LOHENGRIN WWV75 : LOHENGRIN, PREMIÈRE ÉTAPE DE LA RÉFORME WAGNÉRIENNE

L’œuvre musicale de Richard Wagner est composée d’opéras ou “drames musicaux” allant des “Fées” (Die Feen) à “Parsifal”. Une présentation détaillée de chacune de ces œuvres majeures est ici associée à un ensemble d’articles thématiques, replaçant celles-ci non seulement dans le contexte de sa vie personnelle mais également dans son contexte social, économique et culturel. Cette section regroupe également l’ensemble des œuvres musicales (hors opéra) et son œuvre littéraire.

LOHENGRIN, WWV75

Lohengrin, WWV75

LES ARTICLES THEMATIQUES

LOHENGRIN, PREMIÈRE ÉTAPE DE LA RÉFORME WAGNÉRIENNE

par Jean-Michel Dhuez

Wagner a donné à Lohengrin l’appellation d’opéra romantique. Il marque un tournant dans la carrière du jeune compositeur en jetant les bases de ses futurs drames musicaux, dont Le Ring sera l’apothéose. Composé par Wagner, le livret s’inspire de légendes germaniques médiévales, tandis que la partition offre toute une série d’innovations parmi lesquelles l’utilisation du prélude pour établir une atmosphère musicale, et celle du leitmotiv qui définit les personnages.

 

Mandat d’arrêt décrété en 1849 contre Richard Wagner

Un mandat d’arrêt lancé contre Wagner l’a empêché d’assister à la création de Lohengrin

En ce 28 août 1850, le public du Hoftheater de Weimar s’apprête à découvrir le nouvel opéra de Wagner. Il a pour titre Lohengrin, et raconte la légende du Chevalier au cygne envoyé par le Graal pour sauver Elsa de Brabant accusée à tort d’avoir tué son frère, héritier du Duché du Brabant. Lohengrin sauvera Elsa mais, malgré l’interdiction, la jeune femme lui demandera son identité, et Lohengrin repartira pour jamais sur sa nacelle tirée par un cygne. Chacun se presse avant le début de la représentation, mais ce soir-là Wagner n’est pas dans la fosse. Il fait l’objet d’un mandat d’arrêt lancé contre lui après sa participation, l’année précédente, à l’insurrection de Dresde. Ce mandat d’arrêt donne une description de Wagner avec des termes parfois cocasses, comme cette phrase : «  Signes particuliers : gestes et discours rapides ». En ce soir de première, Wagner est loin de Weimar puisqu’il vit en exil en Suisse. Son indéfectible ami Liszt a organisé et payé la fuite. Et c’est tout naturellement Liszt qui tient la baguette pour la création de Lohengrin, sixième opéra wagnérien.

 

Faute de pouvoir conquérir Paris avec l’opéra historique, Wagner se lance dans les légendes germaniques

La genèse de Lohengrin est peut-être à trouver dans l’échec parisien de Rienzi quelques années auparavant. Créé avec succès à Dresde le 20 octobre 1842, Rienzi était l’ouvrage avec lequel Wagner voulait conquérir Paris. Il l’avait d’ailleurs conçu dans la veine du grand opéra à la française : un sujet historique en cinq actes, avec un ballet et de vastes parties chorales. Mais Paris n’a pas voulu de cette œuvre pourtant pensée pour cette ville, qui est alors la capitale de l’art lyrique. Wagner devra même attendre un quart de siècle pour que Rienzi soit créé à Paris, en 1867, et encore dans une version en français. Wagner conçoit de cette échec une vive déception, très certainement alimentée par la remarque du chef et compositeur Hans von Bülow qui estime que Rienzi est le meilleur opéra de Meyerbeer, la figure de proue du grand opéra à la française. Wagner comprend qu’il ne pourra rivaliser avec Meyerbeer. Il perçoit aussi que ce genre musical brille de ses derniers feux. Dès lors Wagner abandonne les sujets historiques au profit des légendes germaniques. Son premier opéra du genre sera Tannhäuser, créé en octobre 1845 à Vienne.

 

Pirna Graupa où Richard Wagner écrivit les premières lignes de son Lohengrin.

