une piécette facile et coquette du genre musique de salon.

Arrivée prés des cygnes noirs, en la bémol majeur, dédiée a la comtesse de Pourtalès qui avait donné l’hospitalité au Maitre pendant Pété 1861 (WWV 95). C’est un morceau au ton plus grave que le précédent, nostalgique sinon très inspiré, où revient la phrase : « Sei mir gegrüsst » de l’air d’entrée d’Elisabeth avec des réminiscences de Tristan.

– La feuille d’album en mi bémol majeur (WWV 108) dédiée a Betty Schott, la femme de l’éditeur et bienfaitrice de l’entreprise de Bayreuth, est une pièce plus tardive de 1875 qui s’imprègne de la musique des Maîtres Chanteurs de manière douce et intime mais un brin monotone.

On va mettre avec les pièces précédentes une composition qui pourrait elle-même constituer un groupe séparé. C’est l’élégie, thème ou mélodie en la bémol majeur (WWV 93) qui date de 185 8 et que Wagner reprit et compléta en 1881. Elle date de l’époque de la composition de Tristan à Venise. Il s’agit plutôt d’une esquisse qui se rattache à l’ambiance sombre et désolée du prélude du troisième acte, mais que Wagner n’utilisa pas. Bien plus tard, il reprit ces huit mesures et les compléta avec cinq autres pour les offrir a Cosima avec la partition achevée de Parsifal. Cette musique, considérée longtemps mais à tord comme la dernière pensée musicale de Wagner (sous le nom de thème Porazzi), se fait entendre à plusieurs reprises au cours du film “Ludwig” de Lucchino Visconti ; ce qui l’a sinon popularisée, du moins chargée de mystère, de mélancolie et d’angoisse.

Certains de ces morceaux, dont le caractère privé est évident, ont cependant été publiés du vivant de Wagner, non qu’il y attachât une grande importance mais en réalité parce que les circonstances, en particulier financières, l’y avaient contraint. Ainsi la sonate à Mathilde fut confiée aux éditions Schott pour éponger certaines dettes et aussi pour éviter ou du moins retarder la publication du Siegfried Idyll que Schott réclamait. D’autres ne sont parues que bien après la mort de leur auteur.

3) Les œuvres avec piano d’accompagnement

Ces compositions où le piano sert d’accompagnement à une partie vocale sont, de ce fait, celles qui sont le plus souvent proposées au public, particulièrement les Wesendonck Lieder que les organisateurs de concert qui ne peuvent se permettre les services d’un orchestre symphonique présentent fréquemment, presque trop oserait-on dire, sans que cela n’enlève rien à la qualité de ces lieder.

Dans “Der Engel”, le piano souligne placidement la ligne vocale. Dans “Im Treibhaus” et “Träume”, c’est la musique de Tristan qui sert de trame. Mais pour “Stehe still« , la partie de piano très étoffée constitue un vrai dialogue avec la voix et s’épanche même de manière indépendante, Il en est de même dans “Schmerzen« .

Les autres morceaux pour chant et piano de Wagner comprennent ce qu’on appelle souvent “Les chants parisiens” écrits sur des textes français entre 1839 et 1841 : Dors mon enfant, Extase, Attente, La tombe dit à la rose, Mignonne, Tout n’est qu’images fugitives, Les deux grenadiers, Les adieux de Marie Stuart.

Ces pièces mineures ne paraissent cependant pas indignes du talent du jeune Richard en transhumance entre Rienzi et le Hollandais Volant. Le piano y tient joliment sa place, notamment dans “Les deux grenadiers”, véritable ballade dramatique, où il fait entendre en conclusion le refrain de la Marseillaise.

Le même groupe de chant et piano comprend encore les “Sept Compositions pour le Faust de Goethe”, une œuvre d’apprentissage de 1831, atypique et intéressante, spécialement dans le dernier numéro intitulé “Melodram” où le piano s’exprime de manière libre sur un thème que Wagner reprendra dans son premier opéra “Les Fées”. Pour compléter la liste, il faut citer encore “Le sapin”, un lied sombre et funèbre (183 8), le “Salut de ses fidèles à Frédéric Auguste« , œuvre de circonstance en l’honneur du roi de Saxe de 1844, et le “Kindercatechismus”, autre œuvre de circonstance écrite pour le Noël de 1873 à Wanhfried.

logo_cercle rw  HP in WAGNERIANA ACTA  2012 @ CRW Lyon

 

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