Albert NIEMANN

Cette section présente une série de portraits biographiques de ceux qui ont contribué, d’une manière ou d’une autre, à l’édification de l’œuvre wagnérienne. Des amitiés ou des inimitiés parfois surprenantes ou inattendues, des histoires d’amour passionnées avec les femmes de sa vie, parfois muses et inspiratrices de son œuvre, mais également des portraits d’artistes (chanteurs, metteurs en scène, chefs d’orchestre…) qui, de nos jours, se sont “appropriés” l’œuvre du compositeur et la font vivre différemment sur scène.

NIEMANN Albert

(né le 15 janvier 1831 – décédé le 13 janvier 1917)

Ténor

Rien ne prédestinait le jeune Albert Niemann à affronter les planches des théâtres lyriques du monde et à embrasser une telle carrière ni connaître une telle renommée, encore moins à devenir l’un des chanteurs wagnériens les plus emblématiques de sa génération. Il devint l’ami de Wagner qui, après sa rencontre avec le ténor, ne composa quasiment plus les rôles de cette tessiture qu’en fonction des capacités vocales de ce jeune artiste à l’impressionnante voix de stentor ; une rencontre impromptue qui allait marquer la destinée des deux hommes à jamais, l’un et l’autre s’appuyant sur le talent respectif de son allié pour briller …

Né près de Magdebourg (à Erxleben) en 1831, fils d’un aubergiste, Albert Niemann fut très tôt orphelin de père et c’est sa mère, une femme de fort tempérament, qui éduqua le jeune homme. Entré en apprentissage en mécanique, il décida de prendre sa carrière en main. S’éloignant du giron familial qui l’empêchait de se réaliser véritablement, il gagna son indépendance à Dresde où il étudia de manière autonome.

C’est au cours de cette formation généraliste que Niemann fit l’apprentissage du chant. Sur la scène du théâtre de Dessau, en 1849, il fit partie des chœurs et interpréta des rôles mineurs de solistes. Après avoir reçu un enseignement de la part notamment de Gilbert Duprez à Paris, ses engagements le menèrent sur différentes scènes, dont celle d’Hanovre en 1854 où il se révéla un extraordinaire Tannhäuser, puis Lohengrin, en 1855, et enfin Rienzi, en 1859. Sa carrure imposante et sa voix aussi large que vaillante firent de lui l’interprète du Heldentenor wagnérien par excellence.

Ce fut au cours de l’été 1858 que Niemann rencontra Richard Wagner pour la première fois à l’Asyl, la demeure où celui-ci habitait auprès du couple Wesendonck à Zurich. Le compositeur qui avait connaissance du succès retentissant que le ténor obtenait en interprétant ses œuvres pensait à lui pour créer le rôle de Siegfried sur lequel il travaillait alors. Séduit par les capacités vocales et le tempérament particulièrement vaillant de l’artiste, Wagner songea même à inclure Niemann dans son projet d’école de chanteurs allemands, spécialement formés à incarner les héros de ses drames musicaux sur scène. Il aurait ainsi distribué Niemann dans le rôle de Tannhäuser et Josef Tichatschek dans celui de Lohengrin, alternant l’un et l’autre dans le rôle de Tristan. Ce projet, comme beaucoup d’autres que le compositeur avait en tête à l’époque, n’aboutit pas, l’Isoldeprésumée, Frau Bürde-Ney, ne pouvant se défaire d’un engagement qui la liait au théâtre de Leipzig.

Comme l’aventure de Tristan ne vit pas triompher Niemann aussi rapidement dans ce rôle que Wagner l’aurait souhaité, c’est dans la partition – et le rôle titre écrasant – de Tannhäuser que l’interprète et le compositeur travaillèrent ensemble pour la première fois. L’œuvre commandée à Wagner pour l’Opéra de Paris pour 1861 exigeait de retravailler entièrement la partition et de l’adapter en français : mais pas de doute pour le compositeur, aucun autre ténor ne serait aussi capable de convaincre le public de sa musique qu’Albert Niemann. Celui-ci rejoignit la troupe de l’Opéra de Paris dès septembre 1860, auréolé de gloire et sûr de son prochain succès. Mais les répétitions prirent vite une tournure ombrageuse : le ténor demanda à Wagner des coupures dans la partition, puis refusa de participer au nombre invraisemblable de répétitions. La tension monta rapidement entre les deux hommes. Lorsque la rumeur gagna l’Opéra du « four » annoncé par la cabale qu’entendait commettre le Jockey-Club, Niemann, peu courageux, se présenta avant même la première comme un pauvre artiste embarqué dans les déboires d’une aventure qu’il ne maîtrisait plus. Alors que Baudelaire prit parti pour la musique de Wagner et déplora « les caprices (…) d’un enfant gâté » (Niemann), les partisans de Meyerbeer prirent la défense du chanteur qui, à l’issue de la création parisienne désastreuse de Tannhäuserrentra à Hanovre pour interpréter… Raoul des Huguenots !

