UNE HISTOIRE DES GRANDES SCÈNES WAGNÉRIENNES : LE TEATRO COLON (Buenos Aires, Argentine)

Au disque ou à la scène, un répertoire des différentes productions et enregistrements de « référence » ainsi qu’un calendrier des représentations des œuvres de Richard Wagner sur les principales scènes mondiales.

UNE HISTOIRE DES GRANDES SCÈNES WAGNÉRIENNES A TRAVERS LE MONDE :

LE TEATRO COLON (Buenos Aires, Argentine)

Fiche technique du théâtre :

Lieu : Buenos Aires (Argentine)
Architectes :  Francesco Tamburini, Vittorio Meano, Jules Dormal
Date d’inauguration : le 25 mai 1908
Capacité : 2487 spectateurs assis

Site web :  www.teatrocolon.org.ar

SOMMAIRE :

EUROPE
Vienne – Paris – Bruxelles
Orange – Prague – Budapest – Sopot

en Espagne
Barcelone – Madrid – Sevilla
Bilbao

en Italie
Milan – Rome – Bologne
Palerme

Mais aussi :

AMERIQUE DU NORD :
le Met de New-York

AMERIQUE DU SUD :
le Teatro Colon de Buenos Aires

par Flavio BANDIN

Le légendaire Teatro Colon de Buenos Aires

Le Théâtre Colón de Buenos Aires : temple lyrique à l’acoustique d’exception

L’opéra de Buenos Aires est considéré comme un des plus importants théâtres d’art lyrique au monde. La bâtiment actuel remplaçant celui de 1857 qui été placé face à la célèbre place de Mai, est le fruit de la dimension sociale, économique et artistique de la riche Argentine de la fin du XIXe et de l’envie de faire de Buenos Aires la Paris d’Amérique du sud. Buenos Aires souhaite avoir un opéra qui pourrait rivaliser avec l’Opéra Garnier ou la Scala de Milan. Inauguré le 25 mai 1908, il doit sa renommée en premier lieu à son acoustique unique et à son architecture éclectique. Il a été déclaré Monument Historique National en 1989.

L’institution abrite 2 orchestres symphoniques, 1 chœur polyphonique, 1 corps stable de ballet, l’institut supérieur d’art et le centre d’expérimentation musical, une bibliothèque. Il dispose des ateliers de décors, accessoires, costumes, éléments scénographiques et des autres éléments nécessaires qui permettent d’assurer une mise en scène complète dans le même bâtiment en complète autonomie.

Le bâtiment, de style éclectique typique du début du XXe siècle, s’étend sur 8 202 mètres2, dont 5 006 correspondent au bâtiment central et 3 196 aux unités annexes en sous-sol. La superficie totale couverte de l’ancien bâtiment est de 37 884 mètres carrés. Les extensions réalisées plus tard, notamment celles de la fin des années 1960, ajoutèrent 12 000 mètres carrés, portant la superficie totale du Théâtre Colón à 58 000 mètres carrés.
Il accueille en moyenne deux cents représentations par an, dont une centaine consacrée aux opéras, trente-cinq aux ballets et soixante-cinq aux concerts. À côté du répertoire traditionnel, une place est réservée à la création et à la reprise de « classiques contemporains », comme les opéras de Honegger, Britten ou Menotti.

Enfin, les plus grands solistes internationaux y offrent des récitals tandis que Martha Argerich, native de Buenos Aires, organise chaque année un concours visant à découvrir les jeunes pianistes les plus talentueux du pays.

Revenons à la genèse. L’architecte Francesco Tamburini débute le projet gagnant qui a époustouflé par son luxe. La première pierre est posée le 25 mai 1890. Mais Tamburini meurt subitement à 44 ans. Son associé Vittorio Meano, un autre architecte italien, poursuit les travaux, en y apportant de légères modifications. Mais celui-ci meurt lui aussi à 44 ans, assassiné, alors que le constructeur et financeur du nouveau Colón a fait faillite, retardant les travaux. L’on disait le projet maudit. Le nouvel architecte belge Jules Dormal, inspiré par le style académique français apportera des touches d’art nouveau à l’édifice, de style plutôt Renaissance. A l’intérieur, c’est l’Italie de Luigi Trinchero qui, dans les bas-reliefs et les bustes, va rivaliser avec la coupole du Français Marcel Jambon, auteur de très nombreux décors de l’Opéra de Paris et de la Comédie française. Une touche germanique est évidente dans la robustesse de l’édifice, donnant comme résultat final un ensemble absolument éclectique.

L’intérieur de la salle principale du Colon

La salle principale, en forme de fer à cheval, possède un diamètre allant de 29.25 à 32.65m de la partie plus étroite à la plus large. Elle est aussi large que haute, la hauteur étant de 28m. Elle dispose de 7 étages et d’une capacité de 2487 places assises dans des fauteuils tapissés de velours pourpre (jusqu’à 3 000 places avec des personnes debouts), surplombés d’un lustre géant italien d’1,5 tonne et 735 lampes. Mais avant d’arriver dans la salle, le public est accueilli dans un immense foyer en marbre de Carrare, Sienne et du Portugal orné de sculptures des Français Cordier et Bezner. Le Salon doré semble un écho de Versailles, au premier étage il précède la salle. Une rénovation de la coupole originale a eu lieu en 1966 par le peintre Argentin Raúl Soldi. Sur une superficie de 318 m2, Soldi représente une allégorie des arts scéniques et musicaux avec une composition de 51 figures.

La scène a une inclinaison de trois centimètres par mètre et mesure 35,25 mètres de largeur sur 34,50 mètres de profondeur et 48 mètres de hauteur. Elle dispose d’un disque rotatif de 20,30 mètres de diamètre qui permet de changer rapidement de décor.

La fosse d’orchestre contient 120 musiciens. Elle est conçue avec des chambres de résonances et des courbes spéciales de répercussion du son. On entend parfaitement le moindre murmure dans toute la salle. Le parterre se trouve légèrement incliné .

