Dresden Treasures From The Saxon State Library Seite 084
Genre :

La musicale chorale.

Titre original :

Das Liebesmahl der Apostel : eine biblische Szene für Männerchor und grosses Orchester, WWV 69,

Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER
Les salles d’expositions permanentes

Section I

UNE VIE

Section II

DANS L’INTIMITÉ DE RICHARD WAGNER

Section III

UNE OEUVRE

Section IV

L’AVENTURE DE BAYREUTH

Section V

ILS ONT CRÉÉ WAGNER ET LE MYTHE WAGNÉRIEN

Section VI

 LIEUX DE VIE, LIEUX D’INSPIRATION

Section VII

WAGNER POUR LA POSTÉRITÉ

Section VIII

 WAGNER APRÈS WAGNER
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DAS LIEBESMAHL DER APOSTEL, WWV 69

par Pascal BOUTELDJA

Dresden Treasures From The Saxon State Library Seite 084On connaît les drames musicaux de Richard Wagner, les Wesendonck-Lieder et Siegfried-Idyll, mais beaucoup de wagnériens méconnaissent de nombreuses pages symphoniques et chorales que le Maître a laissées à la postérité. Il s’agit bien souvent d’œuvres de circonstance. Elles révèlent un artiste, directeur musical et chef d’orchestre, dont la fonction au XIXème siècle ne consistait pas seulement à diriger opéras et concerts, mais aussi à composer des œuvres destinées à des manifestations à caractère « social ». Wagner explique dans son autobiographie qu’il « accepte volontiers » qu’on range parmi de telles compositions de circonstance son œuvre intitulée L’Agape des Apôtres, traduction française de Das Liebesmahl der Apostel.

1. La genèse

Cette scène biblique pour chœur d’hommes et grand orchestre, catalogue WWV 69, fut composée alors que Richard Wagner débutait dans ses fonctions officielles de premier Maître de chapelle à la cour royale de Dresde. La création de Rienzi par l’Opéra de Dresde avait ramené Wagner en Allemagne en 1842 après les mortifiantes années parisiennes. Le triomphe de son œuvre, puis le succès du Hollandais Volant l’amenèrent à ce poste. Sa nomination eut lieu le 2 février 1843. Au printemps, il avait déjà écrit le poème de Tannhäuser dont le scénario avait été conçu à Teplitz-Schönau l’été précédent.

Dès le début de cette même année, il avait pris la direction de la Dresden Liedertafel, société de chanteurs amateurs. Son chef de file, un certain professeur Löwe, avait décidé d’organiser un Festival de chant choral auquel participeraient tous les chœurs d’hommes de la Saxe. Ce concert de gala visait à obtenir des fonds pour la translation des cendres de Weber de Londres à Dresde (projet qui se concrétisa en décembre 1844 et à l’occasion duquel Wagner composa un chœur d’hommes et une musique funèbre pour instruments à vent). Wagner fut donc chargé d’écrire une œuvre pour chœur d’hommes d’une durée d’une demi-heure. Laissons-lui la parole : « Le cercle de mes connaissances s ‘étendit encore lorsque je consentis de bon cœur à être élu président, pour les affaires musicales, de la Liedertafel de Dresde. Au nombre des objectifs de cette société, on comptait notamment le transfert de Londres à Dresde des cendres de Carl Maria von Weber ; comme ce projet me tenait également à cœur ; j ‘offris avec empressement mon aide. Placé à la tête de la Liedertafel, absolument inexistante sur le plan musical, je devais faire venir à Dresde toutes les sociétés saxonnes de chanteurs en vue de grandes festivités ; on constitua donc un comité ; comme les choses ne tardèrent pas à marcher bon train, le professeur Löwe lui donna la forme d ‘un véritable tribunal révolutionnaire, il y siégea en permanence, nuit et jour ; et, au spectacle de la fureur de son zèle, je lui décernai le surnom de Robespierre. Par bonheur, bien que je fusse, moi aussi, à la tête de cette entreprise, je pus me soustraire à son régime de terreur. En effet, j ‘avais été chargé d’écrire un morceau d ‘une certaine importance destiné’ exclusivement à des chœurs masculins et qui devait, autant que possible, durer une demi-heure ; je ne tardai pas à me rendre compte que l ‘orchestre lui-même ne pourrait guère rompre la monotonie lassante d ‘un chœur d ‘hommes Pour y remédier, je projetai une assez longue scène chantée par les chœurs, et je la traitai de manière à ce que l ‘ensemble, tout en évitant soigneusement de créer de véritables parties de solo, n’intervînt que par masses fractionnées de choristes, comme l’exigeait mon objectif. Telle fut l ‘origine de ma Cène des Apôtres ; j ‘accepte volontiers qu’on la range parmi les compositions de circonstance » (MV. p. 184).

