UNE HISTOIRE DES GRANDES SCÈNES WAGNÉRIENNES : LA STAATSOPER DE VIENNE (Vienne, Autriche)

Au disque ou à la scène, un répertoire des différentes productions et enregistrements de « référence » ainsi qu’un calendrier des représentations des œuvres de Richard Wagner sur les principales scènes mondiales.

UNE HISTOIRE DES GRANDES SCÈNES WAGNÉRIENNES A TRAVERS LE MONDE :

STAATSOPER (Vienne, Autriche)

Fiche technique du théâtre :

Lieu : Vienne (Autriche)
Architecte :  August Sicard von Sicardsburg et Eduard van der Nüll, puis Erich Boltenstern
Date d’inauguration :  25 mai 1869
Capacité : 2.200 places

Site web : www.wiener-staatsoper.at

SOMMAIRE :

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Et encore ailleurs dans le monde

par Olivier SAUVAGE @ Le Musée Virtuel Richard Wagner

Le théâtre Kärntnertor comme scène de spectacle allemande à Vienne au XVIIIe siècle

Vienne devint très tôt l’une des capitales musicales du continent européen. Les Habsbourg eurent à cœur d’y favoriser la musique, la danse et l’art lyrique. Le premier opéra fut ainsi représenté dès 1625 à la Hofburg, l’imposant palais impérial qui devint aussi une salle de concert grâce à l’empereur Leopold. Au début du XVIIIe siècle, la construction du Theater am Kärntnertor permit à de nombreux compositeurs de faire représenter leurs œuvres. Détruit par un incendie en 1761, l’édifice fut reconstruit peu après. Mozart, Salieri, Paër, Weigl, Weber, ou encore Donizetti purent y créer de nombreux opéras. Au Burgtheater, autre salle légendaire, les spectateurs purent découvrir d’autres créations de Gluck (Orfeo ed Eurydice, Alceste, Paride e Elena), Mozart (Les Noces de Figaro, une version révisée de Don Giovanni, Così fan tutte) et Cimarosa (Il Matrimonio segreto). Le critique musical Jean Cabourg souligne à juste titre dans l’Encyclopaedia Universalis qu’il faut y ajouter « les productions originales du National Singspiel créé par l’empereur, dont L’Enlèvement au sérail (1782), celles aussi qu’accueillent les scènes des faubourgs tel ce Theater auf der Wieden où fut créée La Flûte enchantée en 1791. »

La Staatsoper de Vienne est quant à lui une salle plus récente. Il résulte du grand projet urbanistique lancé par l’empereur François-Joseph à la fin des années 1850 pour démanteler l’ancien rempart et y créer un boulevard circulaire, la Ringstrasse, bientôt surnommée Ring. Le long de cette artère furent édifiés des bâtiments de prestiges : plusieurs musées, une église, l’Hôtel de Ville, et le nouvel Opéra, inauguré le 25 mai 1869 sous le nom de Hofoper am Ring par un Don Giovanni proposé en langue allemande en présence du couple impérial. Doté d’une jauge de près de 2 300 places, le bâtiment est l’œuvre d’August Sicard von Sicardsburg et de Josef Hlávka, les décorations intérieures ayant été conçues par Eduard van der Nüll. Ni Sicardsburg ni van der Nüll ne purent cependant assister à l’ouverture de l’édifice : en butte à des critiques malveillantes, Van der Nüll se suicida le 4 avril 1868, alors que Sicarsburg mourut de maladie le 11 juin suivant. D’autres artistes contribuèrent à embellir les lieux, tel Moritz von Schwind, qui peignit les fresques du foyer de l’opéra.

Les premiers directeurs du Hofoper am Ring permirent à l’établissement d’acquérir un début de notoriété : Franz von Dingelstedt (jusqu’en 1870), Johann Herbeck (1870-1875), Franz Jauner (1875-1880), et Wilhelm Jahn (1881-1897) apportèrent tour à tout leur pierre à l’édifice, mais c’est Gustav Mahler qui assit définitivement la réputation de l’Opéra de Vienne entre 1897 et 1907. Lui succédèrent Felix Weingartner (1908-1911) et Hans Gregor (1911-1918).

À la fin de la Première Guerre mondiale, avec l’avènement de la république autrichienne, l’Opéra impérial devient Opéra d’État (Staatsoper). Dirigé par Franz Schalk et Richard Strauss (1919-1924), puis Schalk seul (1924-1929), il connut un nouvel élan, prolongé par Clemens Krauss (1929-1934) et Felix Weingartner (1935-36). Lorsque l’Anschluss survint, Erwin Kerber, qui était à la tête de l’établissement depuis deux ans, n’hésita pas à licencier 200 musiciens et chanteurs Juifs, dont le ténor Richard Tauber. Kerber aida cependant la fille de Bruno Walter à fuir l’Autriche, et permit à Josef Krips de trouver un nouveau poste à Belgrade, hors de l’emprise nazie.