Coupe du Colon vue de haut

Ces conditions, les proportions architecturales de la salle et la qualité des matériaux contribuent à l’acoustique exceptionnelle du Teatro Colón, reconnue dans le monde comme l’une des plus parfaites.
Une étude de référence publiée en 2000 par l’expert en acoustique américain Leo Leroy Beranek ancien professeur du MIT, en collaboration avec l’Institut japonais Takenakaplace, place le théâtre Colón en tête des 23 salles d’opéra étudiées en Europe, en Amérique et au Japon, en terme d’acoustique. Cette étude issue d’une analyse reposant sur différents critères de jugement sur l’excellence sonore d’une salle lyrique, est menée par de nombreux professionnels, compositeurs, chanteurs, chefs d’orchestre, musiciens, critiques et mélomanes. Elle constate que le temps idéal de réverbération du son, se situe aux alentours de 1,5 seconde. Ce chiffre correspond à celui du Colón. Ils concluent que la musique apparaît ainsi vivante, sans arriver à s’empâter. D’autres critères comme la clarté ou la transparence sonore et les proportions de basses sont amplement satisfaits.
Les caractéristiques architecturales ainsi que la disposition des matériaux dans la décoration de la salle du Colón seraient un atout dans la diffusion du son. La salle proprement dite, en forme de fer à cheval, est l’une des plus grandes du monde. Elle mesure 75 mètres de profondeur, 32 mètres de diamètre. La largeur de la scène est de 18.25m et sa hauteur de 19.25 mètres. Cette profondeur ainsi que la hauteur de la scène auraient un rôle fondamental dans la projection du son. Les matériaux utilisés ainsi que sa distribution contribuent à l’excellence acoustique : les trois premiers niveaux sont surchargés en boiseries et velours absorbant ainsi le son et l’empêchant de rebondir, les quatre niveaux supérieurs sont essentiellement constitués de matériaux durs comme le marbre et le bronze créant un effet contraire de réverbération. Cette combinaison de deux extrêmes aboutit à un point d’équilibre idéal.

Coupe transversale du Colon

Cet équilibre est aussi renforcé par le pin du Canada utilisé pour la scène légèrement inclinée, cela combiné à la forme en fer à cheval rallongé de la salle, qui permettent une distribution uniforme du son pour l’ensemble des spectateurs.

Des travaux de rénovation, commencés en 2001, ont suscité de multiples polémiques autour de la préservation acoustique et la mise aux normes du théâtre. Des études minutieuses et une fermeture de presque 4 ans ont abouti à la réussite de la rénovation avec sa réouverture en 2010. La grande interrogation portait surtout sur le maintien de l’extraordinaire qualité acoustique que certains travaux pourraient dénaturer. Il s’agit en particulier du remplacement du rideau de scène de 1,5 tonne et des tissus, rideaux et tentures. Pour redonner cette qualité sonore, les restaurateurs ont par exemple complété l’intérieur des sièges avec du crin animal et du coton, comme à l’origine. Elle coûtera à la ville plus de 300 millions de dollars, avec un monument fermé trois ans, 1 500 personnes mobilisées. La même année 2010 fut placé un podium considéré comme le meilleur sur le plan acoustique dans un théâtre lyrique, au niveau mondial, parmi 23 salles étudiés en Europe, Amérique et au Japon.

Des tests ont été pratiqués en laboratoire, dans la salle avant sa fermeture, et après la remise à neuf des sièges et des tentures. L’acoustique est à 99% identique à ce qu’elle était avant la fermeture du théâtre.
Le ténor allemand Jonas Kaufmann déclara lors d’un interview en 2017 « Le théâtre à l’acoustique idéale dans le monde que l’on aimerait amener avec soi, est le Teatro Colón, à Buenos Aires. »

En 1987, Luciano Pavarotti déclarait déjà à Buenos Aires : « Je vais vous dire quelque chose de terrible : cette salle est parfaite ! Terrible car si vous faites une erreur le public s’en rend compte tout de suite ».

Les ateliers en sous-sol pourraient doubler en volume l’édifice


Coopes A y B. Observation des coupes longitudinales et transversales du bâtiment. Biblioteca Landivariana – Universidad Rafael Landívar.

Le célèbre Teatro Colon au début du siècle

Histoire du Wagnérisme en Argentine

Terre d’immigration érigée en nouvel eldorado, l’Argentine voit sa population exploser à la fin du XIXe siècle grâce à l’immigration massive arrivant du Vieux continent. La prospérité du pays rejaillit essentiellement dans la capitale ou des théâtres d’opéra vont voir le jour.

Entre 1885 et la Première Guerre mondiale la population de l’Argentine a doublé, avec l’arrivée de plus de 3 millions d’immigrants européens, essentiellement des italiens, espagnols, allemands (environ 100.000 dans la première décennie). Par ailleurs l’établissement d’une aristocratie à peine centenaire, mais extrêmement riche, qui passait une partie de l’année en Europe, vont établir les bases pour que le goût musical soit façonné avec les tendances venues d’Europe.

L’amour du public pour le lyrique ne se cantonne pas seulement à l’opéra italien. À titre d’exemple, depuis sa construction en 1896 le théâtre de l’Odéon s’était spécialisé dans le répertoire français. En raison de la fermeture du « vieux » théâtre Colón, l’offre s’est dispersée entre 4 théâtres qui rivalisaient de plus en plus durement pour présenter des spectacles de haut niveau, ce qui a entraîné la modernisation du théâtre Opéra afin de monopoliser la demande.

Les préférences changeaient et la tendance abandonnait les classiques pour ce qui était considéré comme l’avant-garde. Les opéras de Wagner sont de plus en plus appréciés du public local. Le niveau artistique du nouveau Théâtre Colon allait croître grâce à la concurrence établie avec les autres théâtres prestigieux reconnus depuis le début du siècle.

L’ancien Coliseo de Buenos Aires au début du siècle

A titre d’exemple le Théâtre Coliseo, a eu l’honneur de monter les premières de Salomé de Richard Strauss, dirigées par Strauss lui-même en 1910, de Parsifal de Richard Wagner en 1913 et la première mondiale de Isabeu de Pietro Mascagni. L’évolution du goût lyrique local n’a pas attendu l’inauguration du Théâtre Colon puisque les données de l’époque indiquent que sur la centaine de représentations d’opéra données dans la ville en 1899, 40 correspondent à Wagner, 16 à Gounod, 10 à Verdi et 4 à Meyerbeer.

Lohengrin fut le premier opéra de Wagner joué dans l’ancien théâtre Colon, à Buenos Aires le 17 juillet 1883 avec un accueil très enthousiaste. La première de La Walkyrie a dû attendre 1899 et lui succèderont Lohengrin et Les Maitres Chanteurs de Nuremberg, toutes 3 représentées au Théâtre de l’Opéra, l’ancien Colon étant définitivement fermé et le nouveau en construction. La Tétralogie débarquera enfin en 1910 et sera représentée durant 7 saisons de manière intégrale, La Walkyrie quant à elle, 18 saisons, la dernière en 2005.