Cet emploi lui attira immédiatement la haine des célébrités locales, écartées par ce choix, mais lui apporta une amitié réelle, celle d ‘Anton Pusinelli, médecin dresdois et membre de la société chorale. Wagner céda sa fonction en 1845 à Ferdinand Hiller. Les travaux de composition de L’Agape des Apôtres débutèrent fin avril et se poursuivirent jusqu’en juin 1843. Wagner écrivait à Robert Schumann le 12 mai : « Êtes-vous courageux ? Je vais enfin le devenir ; depuis près d ‘un an et demi, je n ‘ai encore écrit aucune note ! Tout d ‘abord, je dois créer une vaste composition chorale qui devra durer une demi-heure pour les festivités de Dresde. J’ai choisi en guise de sujet, le Banquet des Apôtres, relatant la descente de l’Esprit-Saint à la Pentecôte » (SB. p. 249).

Dans le même temps, il acheva le jour de son anniversaire le livret versifié de Tannhäuser. Mais sa double charge, au théâtre et à la Liedertafel, et le travail de partition de sa nouvelle œuvre, ne lui laissèrent pas le temps de composer les esquisses musicales de son drame. Le samedi 17 juin, « après s ‘être levé à quatre heures » (SB ; p. 285 : c’est ce qu’il raconte à son épouse, Minna), Wagner acheva l’esquisse de composition. L’ébauche orchestrale fut à son tour terminée le 24 juin. Le Maître mit un point final à la partition complète le 29 juin. Cette dernière fut imprimée chez R. Härtel l’année suivante. Wagner dédia sa composition à Charlotte Emilie Weinlig, la veuve de Theodor Weinlig, le cantor de Saint Thomas de Leipzig, son ancien professeur.

Maino Pentecostes 1620 1625 Museo Del Prado2. Le livret

L’Agape des Apôtres est une fresque dépeignant la descente de l’Esprit-Saint à la Pentecôte sur les Apôtres et leurs disciples. Le livret, écrit par Richard Wagner lui-même, est    librement inspiré des Actes des Apôtres du Nouveau Testament. Comme toujours chez Wagner, de multiples divergences apparaissent entre la source d’inspiration et le texte final. Le récit des événements de la Pentecôte ne reprend qu’infidèlement les thèmes des textes sacrés. Le vocabulaire même employé par le compositeur emprunte peu à l’écriture sainte. Le livret s’organise selon une topographie assez inhabituelle. Il comprend trois séquences musico-dramatiques distinctes, mais de narration continue. En voici le résumé.

Première partie :

En ce jour de Pentecôte, fête commémorant la naissance du Peuple de Dieu au Sinaï, Apôtres et disciples sont rassemblés au nom de Jésus-Christ pour un dernier repas. La réunion est marquée par l’abattement, la peur et le désarroi des disciples. Ils évoquent l’oppression et la haine dont les chrétiens sont victimes. Bien que leur foi attire de nouveaux adeptes, l’accroissement du nombre de fidèles les rend aussi plus vulnérables aux attaques. Aussi, envisagent-ils de se séparer.