Karl Böhm dirigea la Staatsoper de 1943 à 1945. Le 12 mars 1945, l’édifice fut bombardé. Seuls la façade, la loggia et le grand escalier furent épargnés.

Entre 1945 et 1955, les spectacles furent donnés au Volksoper et au Theater an der Wien. Période faste d’un point de vue musical malgré les stigmates de la guerre : Elisabeth Schwarzkopf, Irmgard Seefried, Wilma Lipp, Erich Kunz et Anton Dermota, entre autres, s’y produisirent. 

 Reconstruit sous la supervision d’Erich Boltenstern, la Staatsoper fut inauguré le 5 novembre 1955 par un Fidelio dirigé par Böhm, lequel fut nommé à la tête de l’institution, dont il démissionna l’année suivante. Herbert von Karajan prit sa suite, d’abord seul, jusqu’en 1962, puis secondé par des associés entre 1962 et 1964. Karajan marqua de son empreinte les lieux, imposant notamment l’exécution des œuvres chantées dans leur langue originale. Les directeurs qui lui succédèrent jouèrent un rôle essentiellement administratif. Il fallut attendre la nomination de Lorin Maazel, effective à partir de 1982, pour qu’un chef d’orchestre tienne à nouveau les rênes de l’Opéra de Vienne. 

De nos jours, la Staatsoper demeure l’un des temples européens de la musique. De grands chanteurs continuent à s’y produire, assurant la renommée de cette scène lyrique dont l’Orchestre philharmonique de Vienne perpétue aussi largement la tradition d’excellence.

Wagner à Vienne

L’intérieur de la salle du Theater an der Wien, au XIXème siècle.

Après un premier voyage à Vienne à l’été 1832, qui se solda par une déception musicale, Hérold étant alors plus en faveur que Beethoven, Richard Wagner effectua plusieurs autres séjours dans la capitale de l’empire d’Autriche pour y diriger ses œuvres. Il s’y rendit ainsi à la fin du mois de décembre 1862 pour donner trois concerts au Theater an der Wien, dont le premier eut comme spectatrice privilégiée l’Impératrice Elisabeth d’Autriche. L’auditoire put y entendre l’Ouverture des Maîtres Chanteurs de Nuremberg, accompagnée de deux scènes de cet opéra alors en cours de composition. Le programme comprenait en outre quelques extraits symphoniques de sa Tétralogie. La soirée fut un franc succès, mais engendra un déficit considérable en raison des dépenses réalisées pour édifier une paroi de résonance conforme aux souhaits de Wagner, qui désirait une meilleure acoustique. 

À la fin de l’hiver 1875, Wagner reprit le chemin de l’Autriche en compagnie de sa seconde épouse Cosima dans le cadre d’une tournée en Europe centrale entreprise pour assurer le financement de son projet de festival à Bayreuth. Le couple Wagner demeura à Vienne du 21 février au 6 mars. Le premier concert, qui eut lieu le 1er mars, fut triomphal. Cosima s’en fit l’écho dans son Journal : « R. est accueilli de manière incomparable, les saluts adressés à R. n’en finissent pas ; il reçoit des tas de couronnes de laurier avec de belles inscriptions : “au sauveur de l’art allemand”, “au maître de l’humour”, “au créateur des Maîtres Chanteurs, “à celui qui connaît et renouvelle la vieille légende”, “au réformateur”, “au maître sublime”, “au poète de la scène”, etc. » Wagner remercia chaleureusement le public viennois. Le surlendemain, à l’occasion de festivités organisés dans l’atelier du peintre Hans Makart, il revit son ami et architecte Gottfried Semper. Tous deux avaient travaillé à un projet de Palais des Festivals à Munich qui ne s’était pas concrétisé. Ces retrouvailles scellèrent leur réconciliation.

Wagner revint une dernière fois à Vienne en mars 1876. Il y dirigea une représentation de Lohengrin au bénéfice du personnel de l’Opéra. Le lendemain, en guise de remerciement, les chœurs de l’Opéra de la Cour vinrent interpréter « Éveillez-vous » (« Wach auf », acte III des Maîtres chanteurs) dans la salle d’attente de la gare, au moment du départ de Richard et de Cosima

Vienne et Wagner

L’accueil chaleureux réservé par Vienne aux opéras de Wagner se traduisit par la création de l’un des tout premiers cercles wagnériens, le Wiener Akademischer Wagner-Verein, fondé en 1872 par des étudiants de l’Université et du Conservatoire, constituant alors une « phalange de jeunes pionniers révolutionnaires », pour reprendre une expression de Stéphane Goldet. Wagner y dirigea lui-même le concert d’inauguration en mai 1872.