Cependant c’est en 1901, avec l’arrivée de Toscanini, pour la première fois à Buenos Aires et l’impression que la ville et son projet de grand opéra ont fait sur lui, que le Wagnérisme va s’épanouir en Argentine.
Revenons à l’année 1901, à Buenos Aires, et aux raisons initiales de ce qui deviendra une longue et fructueuse collaboration avec le théâtre Colon. Outre la riche programmation composée de quinze opéras par saison, incluant en 1901, trois opéras de Wagner et la participation d’Enrico Caruso en Rigoletto, le salaire accordé à Toscanini était de 10.000 lires par mois, contre 12.000 lires par an à la Scala.

Le programme de la saison 1901 comptait Tannhäuser, Lohengrin et la création de Tristan et Isolde. Ce n’était que le début d’une longue tradition wagnérienne en Argentine.

Les six représentations de la création de Tristan et Isolde, furent un succès. Dans le rôle de Tristan brilla le ténor italien Giuseppe Borgatti, celui que Cosima Wagner considéra comme le meilleur Siegfried. La veuve de Wagner le découvre en décembre 1899 à la Scala sous la direction de Toscanini lui-même. Borgatti avait d’ailleurs fait ses débuts à Buenos Aires la même année avec Lohengrin et Les Maitres Chanteurs de Nuremberg.
En 1904, il fut le premier ténor de langue non allemande à chanter à Bayreuth. Dans le rôle d’Isolde : Amelia Pinto, soprano wagnérienne en langue italienne qui avait fait sa première dans le rôle à la Scala la même année.
L’œuvre de Wagner au théâtre Colon, comme dans la majorité des opéras en dehors de l’Allemagne, se chantait dans la langue des interprètes, l’Italien.

Il faut attendre 1912 pour que les opéras de Wagner, entre autres, soient chantés dans leur langue.

Et c’est seulement en 1922 que l’on entend la première Tétralogie en langue originale : cette fois-ci, sous la direction de Felix Weingartner et Lotte Lehmann dans le rôle de Sieglinde. Quant à Tannhäuser et Lohengrin, il s’agissait de reprises, la première de Lohengrin datant du 18 juillet 1883 et Tannhäuser : le 21 juin 1894.

Le chef italien Arturo Toscanini au Teatro Colon de Buenos Aires

Après une année d’absence, Toscanini reviendra à Buenos Aires en 1903, accompagné des plus grands chanteurs de l’époque, tels Caruso, De Luca, Darclée. La programmation de la saison comptait quinze opéras et elle fut clôturé par Les Maitres Chanteurs de Nuremberg. En 1904 parmi les œuvres de Wagner, seul Lohengrin fut représenté.

Toscanini retourne à nouveau en Argentine en 1906, cette fois-ci avec sa famille au complet. Au programme de la saison lyrique, La Walkyrie, Tristan et Butterfly, ce dernier opéra interprété par sa maîtresse Rosina Storchio. 1906 fut une année funeste dans sa vie et celle de sa famille. Le 10 juin, son plus jeune enfant, Giorgio, âgé d’à peine 5 ans, meurt de diphtérie. La rumeur courait que Toscanini n’était pas au chevet de son enfant mais dans celui de sa maîtresse. Toscanini était à la baguette de Butterfly, deux jours après la mort de Giorgio qui d’ailleurs jouait le rôle du fils de Cio-Cio-San. Ce fut ce soir-là au moment où l’enfant qui remplaça Giorgio entrait en scène que Toscanini s’effondra en larmes.

L’année 1908, année de l’inauguration du nouveau théâtre Colon, débute le 25 mai avec Aida, Wagner sera joué dix fois : six représentations de Tristan et Isolde, quatre représentations de Siegfried. Par la suite, Wagner sera représenté dans toutes les saisons jusqu’à la rénovation.

La saison 1909 débute avec Tannhäuser, suivi de Lohengrin et Les Maîtres Chanteurs. En 1910 a lieu la première de L’Or du Rhin et les reprises de Lohengrin et La Walkyrie. En 1911 la saison débute à nouveau avec une nouvelle mise en scène de Tannhäuser suivi de Tristan.

Au-delà de la programmation et du consensus pour l’œuvre de Wagner, un véritable mouvement d’adhésion est en train de naître. L’origine essentiellement européenne de la population argentine y est pour beaucoup. Une importante communauté italienne, population très mélomane, la communauté allemande bien représentée aussi, sans oublier le rôle de la communauté catalane, très nombreuse à Buenos Aires.

C’est en 1912 que l’Association Wagnérienne de Buenos Aires voit le jour avec le retour de Toscanini. L’acoustique de la salle du nouveau théâtre d’opéra l’enchante. Il dirigera l’intégralité des opéras de la saison, hormis Werther et Roméo et Juliette. La saison comptait Tristan et Isolde et Le Crépuscule des Dieux, Königskinder et Germania.

Toscanini dans la pure tradition wagnérienne, n’acceptait pas les bis. Lors d’une représentation, l’ovation suite à un aria et la demande d’un bis de la part du public fut d’une telle ampleur, que Toscanini s’arrêta, jeta la baguette, se tourna vers le public et se retira en leur faisant un bras d’honneur. Son assistant dut le remplacer et finir la représentation. Toscanini exigea la résiliation du contrat, se refusant à donner des excuses publiques à cause de son attitude. Ce fut un scandale relayé par la presse outre atlantique de l’époque. Fort heureusement, un accord fut conclu entre le théâtre et Toscanini, et dès lors des panneaux furent placés, interdisant au public la sollicitation des bis. Cependant cela n’empêcha pas une longue absence de 28 ans. Les raisons restent obscures, mais il semblerait que d’importants désaccords avec l’impresario qui avait la concession du théâtre Colon à l’époque, en soient à l’origine.

Cela n’empêcha nullement l’œuvre de Wagner de continuer à rayonner. C’est d’ailleurs en 1913 que la première non autorisée de Parsifal a eu lieu au Théâtre Coliseo, malgré la formelle interdiction de représenter l’œuvre en dehors de Bayreuth, évitant ainsi de mêler le Colon à l’affaire. D’autres représentations non autorisées avaient eu lieu à Amsterdam, en 1905, 1906 et 1908.
Parsifal demande une parenthèse compte tenu de l’impact de l’œuvre parmi le public.

