LE CARNET BRUN (DAS BRAUNE BUCH), le Journal intime de Richard Wagner (1865-1882)

L’œuvre musicale de Richard Wagner est composée d’opéras ou “drames musicaux” allant des “Fées” (Die Feen) à “Parsifal”. Une présentation détaillée de chacune de ces œuvres majeures est ici associée à un ensemble d’articles thématiques, replaçant celles-ci non seulement dans le contexte de sa vie personnelle mais également dans son contexte social, économique et culturel. Cette section regroupe également l’ensemble des œuvres musicales (hors opéra) et son œuvre littéraire.

LE CARNET BRUN, le journal intime de Richard Wagner (1865-1882)

Das braune Buch, Tagebuch-aufzeichnungen (1865-1882)

Le Carnet brun de Richard Wagner

Histoire du Carnet brun

Chef-d’œuvre d’artisanat, ce carnet brun relié de cuir, à l’origine, muni d’une serrure pour préserver le secret du contenu, mesure 17,5 sur 21,5 cm. et comporte 241 pages écrites de la main de Richard Wagner. La serrure fut par la suite retirée. Depuis le don qu’en fit Eva, le carnet est conservé aux archives du Musée Richard Wagner de Bayreuth en Allemagne (Haus Wahnfried).

L’histoire du Carnet brun est, par essence, étroitement liée à la relation qu’entretinrent le compositeur Richard Wagner et Cosima, fille de Franz Liszt et épouse de Hans von Bülow.  Il fut offert par Cosima à Wagner au mois d’août 1865. Ceux-ci en effet entretiennent depuis deux ans une liaison secrète et interdite. L’affaire est vite révélée et donne lieu à un scandale politique et social relayé par les gazettes de l’époque sous la forme de pamphlets et de caricatures qui mettent en scène le trio mari-femme-amant. Plus que la relation extra-conjugale en elle-même, les munichois rejettent le train de vie au luxe tapageur affiché par Wagner, récemment nommé “protégé” du roi Louis II de Bavière, ainsi que les familiarités que celui-ci a pris avec la figure tutélaire royale. Devant le scandale, Liszt décide d’un voyage à Pest (Hongrie) où il va diriger la création de son oratorio La Légende de Sainte Elisabeth, avec pour but de ramener sa fille à la raison et de sauver son mariage. Alors que le père, la fille et son mari partent pour la Hongrie, Wagner, resté seul, souffrant et malheureux, accepte la proposition de son royal protecteur et part pour quelques jours, loin de la rumeur de la capitale bavaroise dans un châlet de montagne (le Hochkopf). Sachant qu’ils allaient être ainsi séparés, Cosima remet à Wagner un carnet afin qu’il puisse y consigner ses pensées durant cette période de séparation. Pensées qu’elle pourra lire plus tard dans de meilleures circonstances.

Wagner va tenir, à partir du 10 août 1865, et pendant près de trois années une sorte de journal de bord, un vrai journal intime, mais aussi il va consigner dans ce cahier toutes sortes de pensées (ébauches pour de futurs drames, essais divers, poèmes, esquisses musicales). Cosima ayant obtenu le divorce d’Hans von Bülow, le couple s’installe à Tribschen près de Lucerne en Suisse en novembre 1868. Le Carnet brun perd dès lors son caractère intime. Wagner, qui avait pris pour habitude de conserver celui-ci toujours à ses côtés et le considérait comme son objet le plus personnel, ne s’en séparera jamais ; il s’en servira désormais comme d’un carnet de notes.

Il rassemble des textes de natures extrêmement différentes, ce qui peut dérouter le lecteur mais offre un intérêt tout particulier.

