PARSIFAL WWV111 : « PARSIFAL EN DECORS NATURELS »

L’œuvre musicale de Richard Wagner est composée d’opéras ou “drames musicaux” allant des “Fées” (Die Feen) à “Parsifal”. Une présentation détaillée de chacune de ces œuvres majeures est ici associée à un ensemble d’articles thématiques, replaçant celles-ci non seulement dans le contexte de sa vie personnelle mais également dans son contexte social, économique et culturel. Cette section regroupe également l’ensemble des œuvres musicales (hors opéra) et son œuvre littéraire.

PARSIFAL, WWV111

Parsifal, WWV111

LES ARTICLES THEMATIQUES

« PARSIFAL EN DECORS NATURELS »

par logo_cercle rw Henri PERRIER

 

De nos jours, le personnage important de l’expression de l’art wagnérien est le metteur en scène. Alors que les voyages ne sont pour le vulgaire qu’un moyen d’éveiller sa maigre imagination, ils apparaissent pour le metteur en scène comme une nécessité providentielle. Ainsi, lorsqu’au retour d’un voyage d’agrément du côté d’Hiroshima, on lui propose de mettre en scène Parsifal, son imagination prodigieuse et son sens pratique lui montrent immédiatement où situer l’action. Pour parfaire sa conception, le cher homme voyage encore et visite tour à tour un centre d’études nucléaires, la cathédrale de Chartres et les Folies Bergère. Voilà qui confirme bien que tous les chemins mènent à Parsifal. Mais enfin, ce chemin-là n’est pas le seul.

Il en est d’autres, plus… naturels. Un premier qui suit Richard Wagner pendant la très longue période qui s’étend entre la conception imprécise du sujet et la réalisation complète de l’œuvre. Un second qui mène à la découverte de lieux où l’imagination peut trouver une concrétisation du monde de Parsifal.

C’est à Marienbad, où il était venu goûter les bienfaits du thermalisme, en juillet 1845, que Wagner lut le Parzifal de Wolfram von Eschenbach : « Un livre sous le bras, je m’enfonçais dans la forêt, puis, allongé près d’un ruisseau, je me distrayais en compagnie de Titurel et de Parsifal. »

Pourtant ce n’est pas Parsifal qui retint alors son attention, mais Lohengrin. Wagner établit le plan scénique complet de son Lohengrin pendant ce séjour à Marienbad, en même temps d’ailleurs qu’il esquissait le scénario de ses Maîtres Chanteurs.

Dix ans plus tard, le personnage de Parsifal revint à son esprit au moment où il concevait son projet de Tristan, à Zurich : au dernier acte, l’image de Tristan blessé à mort se confondait avec celle d’Amfortas, et Tristan sur son lit de souffrance recevait la visite d’un Parsifal errant à la recherche du Graal, comme si la passion mystique se portait au secours de la passion amoureuse.

Dans cette période de gestation de Tristan, Wagner conçut également le projet d’un drame mystique d’influence bouddhique, Les Vainqueurs, qui ne verra jamais le jour, mais qui plus tard marquera de son influence le message philosophique de Parsifal.

Le premier projet spécifique d’un drame sur Parsifal date du printemps 1857. A Zurich, Richard venait de s’installer dans une jolie maison qu’il appelait l’Asile et qui se trouvait à côté de la villa de ses amis Wesendonck. « Le Vendredi Saint, je me réveillai par un brillant soleil qui se montrait pour la première fois depuis que nous habitions cette maison ; notre jardinet verdissait, les oiseaux chantaient ; enfin, je pouvais m’asseoir sur notre balcon et jouir du calme tant désiré. Pénétré de joie, je me souvins tout à coup que c’était Vendredi Saint et je me rappelai qu’une fois déjà j’avais été frappé d’un avertissement solennel semblable dans le Parsifal de Wolfram. Depuis mon séjour à Marienbad, où j’avais conçu les Maîtres Chanteurs et Lohengrin, je ne m’étais plus occupé de ce poème, mais aujourd’hui l’idéalisme de son projet me dominait. Partant de l’idée du Vendredi Saint, je construisis rapidement tout un drame en trois actes, et l’esquissai sur le champ en quelques traits ».

En se rappelant cette journée, bien des années plus tard, il avouera à Cosima : « En vérité, tout cela était bien tiré par les cheveux, comme mes amourettes, car ce n’était pas du tout un Vendredi Saint, il n’y avait qu’une atmosphère agréable dans la nature dont je me suis dit : ça devait être comme ça le Vendredi Saint. »

Les amourettes dont il s’agit, c’est en fait la grande passion pour Mathilde Wesendonck, d’où naîtra Tristan.