L’année 1914 ce fut la première, cette-fois ci au Colon, mais il fallut attendre 1922 pour une première en langue allemande, sous la direction de Félix Weingartner, avec Walter Kirchhoff dans rôle-titre. Cela n’empêche que dans la période 1914-1921 et malgré la grande guerre, 9 opéras de Wagner seront joués 45 fois. Cependant 1922 représente le grand tournant car dorénavant, les compagnies allemandes et les plus grandes voix wagnériennes allaient se succéder : Lauritz Melchior, Max Lorenz, Set Svanhom, Wolfgang Windgassen, faisant de Buenos Aires la Bayreuth d’Amérique du Sud, surtout durant le 2e guerre mondiale.

Mais revenons à l’après-guerre à partir de 1918. L’anti-germanisme régnant et le monopole de Ricordi, rendaient impossible l’interprétation de l’œuvre dans la langue originale. La pression exercée par l’association ‘Wagneriana’ de Buenos Aires donnera ses fruits en 1922, rendant possible la représentation non seulement de Parsifal mais la première Tétralogie intégrale en allemand, Félix Weingartner dirigeant l’orchestre Philharmonique de Vienne et avec la régie de Karl Wildrunn. Lotte Lehmann, Walter Kirchhoff et Lauritz Melchior y excellèrent, ce dernier deviendra un habitué de la maison. Désormais chaque représentation d’un opéra de Richard Wagner, deviendra un rituel plutôt qu’un simple événement musical, une célébration qui se répétera pendant des années et qui s’approfondira avec la contribution significative d’éminents solistes.

La création de l’Atelier et de la direction scénique du théâtre en 1925 lui permet une indépendance vis-à-vis des mises en scènes malgré l’omniprésente influence de Max Hofmüller. Ce n’est pas la place qui manque au théâtre mais il faudra réaliser des ampliations souterraines du bâtiment principal. Les ateliers souterrains s’étendront jusqu’en dessous de l’avenue 9 de julio.

Outre, le site de l’Unesco sur la radiophonie, le 27 août 1920 doit être considéré comme une des grandes dates de l’histoire de la radio avec la diffusion de Parsifal de Richard Wagner à Buenos Aires par « Los Locos de la Azotea » (Les fous du toit) depuis le Théâtre Coliseo, et considérée comme la première diffusion publique de l’œuvre.
Cette même année, Richard Strauss est invité à diriger seize concerts durant la saison. Il y interprète non seulement des œuvres de Beethoven, mais aussi des pages de sa composition. L’année 1921 ce sera l’année Mascagni, directeur invité de la saison.

La période 1923-1938 vit l’épanouissement du chant allemand en Argentine. En 1923 hormis 15 représentations de trois opéras de Wagner, c’est Richard Strauss, l’événement de l’année, directeur invité. Celui-ci dirigera Salomé et Elektra avec l’orchestre philharmonique de Vienne comme orchestre invité. Durant l’année 1925, Parsifal sera dirigé par le directeur invité, Tulio Serafin. En 1926, Fritz Reiner dirigera en tant que directeur invité La Walkyrie, Tannhäuser, Tristan et Les Maîtres Chanteurs.

Un tournant artistique venait de se produire avec des saisons mémorables qui établissent la suprématie du Colon parmi les meilleures institutions au niveau mondial. Des artistes comme Muzio et Chaliapine reviennent et sont rejoints par d’autres de premier ordre comme George Thill, Lili Pons, L. Hoffman, K. Thoborg, Gilda Dalla Riza, Ebe Stignani, Lauritz Melchior et S. Baccaloni, toujours conduits par des metteurs en scène prestigieux.

Entre 1927-30, de nombreux opéras de Wagner furent donnés, mais c’est sans doute en 1931, le retour en force du Maître avec une Tétralogie, Les Maîtres Chanteurs et un Tristan d’anthologie, ayant dans les rôles principaux : Lauritz Melchior, Frida Leider, Ludwig Hoffman et Otto Klemperer comme directeur invité.

Parsifal dirigé par Fritz Busch, avec René Maison, Marjorie Lawrence, Martial Singher, Frédéric Destall , Alexander Kipnis , Fritz Krenn (Buenos Aires, 22 septembre 1936)

En 1933, Fritz Busch dirige l’hommage à Richard Wagner cinquante ans après sa disparition, avec trois de ses opéras : Les Maîtres Chanteurs, Tristan et Isolde et Parsifal. En tant que directeur invité, il reviendra 3 ans durant (1934-1936), il dirigera les Maîtres, Parsifal et Tristan avec Lauritz Melchior jusqu’en 1934, puis avec Max Lorenz dans La Walkyrie, Le Hollandais, Lohengrin ainsi que des opéras de Strauss: Le Chevalier à la Rose et Arabella, et de Mozart : Cosi Fan Tutte, et Fidelio de Beethoven. En tout dix œuvres de Wagner et trente-cinq représentations en quatre ans.

En 1937, ce fut l’arrivée d’Erich Kleiber avec Fidelio, Tannhäuser avec Max Lorenz dans le rôle-titre, et Les Maîtres chanteurs. 1938 : la deuxième guerre mondiale éclate et Erich Kleiber s’installe dans le pays ou grandira son fils Karl (qui deviendra Carlos). Malgré la guerre, Tristan, Siegfried ainsi que le Chevalier à la Rose de Strauss seront joués. Ce ne sera pas le cas pour l’année 1939 où ne seront joués que un opéra de R. Strauss : Elektra, et deux opérettes de Johann Strauss : la Chauve-souris et le Baron Tzigane. En 1940, c’est le retour de Wagner après une année d’absence avec la Walkyrie, le Hollandais et Parsifal.

En ce qui concerne Toscanini, il fallut attendre 1940 pour qu’il revienne en Argentine, cette fois-ci avec l’orchestre symphonique de la NBC (National Broadcasting Company) et dans le cadre d’une tournée latino-américaine. A la différence des années précédentes, Toscanini n’était que le chef d’un orchestre en tournée. Le souvenir du lien privilégié d’autrefois et probablement la qualité de l’orchestre stable du théâtre Colon, représentèrent un tournant décisif dans l’avenir du lien de collaboration entre Toscanini et l’opéra de Buenos Aires.