On y découvre notamment :
– des esquisses en prose oeuvres futures qui virent ou non le jour ;
– des essais et préfaces ;
– toute une série de notes autobiographiques que Wagner a appelé “Annales” et destinées à la rédaction de son autobiographie ;
– des poèmes, la plupart adressés au Roi (il s’agit en effet du seul volume écrit de la main de Wagner à contenir à lui seul autant d’oeuvres poétiques) ;
– quelques esquisses de thèmes musicaux ;
– diverses pensées sur des questions relatives à son environnement politique, social et ayant trait à la religion, la culture, art…

Ce cahier précieux ne quittera jamais Wagner jusqu’à sa mort. Les toutes dernières notes, entre le 21 mars et le 9 avril de l’année 1882, sont une ébauche au Masculin et au Féminin dans la culture et l’art, un thème sur lequel Wagner travaillera encore pour son dernier essai. Ce sont là ses toutes dernières pensées. 

Eva Chamberlain, née Wagner

Cosima conservera précieusement et dans le plus grand secret cet ouvrage au contenu particulièrement intime. Dans un premier temps, entre 1904 et 1905, très malade et redoutant de disparaître, elle fait don le 17 février 1905 des lettres de Wagner à Eva, sa fille, à qui elle accordait sa pleine confiance. Puis, consciente de la valeur inestimable du Carnet brun, Cosima en fait également don à Eva, le 25 décembre 1908, avant son mariage avec Houston Stewart Chamberlain.

L’objet lui appartenant désormais, Eva décide alors de faire disparaître définitivement 7 feuilles (soit 14 pages), arrachées, qui disparaissent du manuscrit et dont on ignore le contenu qu’elle détruit. Par ailleurs, pour rendre illisibles le contenu de 5 autres pages, elle colle des morceaux de feuillets par-dessus. Eva supposait sans doute que certains passages pouvaient porter préjudice à la mémoire de son père (en particulier ceux concernant ses relations avec Franz Liszt, des propos jugés irrespectueux envers le roi, ou d’autres, évoquant les relations possibles de son père avec Mathilde Maier ou Mathilde Wesendonck). Par ailleurs, des notes écrites sur des feuilles volantes et insérées dans le carnet brun ont été collées un peu au hasard sur des espaces vides.

Si toutes ces interventions peuvent paraître fort regrettables, il faut rendre justice à Eva des actions positives qu’elle entreprit sur le manuscrit. En effet, des textes écrits par son père au crayon et non à l’encre avaient tendance à s’effacer avec le temps ; Eva prit soin de les réécrire à l’encre, notamment le poème Am Abgrund (Au bord du gouffre) adressé au Roi, qu’elle recopia intégralement en toute fin du volume.

A son tour, Eva fait don du Carnet brun à la ville de Bayreuth en 1931 (Fondation Richard Wagner, Wahnfried).

Publication du Carnet brun

Quelques rares passages avaient déjà été publiés du vivant de Wagner. C’est ainsi que la première esquisse en prose du drame Parzival, destinée initalement à des lectures dans un cadre privé, ne fut jamais remaniée. En revanche, les Souvenirs sur Ludwig Schnorr, cet artiste à la destinée hors du commun vu le rôle qu’il joua dans l’évolution de l’interprétation scénique des artistes lyriques (il bénéficiait d’une immense popularité en raison des liens privilégiés qu’il avait entrenus avec Richard Wagner) firent l’objet d’une publication par une maison d’édition allemande. Puis, traduit plusieurs fois, ce texte connut un succès notoire auprès d’un très large public.

A la mort de l’auteur, d’autres courts passages du Carnet brun réapparurent ça et là, notamment au sein des Bayreuther Blätter (l’organe officiel de la direction du Festival de Bayreuth, sous la direction de Hans von Wolzogen), tout comme quelques poèmes (sélectionnés et publiés grâce au travail de Carl Friedrich Glasenapp).

En 1975, le Carnet brun est enfin publié aux Editions Atlantis, (Zurich) avec présentation et commentaires de Joachim Bergfeld (1906-1988). Pour ce faire, en 1974, le restaurateur et conservateur Hans Heiland de Stuttgart retire le papier collé par Eva sur les 5 pages. Il aura donc fallu attendre près d’un siècle avant que le contenu intégral ne soit dévoilé au public.