Seconde partie :

Les Apôtres confirment des persécutions à venir. Leur proclamation évangélique et leurs prodiges dans les lieux de culte suscitèrent la colère des Prêtres du Temple. Inquiet par les progrès de la foi chrétienne, ces derniers menacèrent de mort quiconque répandrait l’enseignement de Jésus. Les disciples invoquent alors la venue de l’Esprit-Saint afin qu’ils puissent en être les témoins. Des hauteurs (de la coupole), des voix répondent à ce vibrant appel : « Soyez consolés ! Je suis près de vous et mon esprit est avec vous. »

Troisième partie :

Un bruissement musical suivi d’un souffle puissant emplit tout l’espace et apagne de toute son ampleur la descente de l’Esprit-Saint. Pour proclamer l’Évangile, il fallait aux disciples encore timorés l’audace de l’apostolat et l’illumination de l’esprit. Ce baptême du Saint-Esprit opère cette transformation. Ainsi, c’est à nouveau confiant, sous la direction des Apôtres, qu’ils décident d’annoncer la Bonne Parole hors de Jérusalem, à d’autres peuples, jusqu’au bout du monde.

  • Organisation

Bien que l’inspiration soit chrétienne, L Agape des Apôtres ne peut être considérée ni comme une partition religieuse, ni comme une manifestation liturgique. Le traitement de la source poétique est avant tout lyrique. Comme à son habitude, Wagner anime le livret d’une intention dramatique, en développant selon une méthode narrative l’épisode biblique, lui-même dépourvu d’intrigue proprement dite. Le récit est un vaste dialogue réparti entre plusieurs chœurs de disciples et d’Apôtres, excluant toute intervention soliste. Chacun se questionne, se renvoie des messages puis se réconforte jusqu’à s’unir dans un ensemble triomphant, appelé à fortifier les âmes d’un esprit de conquête spirituelle.

En conséquence, on comprend mieux que l’œuvre ne retrouve pas exactement l’agencement des différentes sections des Actes des Apôtres.

  • Les sources

Wagner n’a pas répertorié les chapitres et les versets utilisés pour la rédaction du texte versifié. Voici quelques indications déduites de la lecture des écritures saintes.

Le thème de la descente de l’Esprit-Saint sur les Apôtres emprunte pour une large part au premier et second chapitre des Actes. Le scénario en lui-même n’est que la narration d’une partie du second chapitre. Néanmoins, il reprend le message évangélique dans son ensemble par l’évocation de la quête spirituelle des disciples et de l’initiation de l’église chrétienne primitive. Le texte versifié ignore certains éléments du premier chapitre :

  • L’annonce par Jésus des prochains événements baptismaux,
  • L’association de Mathias aux onze Apôtres.

Tout en reprenant le récit évangélique de la Pentecôte, Wagner écarte nombre d’éléments nuisibles au développement et à l’homogénéité dramatique :

  • Les dialogues dans de multiples langues sous l’impulsion divine ;
  • La stupeur des juifs et hommes pieux à cette occasion ;
  • L’intervention de Pierre reprenant la prophétie de Joël et David ;
  • Le baptême des nouveaux disciples.

Pour la cohésion dramatique de l’œuvre, Wagner n’obéit pas à la chronologie biblique. Les thèmes de persécutions préludent à l’intervention céleste. Le texte lui-même est réduit à quelques vers. Le compositeur reproduit brièvement l’épisode d’accusation des prêtres du Temple par Pierre et Jean (troisième chapitre). Mais il n’existe aucune allusion à l’arrestation des douze, ni à la flagellation des Apôtres au Temple (cinquième chapitre). Enfin, pour conclure, il est probable que l’évocation dans le livret des « miracles et prodiges » des apôtres s’inspire du passage dans lequel Pierre et Jean font recouvrer la marche à l’infime de la Belle Porte.