Dans les années qui suivirent, de 1858 à 1860, Wagner qui avait quitté Zurich et Mathilde, mais qui continuait à lui écrire, lui parlait souvent du sujet de Parsifal qui lentement mûrissait en lui, de l’imporlance du personnage d’Amforas, de l’identification entre la sauvage messagère du Graal et la séductrice démoniaque.

Mais ce n’est qu’en 1865, à la fin du mois d’août à Munich, qu’il écrivit une esquisse en prose très détaillée de son drame sacré. A la fin du texte, il ajouta ces mots :  « C’était un secours dans ma détresse ». Il traversait alors une grave crise de dépression engendrée par les difficultés de sa situation munichoise, de sa liaison avec Cosima, et aggravée par le chagrin que lui avait causé la mort de son Tristan, le ténor Ludwig Schnorr von Carolsfeld.

Notons que Nietzsche aura connaissance de cette esquisse à la fin de l’année 1869, c’est-à-dire bien avant qu’il ne déchaîne ses sarcasmes contre la religiosité du sujet.

Dix ans après avoir écrit l’esquisse, Wagner prit la résolution de composer son Parsifal. Il vivait maintenant à Bayreuth, confortablement installé dans sa belle villa Wahnfried. Mais il était à ce moment-là trop absorbé par la construction de son théâtre et la réalisation du premier festival. Il dut donc attendre le début de l’année 1877 pour commencer à écrire un texte en prose d’après les esquisses de 1857 et 1865 ; il termina la versification du poème le 19 avril de la même année. Début août, il commença la composition avec autant d’ardeur que s’il faisait de la musique pour la première fois. L’esquisse de composition du troisième acte fut terminée en avril 1879, mais auparavant, Wagner avait déjà orchestré le Prélude et en avait dirigé l’exécution à Wahnfried le jour de Noël 1878.

Ensuite, las, malade ou désabusé, en un mot vieilli, cherchant le repos et le soleil dans de longs séjours en Italie du Sud, il fit traîner pendant près de trois ans le travail sur la partition. Elle fut achevée le 13 janvier 1882 à Palerme. Les représentations de Parsifal eurent lieu l’été suivant au Festspielhaus et remportèrent un succès triomphal.


DES VILLES ÉTAPES

. MARIENBAD

La maison « Zum Kleeblatt » où Richard logea en 1845 existe toujours au début de la rue Karlovska, signalée par une plaque commémorative. C’est là qu’il prit connaissance du sujet de Parsifal.

. ZURICH

L’Asile de Wagner où il vécut en 185758 et où il ressentit l’Enchantement du Vendredi Saint se trouve dans le quartier de Enge. La maison a été très modifiée et sert aujourd’hui d’annexe à un musée des civilisations orientales (Musée Rietberg), dont la villa Wesendonck voisine abrite la plus grande partie. Le wagnérien pourra quand même se recueillir près d’une stèle commémorative dans le grand parc de la villa Wesendonck et devant le buste du Maître qui orne le petit jardin de l’Asile.

L’ancienne maison de Wagner, Briennerstrasse, à Munich, aujourd’hui disparue

. MUNICH

La maison où Wagner écrivit l’esquisse en prose de son drame a disparu sous les bombardements. Près des Propylées, sur le mur d’une école (37 Briennerstrasse), une plaque commémorative en rappelle l’emplacement et le séjour qu’y fit Wagner en 186465. D’autre part, un monument représentant le Maître livré à son inspiration se trouve dans le jardin public près du Prinzregententheater. Ce théâtre, construit au début du siècle à l’imitation du Festspielhaus de Bayreuth, a rouvert après une restauration complète.

. PALERME

Wagner y termina la partition de Parsifal pendant son séjour à l’Hôtel des Palmes, via Roma. L’hôtel garde précieusement le souvenir de son hôte illustre : plaque commémorative sur l’arrière du bâtiment, via Riccardo Wagner et grand buste dans le hall d’entrée. On peut même s’offrir le luxe de demander à dormir dans la chambre du Maître : deux chambres meublées à l’ancienne (n° 122 et 124) entourent le grand « Salone Wagner ».

. BAYREUTH

C’est évidemment la ville de Parsifal par excellence. Wagner écrivit le poème et composa toute la musique à Wahnfried. Le Festspielhaus fut le théâtre des premières représentations et en garda le privilège exclusif pendant trente ans. De nos jours, l’émotion et le recueillement des participants imprègnent toujours une représentation de Parsifal. Il est inutile, je pense, d’insister sur la description de ces lieux chers entre tous aux wagnériens.

DES LIEUX ÉVOCATEURS

Personne ne doit trouver le chemin de Montsalvat, s’il n’est pas digne de servir le Graal Il y a donc quelque présomption à vouloir le chercher, mais qui n’est rien à côté de la présomption de croire qu’on peut le trouver sans le chercher.