Pour écrire le livret de Lohengrin, Wagner puise dans différentes sources

Quelques mois plus tôt, au cours de cet été 1845, Wagner a entrepris la rédaction du livret de Lohengrin. Depuis trois ans déjà, il étudie de près la poésie médiévale germanique, et plus particulièrement le Parzival du poète Wolfram von Eschenbach, dans lequel il découvre l’épopée du chevalier Loherangrin, dont l’orthographe provient très certainement de la chanson de geste française « li loheren Garin » (Garin le Lorrain). Ce preux chevalier du Graal, fils de Perceval, est envoyé dans le Brabant pour y faire triompher l’innocence bafouée. Il apparaît sur les flots dans une nacelle tirée par un cygne, et disparaît dès qu’on le reconnaît. Wagner s’inspire également d’un poème anonyme paru à la fin du XIIIe siècle sous le titre de Lohengrin, texte politique à la gloire du premier roi de Saxe, Henri Ier dit Henri l’Oiseleur, qui dans Lohengrin sera Heinrich der Vogler, roi de Germanie. Il puise aussi dans les Légendes allemandes des frères Grimm. C’est à partir de ces différentes sources que Wagner écrit le livret, dont une première lecture a lieu en décembre 1845. Robert Schumann fait partie de cette assistance choisie, mais quelques temps plus tard il exprimera à Félix Mendelssohn de sérieux doutes. Certes il trouve le livret tout à fait digne d’éloges, mais il voit mal comment Wagner pourrait en tirer un opéra. De fait Wagner attend encore cinq mois avant de se lancer dans la composition. Nous sommes en mai 1846, il vient de prendre ses quartiers d’été dans une villégiature près de Pillnitz, au sud de Dresde. Il réalise une première ébauche musicale, puis de retour dans la capitale du Royaume de Saxe, il se lance dans l’esquisse de l’orchestration en commençant par le troisième et dernier acte, celui où Elsa de Brabant pose à Lohengrin la question défendue de son identité, question qui en fait va traverser toute l’œuvre du début à la fin. Près d’une année va encore s’écouler, jusqu’au printemps 1847 où Wagner reprend son travail. Il s’interrompt à nouveau à la fin du mois d’août, jusqu’en janvier 1848. Là, il écrit la partition d’orchestre définitive à laquelle il mettra une double barre finale, le 28 avril. Pour autant Wagner n’est pas au bout de ses peines. En décembre l’opéra de Dresde oppose une fin de non recevoir à sa demande de faire représenter Lohengrin. Le compositeur paie certainement le prix de son adhésion aux idées politiques qui vont mener au soulèvement de 1849. C’est d’ailleurs le 19 mai 1849 qu’est lancé le mandat d’arrêt qui va entraîner l’exil en Suisse de Wagner. De l’étranger, Wagner envoie à Liszt, le 21 avril 1850, la partition de Lohengrin en lui confiant le soin d’œuvrer à la création de l’ouvrage. Pour cela, il lui fournit une liste d’instructions particulièrement détaillées ainsi que des croquis pour la mise en scène.

 

La création de Lohengrin à Weimar

Avec Lohengrin Wagner innove sur plusieurs plans et ouvre la voie aux drames musicaux qu’il composera par la suite

La première de Lohengrin n’est pas un triomphe, mais Franz Liszt est plus qu’enthousiaste. « Ton Lohengrin est du début à la fin une œuvre sublime. A maints endroits les larmes me sont montées du cœur » écrit-il à Wagner. Quoi qu’il en soit, Lohengrin marque un tournant dans la jeune carrière de Wagner, car il annonce les drames musicaux à venir qui commenceront avec L’Or du Rhin. Wagner donne aux motifs musicaux une teneur psychologique nouvelle. Il innove aussi avec l’utilisation du leitmotiv destiné à caractériser les personnages, ce qui deviendra sa marque de fabrique. L’orchestration apporte également son lot de nouveautés, comme l’analyse Liszt : « Wagner est parvenu à fondre dans son orchestre des instruments qui en général avait été employés individuellement, et à lier presque indivisiblement quelques autres. ». Wagner délaisse par ailleurs l’ouverture au profit du prélude dont la fonction est d’établir une atmosphère musicale. Et enfin il faut voir dans Lohengrin l’écho des tourments personnels qui agitent Wagner. Le Chevalier du Graal solitaire et incompris serait le compositeur, qui a vécu deux échecs consécutifs avec Le Vaisseau Fantôme en 1843 et Tannhäuser en 1845. Sa vie sentimentale rythmée par les fréquentes séparations avec sa femme Minna est particulièrement complexe. Après la création de Lohengrin, Wagner fera dans Une Communication à mes amis en 1851 cet aveu : « Lohengrin cherchait la femme qui croyait en lui, qui ne lui demanderait pas qui il était ni d’où il venait, et qui l’aimerait comme il était, parce qu’il était tel qu’il lui apparaissait. » Lorsqu’il écrit ces lignes, Wagner n’a toujours pas vu son opéra. En effet, il devra attendre encore onze années pour pouvoir le découvrir. Le 11 mai 1861, à Vienne, il entend enfin ce qui deviendra l’un de ses chefs-d’œuvres et l’un de ses dix opéras régulièrement représentés à Bayreuth.

 

Jean-Michel Dhuez

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