Des sources proches de Toscanini racontent que lors d’une soirée de repos du maestro avec l’orchestre de la NBC, il fut impressionné par la qualité de l’orchestre stable du Théâtre Colon qui passait à la radio. C’était la retransmission du Trouvère de Verdi depuis le Colon, sous la baguette de Fritz Busch. Le lendemain matin, il se mis en contact avec le directeur général du théâtre pour solliciter la direction de la saison 1941. Toscanini comptait sur un allié de taille en Ferruccio Calussio qui avait été son assistant dans le passé.

Parmi les exigences de Toscanini : faire venir 7 effectifs de renfort, dont 6 musiciens de la NBC. Cela servit d’alibi pour inclure une voix à son chœur, celle de Friedelind Wagner. Fille de Siegfried et petite fille de Richard, ouvertement opposée au régime nazi, cet engagement artistique lui aurait servi de sauve conduit pour quitter l’Europe, et pouvoir enfin s’installer aux Etats Unis.

Toscanini arriva à Buenos Aires le 9 juin 1941. Le programme incluait des fragments orchestraux d’opéras de Wagner : le prélude de Parsifal, des extraits de Siegfried et du Crépuscule. Son retour fut couronné d’un immense succès. Cependant les opéras de Wagner de la saison étaient dirigés par une autre baguette, celle d’Erich Kleiber, installé à Buenos Aires avec sa famille depuis 1937, et ayant quitté l’Europe à cause du nazisme et pris comme toute la famille la nationalité argentine. Il dirigea au Théâtre Colon jusqu’en 1949 tout le répertoire allemand, essentiellement Wagner ayant comme co-répétiteur Michael Gielen.

L’année 1941 fut l’année de 3 baguettes de renommée : Toscanini, Kleiber qui dirige Les Maîtres et Lohengrin et Fritz Busch. Cette année 1941 ce fut aussi une évidence : celle des adieux de Toscanini qui ne reviendra plus à Buenos Aires, même s’il y restera fortement attaché.

De manière plus globale, un culte à Toscanini existe en Argentine depuis ses débuts. Pour la première fois au monde, une radio, la FM Nationale, lui dédia plus de trois cents émissions d’une heure chacune avec des enregistrements en live non officiels, des répétitions. Cela en partie grâce au musicologue argentin Claudio Von Foerster en lien avec Walter, Toscanini et Wanda Horowitz. Autre grand hommage au grand maestro : le passage qui jouxte le théâtre Colon et la place Vatican porte son nom.

Pendant la période 1942-1945 le théâtre Colon ne fut pas été épargné par le rejet de l’œuvre de Wagner et malgré des efforts de neutralité qui sur le plan politique, il y eut de lourdes conséquences pour le pays, le mettant en marge sur le plan international, 5 opéras furent joués au cours des saisons 1942-1943 sous la baguette de Busch et de Roberto Kinsky. Paradoxalement, ce dernier, un émigré venu de Hongrie fuyant le totalitarisme, remplaça Busch pour Le Crépuscule et Tristan avec Lauritz Melchior, Rose Bampton et Helen Traubel.

Il faut reconnaître l’immense effort de la direction et des équipes du Théâtre pour offrir durant des années avec le New York Metropolitan House, la seule version de bon niveau , respectant la tradition, de la Tétralogie en dehors de l’Europe, avec les mêmes chanteurs qui se trouvaient au mois d’août au festival de Bayreuth. Le Colon avait relevé le défi de proposer le Ring dans sa langue originale en 1922, comme nous l’avons mentionné, et l’a reprise au cours des saisons 1926, 1931, 1935, 1947, 1962, 1967, 1981, 1995. Les castings des Ring des années 1962 et 1967 méritent une mention spéciale : la soprano Birgit Nilsson, omniprésente, la puissance de sa voix et la qualité de son chant resteront à jamais dans la mémoire de ceux qui ont assisté à ses performances.

Je profite de cet article pour faire une parenthèse sur la période trouble de la deuxième guerre mondiale et la neutralité du régime dictatorial au pouvoir en Argentine. Le milieu de la culture et plus largement la population dont une partie d’origine juive, troisième population en densité au monde, ont par le biais de l’art, outrepassé toute idéologie. Paradoxalement, l’œuvre de Wagner a continué à vivre par les mains de ces artistes. Kleiber, Gielen, lui-même d’origine juive, Fritz Busch, Roberto Kinsky, élève de Kodaly, émigrèrent en Argentine et s’ajoutèrent à la longue liste d’exilés non connus qui fuyaient le nazisme. Durant la période 1940 à 1943, huit des opéras de Wagner seront représentés 41 fois et ce malgré la difficulté de faire venir des chanteurs pouvant les interpréter dans la langue originale. Le public étant très exigeant et sa préférence pour Wagner incontournable, durant la deuxième guerre mondiale, hormis les exilés déjà installés, des conventions furent établies avec le Met de New York afin d’assurer les représentations face à l’impossibilité de faire venir les artistes du festival de Bayreuth.

L’année 1946 sera l’année du retour de Wagner au Colon après une absence de deux ans avec Les Maîtres et Parsifal avec Trosten Ralf et Rose Bampton sous la direction d’Erich Kleiber.

La saison 1947, sera celle du retour en force de la musique allemande avec une nouvelle Tétralogie sous la baguette d’Erich Kleiber, Max Lorenz en Siegfried et les débuts d’Astrid Varnay en Brunhilde au Colon. En référence à Astrid Varnay, fille de chanteurs lyriques hongrois émigrés en 1921 en Argentine, c’est précisément à Buenos Aires qu’elle commencera ses études musicales avant de déménager à New York. Le Ring de 1947 sera reconnu comme un des meilleurs de l’après-guerre et un des trésors dans l’histoire de sa propre discographie avec une Brunhilde anthologique dans un incendiaire Crépuscule des dieux.