L’oeuvre de Wagner figura très souvent au programme de l’Opéra de Vienne. Dès 1878, Victor Tissot écrivait ces lignes significatives : « À Vienne, l’enthousiasme musical va jusqu’au fanatisme et au délire ; aussi, est-ce dans ce milieu passionné et chaleureux qu’ont vécu et se sont développés tous les hommes dont l’art musical est fier. On y comprend les génies incompris ; le buste de Wagner trône au nouvel Opéra, et Vienne est la seule ville, avec Munich et Bayreuth, où l’on ait joué le prologue de la tétralogie des Nibelungen ».

La revue Le Guide musical, reprenant une statistique relayée par les journaux de langue allemande, notait pour sa part qu’en 1893, les œuvres de Wagner avaient été données à 60 reprises à l’Opéra impérial. 

Les décors d’Alfred Roller pour Tristan et Isolde en 1903 à la Staatsoper de Vienne.

Hans Richter proposa au public la première intégrale de la Tétralogie produite en Autriche. Gustav Mahler, grand admirateur de Wagner, mit lui aussi souvent ce composteur au programme. Tristan fut ainsi représenté en 1903, et repris dans cette même version quatre décennies durant. L’Or du Rhin et La Walkyrie suivirent entre 1905 et 1907. Les décors du peintre Alfred Roller, qui travailla en étroite collaboration avec Mahler à partir de 1903, servirent idéalement les opéras wagnériens. Jean-Charles Hoffelé souligna l’importance de Mahler : « C’est grâce à Mahler qu’une tradition philologique de l’interprétation wagnérienne s’enracina à Vienne. » 

La suite du XXe siècle confirma ce tropisme wagnérien. Les différents directeurs de la Staatsoper accordèrent aux différents opéras de Wagner une place de choix. Le disque, la radio, le cinéma puis la télévision en apportèrent la preuve éclatante au monde entier. Les captations de spectacles permettent en effet d’avoir une idée concrète du niveau d’excellence atteint. Que l’on songe aux productions de Tannhäuser, Lohengrin et du Crépuscule des dieux dirigées par Hans Knappertsbusch entre 1936 et 1943, et qui bénéficiaient de remarquables distributions, qui comptaient entre autres le ténor Paul Kötter (Lohengrin), la soprano Margarete Teschemacher (Elsa), la basse Herbert Alsen (Roi Heinrich) et la contralto Anny Konetzni (Ortrud). Après-guerre, le Lohengrin dirigé en 1965 par Karl Böhm avec Jess Thomas dans le rôle-titre et Christa Ludwig en Ortrud fut également mémorable, tout comme le Tannhäuser de 1963 confié à la baguette de Karajan, et dont le plateau vocal était étincelant : Hans Beirer, Gottlob Frick, Eberhard Wächter, Gré Brouwenstijn, Christa Ludwig et Gundula Janowitz.

 La tradition wagnérienne a perduré jusqu’à nos jours, comme en témoignent les prestations contemporaines de Nina Stemme, qualifiée à juste titre de « wagnérienne suprême » par Dominique Adrian dans un article du site Opera Online. Ses incarnations de Senta, Brünnhilde et Isolde l’ont hissée au rang des plus grandes interprètes, au point qu’en juin 2021, le programme du Festival d’Aix-en-Provence pouvait titrer « Nina Stemme : la plus grande Isolde de notre temps ! »

Ville tout entière tournée vers la musique et les arts, Vienne offrait à Wagner un cadre idéal pour promouvoir ses œuvres. Elle lui donna aussi l’opportunité de trouver une partie des fonds qui permirent au Festival de Bayreuth de voir le jour. Vienne assura pour sa part la renommée des opéras de Wagner du vivant du musicien, et elle ne l’oublia pas après sa mort en 1883. En dehors de Bayreuth, Vienne reste l’une des scènes lyriques qui propose le plus souvent des productions issues du répertoire wagnérien. Selon les données compilées par https://db-staatsoper, Tannhäuser y a été représenté plus de sept cents fois entre 1870 et 2014, Les Maîtres chanteurs,669 fois (1872-2022), et Le Hollandais volant à 835 reprises (1871-2021). Lohengrin va quant à lui bientôt atteindre sa neuf-centième. Une telle fidélité est admirable, et les wagnériens de tous les pays peuvent rendre hommage à la Wiener Staatsoper pour sa programmation.

OS.

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