Depuis 1975, cette publication connut 16 éditions successives, dont deux traductions (texte original de Richard Wagner ainsi que commentaires de Joachim Bergfeld) : la première en anglais (Cambridge University Press, 1990), la deuxième,  en italien (Passigli Editori, 1998).

Quelques parties éparses du Carnet brun ont été traduites en français par Jean-Gabriel Prod’homme (1871-1956) ; ces rares extraits du Carnet brun se trouvent dans les 13 volumes des Oeuvres complètes en prose de Richard Wagner.

La toute première version intégrale critique du Carnet brun traduite en français par Nicolas Crapanne, en collaboration avec Marie-Bernadette Fantin-Epstein, Eva Perrier et Solange Roubert voit le jour aux Editions Gallimard en 2023, avec une préface de Jean-François Candoni.

Contenu exhaustif du Carnet brun de Richard Wagner

Journal intime, entrées adressées à Cosima (août 1865-février 1868)
Au bord du gouffre, poème (août 1865)
Poèmes à Louis II de Bavière (août 1865)
Parzival, première esquisse en prose (août 1865)
– Deux fragments musicaux (novembre 1865)
Le soleil de Hohenschwangau, poème (novembre 1865)
Larmes d’adieu, poème (novembre 1865)
Annales, notes autobiographiques 1846-1867 (février 1868)
A David Strauss, trois poèmes (mars 1868)
Préface à Art allemand et politique allemande (mars 1868)
Préface à la deuxième édition de Opéra et drame, dédiée à Constantin Frantz (avril 1868)
Ordre pour l’édition complète de mes oeuvres (avril 1868)
Souvenirs sur Ludwig Schnorr (mai 1868)
Roméo et Juliette, fragment musical (mai 1868)
Pensées à propos du bouddhisme pour Les Vainqueurs (mai 1868)
Poème pour le roi Louis II de Bavière (dédicace aux Maîtres-chanteurs de Nuremberg (août 1868)
Luther, esquisse pour un drame (août 1868)
Deux vrais amoureux n’ont qu’une religion (août 1868)
Ajout à la dédicace aux Maîtres-chanteurs de Nuremberg, poème (août 1868)
Une comédie en un acte, esquisse (septembre 1868)
A Heinrich Laube, trois poèmes (septembre 1868)
Annales, notes autobiographiques pour l’année 1868 (novembre 1868)
Nuit de la Saint-Sylvestre 1868-1869, thème musical (décembre 1868)
IIIème acte de Siegfried pour le roi, poème (août 1869)
L’Or du Rhin, poème satirique (septembre 1869)
Saucisse de Brauschweig pour Lohengrin, poème (mars 1868)
Au roi (dernier effort !), poème (avril 1870)
Beethoven et la nation allemande, esquisse pour un essai (juillet 1870)
Pour l’anniversaire du roi, poème (août 1870)
Pensées Sur le journalisme (septembre 1870)
La capitulation, comédie parodique (novembre 1870)
A l’armée allemande, poème (janvier 1871)
Chant impérial, poème (mars 1871)
IIIème acte du Crépuscule des dieux, poème dédicacé à Louis II de Bavière (août 1872)
Epitaphe pour Karl Tausig (septembre 1872)
A Georg Herwegh, poème (février 1873)
Sur : qu’est-ce qui est allemand ? réflexions (avril 1873)
– Fragment musical (entre mai et août 1873)
A la remise au roi du 9ème volume de l’intégrale des oeuvres en prose et poèmes, poème
(août 1873)
Réflexions pour la régénération de l’humanité et de la culture (août 1880-mars 1882)
Du masculin et le féminin dans la culture et l’art, esquisse pour un essai (mars-avril 1882)

 

QUELQUES REPRODUCTIONS DU MANUSCRIT ORIGINAL

LE CARNET BRUN AUX EDITIONS  GALLIMARD (2023) : NOTRE TEASER

LE CARNET BRUN : L’HISTOIRE DU MANUSCRIT OUBLIE DE RICHARD WAGNER

Vous souhaitez apporter des informations complémentaires et ainsi enrichir cet article, contactez-nous !