  • La question du titre

Nous nous bornons à traduire le titre original de l’œuvre par L’Agape des Apôtres. Or, nombre de commentateurs francophones préfèrent parler de La Cène des Apôtres. D’autres éludent le problème linguistique en conservant l’appellation originale.

Le titre de l’œuvre n’est pas venu d’emblée. La version primitive s’intitule Das Abendmahl der Apostel (Le souper des Apôtres). Dans une lettre à R. Schumann, précédemment citée, Wagner mentionne Das Gastmahl der Apostel (Le banquet des Apôtres). Il utilisa ces deux titres lors de la rédaction du texte versifié. Seule la partition manuscrite porte le titre définitif : Das Liebesmahl der Apostel.

Ce polymorphisme répond indirectement à la question initiale. A savoir, les trois titres successifs employés par Wagner ne soulève aucune ambiguïté. Les différentes formulations traduisent une approche thématique univoque. Hérité du latin Cena, signifiant souper, la Cène désigne le repas que fit Jésus-Christ avec ses Apôtres, la veille de sa Passion et au cours duquel il institua le sacrement de l’eucharistie. Or, cet élément liturgique est absent de la dramaturgie de l’œuvre. Le terme d’Agape exprime mieux 1′ intention dramatique de l’œuvre ainsi que l’histoire narrée. Du grec, Agapê, amour, ce terme désigne le repas que prenaient en commun les fidèles dans l’Église primitive. Employé au pluriel, il évoque de nos jours plus simplement un repas entre amis. C’est pour cette raison que l’emploi du singulier est souhaitable pour la traduction du titre original.

Dresden Germany Exterior Of Frauenkirche 053. La création de l’oeuvre

L’Agape des Apôtres fut créée le 6 juillet 1843 à la Frauenkirche de Dresde. Wagner organisa ce qui devait s’avérer le concert choral le plus imposant et le plus spectaculaire jamais entendu en Allemagne à cette époque : 1200 choristes venus des quatre coins de la Saxe et 100 musiciens d’orchestre. Lors de cette exécution, la nef était presque totalement occupée par les chanteurs, l’orchestre assis derrière eux, presque invisible. L’œuvre fit grande impression. Après l’exécution, les choristes étaient littéralement transportés d’enthousiasme devant l’effet qu’ils avaient produit. Le Leipziger Zeitung publia le 15 juillet dans son numéro 168 une critique élogieuse. L’entrefilet indiquait :

« Visiblement, l’œuvre a ému, plu et exalté les chanteurs aussi bien que le public » (SB. p. 303).

Richard, quant à lui, écrivait le 13 juin, à sa demi-sœur Cäcilie Avenarius : « Le succès a remboursé largement mes efforts. La fête était réellement magnifique, surtout dans la Frauenkirche. Imagine-toi un chœur de 1200 personnes, tous parfaitement bien préparés, occupant presque toute la nef de l ‘église et derrière un orchestre avec 100 instruments. Imagine-toi l’effet produit. A-t-on vu quelque chose de pareil dans une église ! Pas une place ailleurs. […]. Ma composition, L’Agape des Apôtres […] a ému tout le monde. Partout où je regardais par la suite, je ne voyais que des chanteurs, venus de toute la Saxe, criant vivat et hurrah. Les applaudissements n ‘avaient aucune fin » (SB. p. 297-298).

Avec le temps, le succès passé, le Maître jugea cette mise en musique de la descente de l’Esprit-Saint de manière plus nuancée. Il avoue dans son autobiographie avoir été déçu par l’effet musical produit, relativement faible pour l’impressionnant rassemblement vocal ainsi réalisé. « Pourtant, je ne pus que me réjouir du succès de ce travail, principalement au cours des répétitions qu’en faisaient seuls les chœurs de Dresde sous ma direction. Mais quand les mille deux cents chanteurs confirmés, venus de tous les coins de la Saxe pour interpréter ma composition, se rassemblèrent autour de moi à la Frauenkirche, je jus déçu du peu d ‘effet que fit sur mon oreille cet amas confus de voix masculines ; je me rendis compte que ce rassemblement massif de choristes était un non-sens, et, par la suite, j ‘ai toujours éprouvé de la répugnance à m ‘occuper d ‘entreprises semblables » (MV. p. 184-l85).