En 1864, le ténor interpréta les rôles titres de Tannhäuser et de Lohengrin à l’Opéra royal de Munich. C’était quelques mois avant l’accession au trône de Louis II de Bavière qui n’avait donc pas fait encore inviter le compositeur à demeurer dans la capitale bavaroise. Une fois Louis II aux commandes, il invita Niemann à venir se produire sur sa propre scène pour y interpréter Tannhäuser. L’invitation fut déclinée : il n’était pas envisageable à Munich, désormais fief de Richard Wagner lui-même, de pratiquer les coupures « habituelles » sur le rôle titre écrasant. Loin du « royaume du compositeur », Niemann sut néanmoins marquer son époque par son interprétation du répertoire wagnérien : Tichatschek, le créateur de Rienzi et de Tannhäusers’était retiré de la scène et l’immense Schnorr von Carosfeld, créateur de Tristan, était mort peu après la première de l’œuvre. Ne restait donc plus que Niemann pour affronter ce répertoire hors du commun. Il fut ainsi le Walther de la création berlinoise des Maîtres chanteurs en avril 1870.

Le ténor répondit présent pour participer au concert d’inauguration du chantier du Palais des Festivals de Bayreuth (le 22 mai 1872) où il chanta le rôle de ténor soliste dans la Neuvième Symphonie de Beethoven aux côtés de Johanna Jachmann-Wagner, Marie Lehmann et Franz BetzLe lendemain, usant de sa stature de colosse, le chanteur fut un inoubliable « Donner avant l’heure », frappant son marteau sur l’enclume de la pierre inaugurale du chantier. Convaincu que Niemann devait assurément faire partie de  la distribution du Ring inaugural de 1876 à Bayreuth, et peut-être désireux de prendre sa revanche sur la déconvenue subie avec Tannhäuser en 1861 à Paris, Wagner invita le chanteur à Wahnfried en 1874. En composant La Tétralogie, le compositeur avait certes en tête de confier à Niemann la création du rôle de Siegfried. Mais, entre-temps, les années avaient passé. Quand approcha l’heure des premières spéculations quant à la distribution du grand œuvre, Niemann n’était plus tout jeune. Il se vit donc confié non plus le rôle du bouillonnant Siegfried, mais bien plutôt celui – non moins valeureux – de Siegmund. Niemann, ivre de rage, accepta cependant (non sans avoir semé une certaine zizanie à Bayreuth). Après être retourné à Berlin (où il incarna le rôle de Tristan au cours de la Première berlinoise et sous la supervision de Wagner lui-même), Niemann revint à Bayreuth en mai 1876. Il fut un Siegmund d’exception lors du premier Festival d’août 1876 aux côtés de Josephine Schefsky (Sieglinde) et d’Amalie Materna (Brünnhilde).

Si le timbre de Niemann ne correspondait pas aux souhaits de Wagner pour incarner Parsifal, l’artiste fut néanmoins l’un des plus éminents ambassadeurs de l’art du Maître de Bayreuth en dehors des frontières de la Colline Verte, en faisant partie de la tournée d’Angelo Neumann et de son Wagner-Traveling-Theater. Il y incarna toujours avec brio le rôle de Siegmund dans les tournées du producteur qui firent connaître la musique théâtrale de Wagner de Berlin jusqu’à Londres, puis à travers la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, la Suisse, l’Autriche…

Porteur de la dépouille de Wagner à Bayreuth au cours de la cérémonie funèbre de ce dernier, Niemann voua tout le reste de sa carrière à la musique du compositeur. A New-York, il fut– toujours sous la baguette d’Anton Seidl, chef attitré du Wagner-Traveling-Theater – le premier Tristan au Met, puis Siegfried, tout comme Tannhäuser et Lohengrin. A près de soixante ans, ce colosse indétrônable qu’était Albert Niemann incarnait toujours Wagner avec la même fougue et un brio insolent.

Après s’être retiré de la scène à Berlin, Albert Niemann tira définitivement sa révérence deux jours avant de fêter ses quatre-vingt-six ans.

NC

Voir également :
– Le ténor et le roi : Albert Niemann et Louis II de Bavière (LR)

 

 

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