L’année 1948 sera celle de la première sud-américaine de Daphné de Richard Strauss, les débuts au Colon de Kirsten Flagstad, mentor de Varnay, dans les rôles d’Isolde dans Tristan et Brunhilde dans La Walkyrie, accompagnée du légendaire Hans Hotter sous la direction de Kleiber mais surtout de l’arrivée de Wilhelm Furtwängler venant diriger huit concerts avec l’Orchestre stable du Théâtre Colón. Le programme comprenait des œuvres majeures du répertoire : la Première, la Cinquième et la Neuvième Symphonie de Beethoven, la Première de Brahms, la Quatrième de Bruckner, la Sixième de Tchaïkovski, la Quatrième de Schumann, la 40 de Mozart, les poèmes symphoniques Mort et Transfiguration et Vie d’un héros, de Strauss ; Fragments symphoniques wagnériens, la Suite de L’Oiseau de Feu, de Stravinsky, les Scènes argentines de Lopez Buchardo et des ouvertures de Mendelssohn et Weber. Il reviendra en 1950, pour diriger la Passion selon saint Matthieu de Bach, toujours avec l’orchestre et le chœur stables du Théâtre, et cinq concerts avec les Troisième et Septième Symphonies de Beethoven ; la Quatrième Symphonie de Brahms ; le Concerto pour orchestre, de Bartók ; la Quatrième Symphonie de Tchaïkovski et Londres de Haydn ; Nuages ​​et Fêtes, de Debussy ; Till Eulenspiegel et Ainsi parlait Zarathoustra, de Richard Strauss ; des fragments d’œuvres wagnériennes ; Les Chants d’un voyageur solitaire de Mahler.

Il retourne en Argentine en 1951, cette fois comme chef d’orchestre de l’Orchestre du Teatro Colón, poste qu’il occupe jusqu’en 1952. Durant son séjour en Argentine, Furtwängler donne également plusieurs concerts avec l’Orchestre Philharmonique de Buenos Aires. Il se produisit également comme pianiste soliste et donna des master classes à de jeunes musiciens. Le séjour de Furtwängler en Argentine fut marqué par un chaleureux accueil du public constituant une étape importante dans sa carrière, car lui permettant de renouer avec ce dernier après les années difficiles de la Seconde Guerre mondiale.

En 1949 Hans Hotter interprètera le rôle de Hans Sachs dans Les Maîtres et Don Giovanni de Mozart. Cette même année aura lieu la première américaine de La Femme sans ombre de Strauss sous la direction d’Erich Kleiber. Cependant l’année 1949 restera comme “l’année Callas », Maria Callas ayant assumé les rôles de Norma, Turandot et Aida accompagnée de Mario del Monaco.

Puis c’est au chef d’orchestre autrichien Karl Böhm de venir diriger le répertoire lyrique allemand 4 années durant, dont La Walkyrie, Lohengrin, Le Hollandais et Les Maîtres Chanteurs. Outre Wagner, il dirigera : Fidelio, La Flute, La Femme sans ombre, Le Chevalier à la Rose, Elektra, Salomé et la première de Jenufa en 1951 et Wozzek 1952 en Amérique Latine. L’effet « nouveau Bayreuth » retentit outre Atlantique avec une baisse du nombre des représentations des œuvres de Wagner au Colon, cependant des figures wagnériennes de prestige continuèrent d’affluer assurant la vie de l’œuvre du Maître.

L’année 1955 donnera un nouveau souffle avec les débuts de Birgit Nilsson en Isolde avec Günther Treptow en Tristan, direction musicale assurée par Fritz Rieger. Tristan sera suivi de Parsifal mais avec Georgine von Milinkovic dans le rôle de Kundry, Dezső Ernster en Gurnemanz, casting ayant fait ses preuves à Bayreuth. Nilsson interprétera en outre Le Chevalier à la Rose et Don Giovanni avec Georges London.

Les années se succéderont, des nouveaux directeurs, Ferdinand Leitner venant diriger les Maîtres avec Paul Schöffler dans le rôle de Hans Sachs, Otto von Rohr en Pogner, Karl Dönch en Beckmesser. Tannhäuser interprété par le Heldentenor Hans Beirer, Otto von Rohr dans le rôle du Landgrave et Eberhard Waechter, un autre habitué de Bayreuth en Wolfram et pour finir en 1960 une Walkyrie de luxe avec Hans Hotter en Wotan, Otto von Rohr en Hunding, Hans Beirer en Sigmund, Martha Mödl en Brünnhilde. La basse argentine Victor de Narké appartenant au casting stable du théâtre prendra régulièrement les rôles de sa tessiture dans les œuvres wagnériennes.

Le retour de Parsifal en 1961 sous la baguette de Heinz Wallberg, Hans Hopf dans le rôle de Parsifal, marque le début d’une histoire d’amour entre la soprano Régine Crespin et le public argentin. Choisie pour le rôle de Kundry en 1958 par Wieland Wagner, la direction du Colon n’hésitera pas à la solliciter, d’ailleurs elle reviendra dans la maison durant plusieurs années. Elle jouera la même année Le Chevalier à la Rose avec Kurt Boehme. Elle chantera pour la dernière fois en 1969 dans le rôle de Kundry.

Le Ring du Colon en 1962

Un nouveau Ring oblige la constitution d’un casting prestigieux. Celui de 1962 déjà cité, fut exceptionnel : Birgit Nilsson en Brünnhilde, Hans Hotter en Wotan, Hans Hopf en Siegfried, Gré Brouwenstijn en Sieglinde, Gutrune, Fritz Uhl en Siegmund pour ne pas tous les citer. Des enregistrements de bonne qualité font preuve de la qualité de ce Ring. Le Ring sera suivi de Tristan en 1963 sous la direction de Ferdinand Leitner, Lohengrin en 1964 sous la direction de Lovro von Matacic, dont son Lohengrin de Bayreuth de 1959 qui est considéré comme une version de référence. Le casting fut constitué par Fritz Uhl, Victoria de los Angeles et Christa Ludwig. L’interprétation de cette dernière déclencha un tonnerre d’applaudissements, chose tout à fait inhabituelle au Colon lors d’une représentation. Elle jouera la même année dans Les Noces de Figaro et Ariane à Naxos avec Fritz Uhl.

L’année 1965 mérite une entorse au sujet de cet article, puisque je ferai référence à l’opéra Turandot de légende qui réunit en scène Birgit Nilsson et Montserrat Caballé, dans ses débuts dans le théâtre. Des critiques de l’époque : « Nilsson, après avoir résolu la dernière énigme, en demandant « Mi vuoi nelle tue braccia a forza, riluttante, fremente ? Elle rejeta la tête en arrière, écarta ses lèvres et couvrit tout : l’orchestre, le chœur, les solistes… L’impression reçue était qu’elle allait nous écraser… Ce fut un moment incroyable, presque surhumain. Quant à Liu, elle était toute en nuances avec des pianissimi de rêve… » Nilsson interprètera cette même année Salomé avec Fritz Uhl. Quant à l’œuvre du Maître de Bayreuth, elle sera représentée par Le Hollandais sous la direction de Roberto Kinsky. L’opéra allemand sera présent aussi avec Salomé comme dit précédemment, La femme sans ombre, La Chauve-souris et Lulu de Berg (première).