Le 17 juin 1879, dans une conversation, Cosima nota ceci : « Pour me faire plaisir, il me joue le Liebesmahl der Apostel ; je l ‘en ai prié parce que je ne connais pas l ‘œuvre, il me dit que je ne dois pas trop en attendre. Comme je me rappelle les circonstances et que je me représente la Frauenkirche, je trouve que I ‘œuvre a dû produire un grand effet de pompe avec tout son éclat théâtral et catholique ; je lui dis mon impression et il me répond : Oui, une sorte de Festival d ‘Ammergau. Il repose le livre à côté de lui et dit : On reconnaît là tout l ‘auteur de Tristan et Isolde » (JC. p. 390-391).

L’ouvrage fut par la suite représenté dans plusieurs villes d’Allemagne, dont Leipzig. Franz Liszt organisa avec un égal enthousiasme une exécution à Weimar en 1852. L’œuvre fit par la suite le bonheur des concerts des sociétés de chanteurs amateurs. L’Agape des Apôtres servit encore à divertir les enfants de Richard et Cosima quand ils s’ennuyaient trop pendant les vacances d’Italie en 18801882.

Au lendemain de la création dresdoise de l‘Agape, une célébrité musicale locale, Julius Schladebach (que l’élection de Wagner avait écarté de la direction de la Liedertafel) et quelques autres critiques furent tout simplement horrifiés. Ce n’était pas de la musique chorale ! A Martin Gregor-Dellin d’ajouter : « En cela, c ‘était eux qui avait raison » (MGD p. 187). Les diverses observations des paragraphes précédents animent elles-mêmes ce débat ; à savoir, la définition musicographique de l’œuvre.

Diverses appellations parcourent manuscrits, partitions et correspondance de Richard Wagner. La partition originale porte le sous-titre : « Scène biblique pour chœur d ‘hommes et grand orchestre ». Wagner évoque son œuvre en des termes similaires dans son autobiographie. Mais dans plusieurs lettres contemporaines de la création de L’Agape des Apôtres, il parle d’un oratorio (oratorium). Enfin, certains exégètes n’hésitent pas à se démarquer des écrits du Maître en dissertant sur la Cantate des Apôtres. Analysons sommairement ces différents termes :

Venant de l’italien scena, le terme « scène » désigne, généralement dans un opéra, un épisode étendu se composant d’une suite relativement construite de sections apparentées. Elle correspond à un moment dramatique donné en termes de dynamique théâtrale. Au XIXème siècle, ce titre a été donné à des pages pour solistes spécialement composées pour le concert et non dans le style d’une cantate (voir ci-après). La scena mettait généralement en musique soit un extrait de livret d’opéra, soit un texte dramatique (exemple : « Ah, perfido » de Beethoven). Certes, l’œuvre de Wagner répond à ces critères dramaturgiques. Mais l’évocation musicale de l’épisode de l’Histoire Sainte est traitée de manière à éviter de véritables parties de solistes et à ce que l’ensemble des chœurs n’interviennent que par masses fractionnées. Le terme de scène n’est donc justifié que dramatiquement parlant. Le traitement musical, les dimensions et la durée du Liebesmahl, en dépit de l’organisation dramatique ne correspondent pas non plus à un oratorio. L’histoire de celui-ci est trop variée pour permettre d’en donner une définition très précise. On peut tout au plus parler d’une œuvre vocale faisant appel à un minimum de deux chanteurs solistes avec chœur et orchestre, sur un thème généralement religieux, traité selon une méthode narrative. Son approche est souvent lyrique, mais sans être destiné à être représenté sur scène.