En route, donc.

Wagner situe le Montsalvat dans une région qui a les caractères du nord de l’Espagne gothique. Lorsque Gumemanz conduit Parsifal au Gralsburg, ils traversent un passage entre des grands rochers.

La Sierra de Montserrat

Cette description sommaire s’accorde assez bien avec l’aspect de la Sierra de Montserrat qui se trouve à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Barcelone. Dressée  dans un environnement de terres basses, la Sierra qui atteint 1 235 mètres d’altitude est un massif d’origine sédimentaire dont les rochers sont formés de conglomérats de galets liés par un ciment naturel. Le vent et la pluie ont façonné et poli ces roches, leur donnant les formes les plus étranges où se succèdent blocs ruiniformes et falaises abruptes. Montserrat en catalan signifie montagne sciée, car sa silhouette évoque la lame dentée d’une scie.

Il manque cependant à ce paysage la forêt ombreuse et le lac où se baignent les cygnes que Wagner mentionne dans le décor du premier acte. Il vaudrait mieux chercher un tel décor dans les Alpes bavaroises, du côté de Hohenschwangau où Wagner fit d’ailleurs un séjour en compagnie du roi Louis II, à l’automne de 1865.

A Montserrat, se trouve une abbaye bénédictine dont l’origine remonte au temps où les Maures avaient étendu leur domination sur l’Espagne et confiné les Chrétiens dans le Nord du pays (notons qu’il n’a jamais été question à l’époque d’un ordre à la fois religieux et militaire voué à la garde du Saint Graal). Les bâtiments actuels de Montserrat, qui datent du XIXème siècle, ont un caractère très religieux et clérical de centre de pèlerinage et n’évoquent en rien l’austère splendeur du Gralsburg.

On lit souvent dans les guides de voyage que le site impressionnant et la sauvage beauté de Monserrat ont inspiré Wagner pour la création de Parsifal. En fait, rien n’est moins certain et on n’en trouve pas mention dans les témoignages écrits laissés par le Maître qui de toute manière n’est jamais allé en Espagne. Finalement il semble qu’une des raisons essentielles de l’assimilation de Montserrat à Montsalvat soit la consonance de ces deux mots ayant chacun dix lettres et commençant et finissant par le même son.

Le château cathare de Montségur

Une évocation plus proche du siège de la confrérie du Graal serait le château de Montségur dans l’Ariège à une trentaine de kilomètres au sud-est de Foix. Les ruines de cette forteresse dressée sur un pic rocailleux, théâtre de l’ultime holocauste de l’église cathare, sont un haut lieu du romantisme ésotérique. Le 16 mars 1244, les demiers résistants au nombre de deux cents furent parqués au pied de la montagne et moururent pour leur foi dans un gigantesque bûcher.

La légende court toujours d’un trésor des Cathares, caché sous le château ou ailleurs, et dont faisait partie la coupe sacrée du Graal. C’est donc avant tout de l’évocation légendaire et de la méditation que relève le rapprochement entre Montségur et Montsalvat. En effet, si nous revenons sur le plan du décor, il faut convenir que la forteresse, avec ses dimensions modestes, ne saurait correspondre à un burg fabuleux pouvant contenir un temple grandiose.

Ce temple, Wagner lui-même en a vu la représentation dans la cathédrale de Sienne. La coupole s’appuyant sur des colonnes rayées de marbre clair et sombre, hexagonale à sa base puis dodécagonale avec des galeries à colonnettes, a été fidèlement reproduite dans les décors de la création à Bayreuth en 1882. Pendant le séjour qu’il fit à Sienne à la fin de l’été 1880, Wagner visita plusieurs fois la cathédrale. Cosima a noté dans son Journal : « R. est ému, c’est la plus grande émotion que lui ait jamais donnée un édifice. » Il demanda au peintre Joukowsky qui l’accompagnait, de faire des dessins de l’intérieur de la cathédrale. Ils servirent de modèle pour les décors de Bayreuth.

Les jardins de la villa Rufolo, sur la côte Amalfitaine,en Italie

Puisque nous sommes à Bayreuth, il faut signaler, dans la Suisse Franconienne, le charmant petit château de Gössweinstein perché sur une hauteur. Les gens du lieu se flattent en disant que Wagner, en excursion dans le coin, y aurait vu la figuration du Gralsburg, mais cette fable folklorique n’impressionne plus personne.

Un décor dont il a réellement ressenti l’évocation, est celui du Jardin Enchanté de Klingsor. Séjournant à Naples, le 26 mai 1880 il partit en excursion à Ravello sur les hauteurs de la côte Amalfitaine. Il visita les jardins de la villa Rufolo dont la fantastique, féérique et étourdissante beauté s’harmonise avec l’architecture mauresque et le panorama de la mer dans une magie de lumière et de couleur. Sur le livre des touristes, Wagner écrivit : « ll magico giardino di Klingsor è trovato ». Cette phrase est maintenant reproduite sur une plaque commémorative. Des concerts wagnériens ont lieu chaque année dans les jardins de la villa Rufolo.