Reprise de Tristan et Isolde en 1966 avec un casting remarquable : le Heldentenor danois Ticho Parly, Ludmila Dvorakova dans Isolde, Franz Crass en roi Marke et Gerd Feldhoff en Kurwenal.

Une saison plus tard, en 1967, le Colon enchantera son public avec un Ring d’anthologie dirigé par Ferdinand Leitner: Birgit Nilsson (Brünnhilde), Gwyneth Jones (Sieglinde), Grace Hoffman (Fricka), Wolfgang Windgassen (Siegfried), David Ward (Wotan) Richard Martell (Siegmund), Michael Langdon (Hunding), Zoltan Kelemen (Alberich) pour ne citer que les premier rôles. Les Maîtres suivront en 1968.
Le ferment de mai 68 et les transformations sociales du pays se manifestaient au Colon par un penchant plus contemporain allant de Chostakovitch, Prokofiev, Janácek, Berg à Roussel, Wolf-Ferrari, Britten, Honegger, Menotti.

Toutefois une année après, 1969, sera celle de la création de l’Opéra de Chambre du Teatro Colón et d’une certaine manière d’un retour aux sources. Une nouvelle production de Parsifal par Ernst Poettgen, dirigée par Erich Leinsdorf, Wolfgang Windgassen dans Parsifal et le retour de Régine Crespin dans Kundry. D’autres grands de la scène lyrique viendront tels Grace Bumbry, Joan Carlyle, Joan Sutherland dans Norma, Leontyne Price, Teresa Berganza, Christa Ludwig dans Le Chevalier à la Rose et Wozzek.

La première de Moses und Aron de Schoenberg eut lieu en 1970 avec Helmut Melchert et Fritz Uhl suivi d’une reprise de La Femme sans Ombre, dont sa première datait de 1949.

A partir de 1971 l’œuvre de Wagner sera moins présente dans la programmation du Colon : six opéras en dix ans jusqu’au Ring de 1981. Cette période correspond à une décennie noire du point de vue socio-politique durant laquelle le Colon n’a pas fléchi et garantit un répertoire de haut niveau. Le Tristan et Isolde de 1971 en est la preuve. Dirigé par Horst Stein au casting : Jon Vickers (Tristan), Birgit Nilsson (Isolde), Grace Hoffman (Brangene), Franz Crass (Marke), Norman Mittelmann (Kurwenal)

A partir de 1972 débarquent au Colon Alfredo Kraus, Placido Domingo, Cornell MacNeil, José Carreras mais dans un répertoire italien. En 1973, Le Hollandais est de retour avec Victor De Narké (Daland), Ingrid Bjoner (Senta), David Ward (Hollandais). Par la suite se succéderont Tristan en 1977, avec Jess Thomas un de piliers du Nouveau Bayreuth, accompagné de Ute Vinzing dans le rôle d’Isolde et Rolf Kühne en Kurwenal. Tannhäuser en 1978 est dirigé par Karl Böhm.

Depuis 1971, c’est au grand metteur en scène Argentin, Roberto Oswald d’assurer la responsabilité. de chaque opéra de Wagner, comme le Lohengrin de 1979, dirigé par Peter Maag, avec Eva Marton dans Elsa, Jess Thomas en Lohengrin, Ute Vinzing dans Ortrud. Hans Wallat dirigera Les Maîtres en 1980, Norman Bailey sera Sachs, Karl Ridderbusch : Pogner, Jess Thomas : Walther, Hannelore Bode (Sieglinde dans le Ring de Chéreau) sera Eva.

Le Ring est de retour en 1981 ; il sera donné en quatre saisons successives avec une direction partagée entre Hans Wallat et Gabor Otvos avec une mise en scène locale de Roberto Oswald. Ce Ring au casting somptueux marquera les débuts en Argentine de Waltraud Meier dans le rôle de Fricka. Thomas Stewart sera Wotan, Jeannine Altmeyer sera Sieglinde, Ute Vinzing : Brunhilde, James King : Siegmund et Spas Wenkoff dans le rôle de Siegfried ; Manfred Schenk sera Hagen, pour ne nommer que les rôles principaux, c’est donc une véritable troupe bayreuthienne.

Après une longue absence, Parsifal est repris en 1986 dans une mise en scène de Roberto Oswald et sous la direction de Franz-Paul Decker ; Neil Howlett tient le rôle d’Amfortas, Manfred Schenk est Gurnemanz, déjà connu dans le rôle à Bayreuth, de même que Dunja Vejzovic, dans le rôle de Kundry depuis 1978. Cette représentation sera suivie du Hollandais en 1987, sous la direction d’Uwe Mund avec Neil Howlett, dans le rôle du Hollandais. Rienzi en 1990 dirigé par Janos Kulka et Wolfgang Neumann dans le rôle-titre, entre dans le répertoire du Théâtre Colon. Une nouvelle mise en scène de Lohengrin est présentée en 1991 avec Elijah Moshinsky, et pour la direction d’orchestre,Gabor Otvos. Gary Lakes, étoile du Met, tient le rôle de Lohengrin. La reprise du Hollandais en 1992 est dirigée par Franz Decker, Tannhäuser en 1994 sera dirigé par Janos Kulka, avec Klaus König, dans le rôle-titre, accompagné par Mechthild Gessendorf dans Elisabeth et Ruthild Engert-Ely en Venus.

Un grand casting se prépare pour la reprise du Ring d’Oswald en 1995, dirigé par Franz Decker et Jeffrey Tate car il sera donné sur quatre ans, avec Paul Frey : Loge, Helmut Pampuch : Mime comme dans le Ring du Centenaire ; Sergei Koptchak : Fafner , pour n’en citer que quelques-uns. La Walkyrie offrira un duel remarquable avec Siegfried Jerusalem en Siegmund et l’immense Kurt Moll, en Hunding. Puis Siegfried sera interprété par Stig Andersen et Anne Evans dans le rôle de Brünnhilde. Enfin Le Crépuscule les réunira autour d’une immense Brünnhilde, déjà connue à Bayreuth sous la baguette de Solti, celle qu’on appellera aussi l’Isolde transfigurée : Hildegard Behrens.