Littéralement, la Cantate est une page destinée à être chantée, par opposition à une œuvre instrumentale destinée à être jouée (ou sonate). Le terme a connu des applications très variées. Le seul point commun est l’existence d’une partie vocale en plusieurs mouvements reliés par un texte continu comportant une intention dramatique, sacré ou profane. L’usage de masses chorales avec orchestre, la narration dramatique, le thème de l’œuvre, son caractère circonstanciel ainsi que les modalités d’exécution font donc plutôt de L’Agape des Apôtres une cantate bien que son auteur n’ait jamais utilisé le terme.

Autograph Manuscript Das Liebesmahl Der Apostel4. Éléments de musicologie

Sans avoir les compétences requises pour ce genre d’exercice, il nous a paru toute fois souhaitable de nous livrer à une analyse musicologique succincte afin d’entrevoir, faute d’une audition complète, la structure musicale de l’œuvre.

Celle-ci se compose de trois sections de dix minutes environ faisant intervenir trois chœurs et l’orchestre. La pièce débute dans « un paisible mouvement » musical par l’intervention a cappella de l’ensemble du chœur des disciples, divisé en quatre parties harmoniques (deux parties de basses et de ténors). La partition est ensuite répartie en trois masses chorales distinctes. Leurs interventions successives se résout dans une séquence polyphonique à huit voix, qui s’achève sur la reprise des premiers vers : « Approchez-vous les affamés, les assoiffés ».

La réponse des Apôtres aux inquiétudes des disciples constitue la section suivante. Douze voix de basses divisées en quatre parties harmoniques représentent les douze Apôtres. D’un ton plus dramatique, le discours musical, toujours a cappella, s’apparente à un vaste arioso. En réponse à l’invocation des disciples, telle une anticipation musicale de Parsifal, « des voix du ciel, d ‘en haut » (une partie de seize ténors et deux parties de douze basses) concrétise la manifestation divine. Après trois proclamations des vers « Et mon esprit est avec vous, levez-vous ! », l’orchestre entre en jeu par un trémolo murmure de cordes sur les mots « Quel bruissement emplit l’air ? ». Un sentiment d’intense excitation parcourt le chant des disciples auquel succède l’ultime récitatif des douze Apôtres, ponctué par de multiples appels de cors et de trombones. L’œuvre s’achève dans une brillante coda où interviennent l’ensemble des chœurs soutenus par les cordes essentiellement. L’hymne s’interrompt sur la reprise dans un mouvement presto des dernères paroles louant la gloire de Dieu : « Pour des siècles et des siècles ».

Pour s’assurer que les voix ne baissaient pas dans la section non accompagnée, Wagner utilisa à la fois lors des répétitions et de l’exécution elle-même une paire de harpes pour faire entendre la tonique de temps à autre. La première édition de l’œuvre ne porte trace des changements effectués. Richard Wagner insistera auprès de son éditeur Härtel afin que les éditions ultérieures de l’œuvre mentionnent ces changements (SB p. 337).

Cosima notait dans son Journal : « Hier, R. m’a joué un thème, à la première mesure, je pensai à une mélodie italienne, mais à la seconde, je sus que c’était de lui et pariai pour Rienzi, c’était un passage du Liebesmahl der Apostel. C’est comme ça que je m’en suis tiré, pauvre garçon que j’étais dit R. » (JC p. 407).

Il est curieux de voir mentionné le nom de Rienzi. Si les prémices de Tannhäuser et Lohengrin sont faciles à identifier, c’est surtout pour la préfiguration à 40 ans de distance, de l’étagement harmonique et architectural des chœurs du Temple du Graal de Parsifal que cette œuvre présente un intérêt historique.