Le Palais de Pena, près de Sintra, au Portugal.

Richard Strauss, qui chérissait Parsifal et dont on connaît par ailleurs le côté pragmatique, a trouvé l’évocation de deux décors en un seul lieu, à Sintra à l’Ouest de Lisbonne, dans le palais de Pena : le château, (de style manuélin portugais, mélange de styles mauresque, baroque, gothique… caractérisé par une abondance de motifs décoratifs et de couleurs vives) pour le Gralsburg et le parc pour le jardin de Klingsor. A mon tour, j’y vais de ma petite suggestion pour le Temple avec la Sacra di San Michele, très ancienne abbaye bénédictine perchée au-dessus de la vallée, près d’Avigliana sur la route de Turin. Je connais même un lieu qui s’appelle Mont Salva dans un paysage sylvestre sur la commune du Brusc entre Sanary et Toulon, mais rien n’y rappelle l’univers du Graal. Quant à l’intérieur du château du sorcier Klingsor, j’avoue ne pas avoir su où en chercher un modèle ; il n’y a là rien d’étonnant, car le propre de l’occultisme, surtout s’il est maléfique, est de rester caché.

Il reste dans les décors de Parsifal à situer la prairie en fleurs montant en pente douce, illuminée par la clarté du matin, où se produit l‘Enchantement du Vendredi Saint. Le roi Louis Il de Bavière, qui s’y entendait comme personne pour fabriquer des décors wagnériens, s’était fait aménager une prairie, avec sa cabane d’ermite et l’indispensable source, dans le parc de son château de Linderhof. Le passage des troupes américaines qui séjournèrent dans les lieux à la fin de la deuxième guerre mondiale, l’a renvoyée au magasin du théâtre imaginaire.

Le Sacro Catino de Gênes

C’est dans ce même magasin que doit figurer la coupe sacrée, symbole mystérieux et envoûtant de l’inaccessible, le Saint Graal. Pourtant dans ses innombrables reliques, l’Église catholique romaine en présente deux exemplaires : le Sacro Catino de Gênes et le Santo Caliz de Valence. Dans le trésor de la cathédrale Saint-Laurent à Gênes, on admire une large coupe d’une belle couleur verte. Les Gênois qui la ramenèrent des Croisades la croyaient d’émeraude, cadeau de la Reine de Saba à Salomon et utilisée par le Christ lors de la dernière cène. Mais lorsqu’elle se brisa quand Napoléon la fit transporter à Paris, il fallut bien convenir qu’elle était seulement en verre.

Dans la cathédrale de Valence en Espagne, dans la chapelle du Saint Graal, on conserve dans une niche vitrée un petit calice en agate cornaline qui appartint autrefois au monastère pyrénéen de San Juan de la Pena, après y avoir été transporté de Rome où il servait de calice pontifical. 

Aujourd’hui, les ecclésiastiques gênois et valenciens semblent avoir aplani les  difficultés concernant l’authenticité de leurs deux reliques. Le Santo Caliz serait le calice dans lequel le Christ consacra le vin en son sang ; alors que le Sacro Catino serait la coupe de l’agneau pascal servi lors de la dernière cène. Mais on ne dit pas lequel des deux vases reçut les gouttes de sang du Christ recueillies par Joseph d’Arimathie.

Il existe de par le monde d’autres Graals (je me permets ce pluriel audacieux !) dont l’authenticité est encore beaucoup plus douteuse : entre autres, le calice d’Antioche conservé au Musée des Arts de New-York et une immense coupe d’agate qu’on peut voir dans le trésor de la Hofburg à Vienne. Ce même trésor renferme également une antique lance qui passait pour celle qui aurait transpercé le corps du Christ.

De nos jours, en parlant de reliques, on se place invariablement au conditionnel et au passé : c’est que les reliques ont fait leur temps. Mais la quête du Graal, symbole de l’aspiration à la transcendance, reste attachée au cœur de l’homme qui sait lever les yeux pour regarder la lumière. Et quand la lumière accentue sa force, les décors s’estompent et les yeux se ferment pour écouter le charme transfigurateur de l’art.

Un jour que la musique de Parsifal vous aura entraîné dans cette béatitude, je vous demande d’avoir une pensée pour un décor qui a certainement inspiré Wagner et fit battre son cœur vieillissant. C’est un décor vivant, c’est l’image de Judith Gautier, belle fleur parfumée dont le charme capiteux tourmenta la sérénité douce amère du vieux Maître.

 

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