Cette même année 1995, l’Elektra dirigée par Berislav Klobucar avec Hildegard Behrens en Elektra, Deborah Voigt, Chrysotemis, Leonie Rysanek, Chrysothémis et Alfred Muff dans Orestes fut un succès.

La création en 1990 du CETC – Centro de Expérimentation del Teatro Colon – focalise le répertoire vers l’avant-garde musicale. Il s’agit d’un espace d’expérimentation sonore et de nouveaux courants dans les entrailles du théâtre (en sous-sol) permettant que de nombreuses œuvres avant-gardistes internationales, et même conçues pour le CETC, soient transférées dans la salle principale du théâtre. A titre d’exemple : El cimarrón de Henze, Proserpina y el extranjero (Proserpina e lo straniero) de Juan Castro, El Pintor y las cuatro niñas, d’Edison Denisov, livret de Pablo Picasso, la Ciudad ausente de Gerardo Gandini, Europera V de John Cage et des classiques comme le Pierrot Lunaire d’Arnold Schoenberg, Renard (Baika) d’Igor Stravinsky, Le Nez de Chostakovitch et Death in Venice de Britten au milieu d’une multitude d’oeuvres au programme chaque année.

Les années 2000 deviendront celles des travaux de rénovation, commencés en 2001, avec un arrêt progressif des activités jusqu’à sa fermeture définitive et réouverture en 2010.
On donnera toutefois Tristan en 2001 avec Jeffrey Lawton et Nadine Secunde dans le rôle d’Isolde. Direction Franz P Decker. Le Hollandais en 2003 dirigé par Charles Dutoit qui dirigera aussi le nouveau Ring, inachevé à cause des rénovations, avec une mise en scène de Ladislav Stros pour L’Or du Rhin en 2004, Kay Walker Castaldo pour La Walkyrie en 2005.
Le retour de Wagner se fait avec Lohengrin en 2011 avec Kurt Rydl, Ann Petersen et Janina Baechle.

Le Colon Ring

Un projet fort polémique devait arriver avec le « Colon-Ring » ou version réduite considérée comme « un complément et non un remplacement du Ring original” selon Cord Garben, mentor et responsable de l’adaptation musicale. Ce Ring compacté fut réalisé avec le soutien de Katharina Wagner, co-directrice à l’époque du Festival de Bayreuth, qui devait en diriger la mise en scène jusqu’à l’abandon soudain et la rupture du contrat à la mi-octobre 2012. A sa place, l’Argentine Valentina Carrasco (de La Fura dels Baus basée à Barcelone) fit un travail très bien accueilli par son approche avant-gardiste mais lisible de l’œuvre.

Depuis 2014 le directeur Israelo-Argentin Daniel Baremboim, apportera un vent nouveau au Colon concernant l’oeuvre de Wagner avec les orchestres qu’il dirigeait Tristan et Isolde avec l’orchestre du West-Eastern Divan, Peter Seiffert, Waltraud Meier, René Pape, Ekaterina Gubanova, en version concert.

Il y aura un exceptionnel Parsifal en 2015, dirigé par Alejo Perez et une partie de la troupe de Bayreuth dont Ryan McKinny, Stefen Milling et Nadja Michael en Kundry, et La Défense d’Aimer en 2017, avec la voix immense de Lise Davidsen dans Isabella.

La Staatskapelle de Berlin dirigée par Barenboim en 2018 iterprétera Tristan et Isolde dans la mise en scène de Harry Kupfer, Peter Seiffert dans Tristan, Anja Kampe et Iréne Theorin, Isolde, Angela Denoke en Brangenne.

L’Or du Rhin est donné en 2020 dans la mise en scène du Français Arnaud Bernard et sous la direction d’Enrique Arturo Diemecke avec un casting essentiellement local : Sergio Spina (Mime), Guadalupe Barrientos (Fricka), Fernando Radó (Fasolt), Lucas Debevec Mayer (Fafner) et Carla Filipcic Holm (Freia). Puis la pandémie aura raison de la programmation avec un retour à la normale mais pas de Wagner, pour l’instant…

Le théâtre Colon suit une longue tradition wagnérienne avec un public avide et connaisseur de l’œuvre du Maître de Bayreuth. La post pandémie, une situation économique intrinsèquement instable dans le pays et des choix d’administration pas toujours judicieux ont contribué à la situation délicate que traverse le Colon actuellement, malgré la volonté de ses forces vives. Depuis une décennie, le Colon a souffert d’une gestion qui n’a pas su respecter la vocation ultime de la magnifique institution, au mépris de ses mérites et de son histoire, l’éloignant de la scène musicale internationale.

Pourtant et en dépit de toutes ses difficultés, une énergie et une force émanent de cette institution, et l’espérance renaît dès que l’on franchit ses portes et que résonne la première note…

FB.

Références :

– Leo Leroy Beranek, Acoustics – Édition en Anglais American Institute of Physics; Revised, Subsequent édition (31 décembre 1986)
– Hidaka and Sadahiro MasudaTAK Associated Architects, 1-7 Kanda-Nishiki-cho, Chiyoda-ku, Tokyo 101, Japan
Biblioteca Landivariana – Universidad Rafael Landívar.
– Archives du Teatro Colon: Jorge D´Urbano, Toscanini y su técnica musical
– Harvey Sachs, Toscanini
– Osvaldo Barrios y Edmundo Piccioni. revista ARS: « Homenaje a Toscanini »
– Archivos del diario La Prensa: Teatro Colón. Historias y anécdotas.
– Données reproduites dans le journal « La Prensa » du 26/10/1969 Supplément spécial
-Teatro Colón. Evolución de la temporadas líricas (1908 – 2010) Mariano Macedo
-Valenti Ferro, Enzo. Las voces, teatro Colón 1908 -1982 Ed. Del Arte Gaglianone 1984
– Claudio Von Foërster. Archivo persona. Archivo de LA NACION.
UNESCO.org « Grandes dates de l’histoire de la radio : Diffusion de « Parsifal » de Richard Wagner à Buenos Aires en Argentine par « Los Locos de la Azotea »
– Osvaldo Andreoli. El Anillo del Nibelungo en la historia del Teatro Colón
– Ronald H. Dolkart, Opera Quarterly, The Bayreuth of South America
– Eva Rieger. Friedelind Wagner: Richard Wagner’s Rebellious Granddaughter 2013
– Helena Brillembourg, La Nacion
– Musica Clasica Magasine.

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