En effet, pour éviter la monotonie, Wagner divise son chœur en différents groupes. L’un est constitué de quarante chanteurs spécialement choisis devant chanter dans la coupole ; un autre, représentant les Apôtres et les disciples, situé dans la nef. L’effet stéréophonique est ainsi particulièrement saisissant. En revanche, la comparaison s’arrête là.

Néanmoins, le dialogue a cappella entre les groupes pendant les deux premiers tiers de l’œuvre témoigne le mieux du goût de Wagner pour ce style de chant à cette époque. Durant cette période, il avait aussi composé le chant pour chœur masculin a cappella « Der Tag erscheint » qui avait été écrit à la demande du roi de Saxe Frédéric-Auguste II pour l’inauguration, le 7 juin 1843, d’un monument érigé à la gloire de Frédéric-Auguste I, le Juste. Le chant des pèlerins de Tannhäuser (la composition débuta en juillet 1843) est une autre illustration de ces préférences. D’ailleurs, des procédés musicaux similaires unissent cette page à L’Agape : effet d’amplification avec crescendo polyphonique et effet d’espace. Comme si Wagner composait sa palette sonore à venir et affûtant son instrument, jugeait des possibilités vocales chorales. A Antoine Livio d’écrire : « Avec la Cène, il sait ce qu’il peut obtenir d ‘un chœur et dans Lohengrin, puis surtout dans le Crépuscule des Dieux et dans Parsifal, il l ‘utilisera avec grand profit » (Livio p. 251).

Alors, L’Agape des Apôtres peut-elle être considérée comme un exercice de style, une transition entre le chœur anecdotique du Hollandais Volant et ce personnage nouveau qu’est le chœur des futurs drames musicaux ? La question est posée par quelques musicologues.

Même si L’Agape, par sa conception musicale et son sujet d’inspiration biblique, occupe une place unique dans le répertoire wagnérien, elle s’inscrit parfaitement dans le cadre des compositions circonstancielles de Richard Wagner, Kappellmeister à la Cour Royale de Dresde.

Son génie irradiant dix œuvres majeures du répertoire lyrique, occulte, par ce fait même, nombre de ses œuvres de moindre ampleur. Elles n’en sont pas moins divers miroirs éclairants de sa création. Elles restent un témoignage de son activité à la Cour de Saxe, époque de ses premiers succès véritables, dans l’attente de la consécration suprême.

 

Bibliographie :
. MV : WAGNER R., Ma Vie. / Traduction française de HULOT M. – Paris : Buchet Chastel, 1983, 2ème éd.
. SB : WAGNER R. Sämtliche Briefe. Herausgegeben im Auftrage der Richard Wagner Stiftung Bayreuth von G. STROBEL und WOLF – Leipzig : VEB Deutscher Verlag für Musik, 1980, II, 2ème éd.
. JC : WAGNER C. Journal. Texte établi, préface et commenté par Martin GREGOR-DELLIN et Dietrich MACK. / Traduction française de DEMET M.F. – Paris : Gallimard, 1977 et 1979, III.
. MGD : GREGOR DELLIN M. Richard Wagner. Sa vie, son œuvre, son siècle. / Traduction française de DEMANGE O., BECQUET JF., BOUILLON E. et CADIOT P. Paris : Fayard, 1981.
. LIVIO A. L’œuvre lyrique de Richard Wagner. Paris : Le chemin vert, 1983.

Discographie :
. Pierre BOULEZ. Westminster choir New York Orchestra : CBS ; 1978.
. Wyn MORRIS. Ambrosian Male Voice chorus – Symphonica of London : Innovative Music Production Ltd ; 1993.
. Michel PLASSON. Männerchöre des Singvereins der Gesellschaft der Musikfreunde Wien ; Männerchöre des Wiener Kammerchores ; Männerchöre des Philarmonischen Chores und Jugendchores Dresden – Dresdner Philarmonie : EMI ; 1997.

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