L’AVENTURE DE BAYREUTH : Chapitre II (1869-1876)

Chef d’oeuvre architectural et prouesse technologique, novateur et révolutionnaire, le Palais des Festivals de Bayreuth inauguré en août 1876 fut conçu par le compositeur pour y faire représenter les quatre opéras qui forment le cycle de La Tétralogie. Cette aventure, c’est le résultat de près de vingt-cinq années de composition, de réflexions artistiques et philosophiques mais également de pourparlers politiques et financiers avec les plus grands de son époque. L’aventure se poursuit toujours de nos jours, les héritiers du compositeur se succédant les uns aux autres pour le meilleur comme parfois pour… le plus inattendu !

CHAPITRE II (1869-1876)

Construire un théâtre hors norme pour une oeuvre démesurée

Et l’œuvre dans tout cela ? Car s’il est question de constructions, d’architecture, de futur Palais des Festivals (ou Festspielhaus), c’est bien pour y accueillir une œuvre: La Tétralogie.  Où en est la composition ?

Certes le roi Louis II a été contraint – la mort dans l’âme – de décréter le bannissement de son ami le plus cher hors de Munich, mais lui-même commence à s’impatienter. Que fait donc le compositeur qui a «laissé Siegfried dans sa forêt» en 1857 pour s’adonner à la composition de Tristan et Isolde et n’est jamais allé le rechercher ?

 

I- Munich / Bayreuth :
projets, pourparlers et bras de fer entre un artiste … et son mécène !

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Partition manuscrite de Richard Wagner pour L’Or du Rhin

Commence alors, entre Richard Wagner et Louis II de Bavière, l’un des bras de fer et de manipulation (voire de chantage) les plus extravagants de l’histoire de la Musique. Wagner avait en effet cédé en 1864 au roi ses droits sur les représentations de La Tétralogie.

Or, en 1869, le  compositeur n’a livré à son illustre monarque que les deux premiers épisodes de son épopée : L’Or du Rhin et La Walkyrie. Et Louis II attend la suite. Mais comme pour Wagner il n’est pas question de faire représenter un seul épisode du Ring tant que les conditions de représentations qu’il a dictées au roi ne sont pas réunies, le compositeur n’envisage pas de terminer – tout du moins de livrer – l’intégrale du Ring. Satisfaire au rêve de Louis II ?

Que l’Illustre mécène donne à cette œuvre d’exception un théâtre digne de ce nom!  Lorsque le projet de construction du Festtheater est annulé en 1868, Wagner « traîne la patte » quant à la composition de la musique de Siegfried et du Crépuscule des Dieux car il n’a pas de vision suffisamment précise quant à la finalité de «sa grande entreprise».

Dans une lettre de « conciliation » écrite par le roi et adressée au compositeur à la fin du printemps 1869, Louis II déclare à Wagner son intention de faire représenter L’Or du Rhin à Munich. Stupeur et colère du compositeur (qui pouvait pourtant s’attendre à une telle déclaration à un moment ou à un autre)! Mais Wagner est pieds et poings liés, car, en manque perpétuel d’argent, il avait cédé ses droits au roi contre monnaie sonnante et trébuchante.

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Affiche pour la création de L’Or du Rhin à Munich en 1869

Et c’est ainsi que les deux premières journées de La Tétralogie sont données à Munich, naturellement en l’absence du compositeur ulcéré : le 22 septembre 1869 est créé L’Or du Rhin (NB : Judith Gautier relate l’événement auquel elle a assisté) et le 26 juin 1870 La Walkyrie. Par fidélité à Wagner, le chef d’orchestre Hans Richter refuse d’en diriger la création.
Dès lors, le débat se fait plus pressant, car Wagner ne veut pas que lui échappe ce qui reste de sa Tétralogie : il faut avant tout trouver un lieu en dehors de Munich, là où le compositeur peut faire représenter le Ring, passant ainsi outre ses engagements envers le souverain.

Dans le petit comité réuni au sein de la villa de Tribschen, plusieurs théâtres allemands sont évoqués au cours des discussions, lorsque l’attention de Hans Richter et de Cosima est attirée par la scène du Théâtre des Margraves à Bayreuth, en Franconie. Voilà qui permettrait d’échapper ipso facto à la juridiction de Munich… et au regard du roi.

Le soir du 5 mars 1870, Cosima écrit : «Comme nous parlons de la représentation de ces œuvres, je dis à R. qu’il devait regarder dans une encyclopédie à l’article Bayreuth; R. avait désigné cet endroit comme celui qu’il voulait élire; nous trouvons à notre grande joie mention parmi les différents bâtiments d’un vieil et bel opéra.» (Cosima Wagner, Journal, 5 mars 1870)

Le voyage réalisé par le couple Wagner à Bayreuth en avril 1871 se solde par une grave déception : le Théâtre des Margraves qu’ils avaient repéré, situé au cœur de la ville, offre certes la vaste scène qu’ils recherchent (une profondeur remarquable de 72 mètres), mais la disposition à l’italienne de la salle ainsi que les dorures rococo sont aux antipodes des ambitions artistiques et philosophiques de Wagner.

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Le Théâtre des Margraves à Bayreuth ou l’avènement du style rococo dans un théâtre à l’italienne… tout ce que détestait Richard Wagner. Le théâtre est néanmoins classé au patrimoine international de l’Unesco

L’histoire veut que les autorités de la ville, émues par l’intérêt que porte le désormais célèbre Richard Wagner envers leur petite bourgade, aient offert au compositeur un terrain à construire et ce dès le 7 novembre 1871. L’occasion était trop belle pour que le compositeur résiste un seul instant : impossible de manquer une telle opportunité de pouvoir enfin exister en dehors des emprises respectives de Louis II et de Bismarck… sans toutefois renoncer à l’idée de demander à ces derniers les subventions nécessaires à la construction du bâtiment ainsi qu’à l’organisation du Festival! En effet, le compositeur espère qu’une fois les tensions calmées, étant donné sa situation géographique privilégiée, la ville de Bayreuth attirera, une fois l’édifice sorti de terre, un public de tout premier choix.

Le projet de créer un Festival à Bayreuth et d’y ériger un théâtre fait naturellement très vite son chemin dans l’esprit du couple Wagner. Surtout qu’ils sont accueillis très favorablement par les autorités de la ville (notamment par le bourgmestre Theodor Muncker) qui mettent effectivement à la disposition du compositeur un terrain à bâtir juché sur une colline, le Bürgerreuth – qui n’est certes pas le terrain qui avait été proposé en novembre de la même année, mais qu’importe ! – pour la somme de 14.000 guldens. Le contrat est signé le 15 décembre 1871. Il ne reste plus qu’à bâtir le théâtre d’opéra du siècle.

Voir également :
– « Bayreuth… avant Wagner » (Annexe 1)

 

II- Entre le financement du projet et l’équipe artistique à réunir :
préparatifs du premier Festival de Bayreuth

13340-300x200Dès lors se pose de manière cruciale la question du financement. Car, malgré tant d’incertitudes et d’aléas potentiels, malgré les portes (et les bourses) qui refusent de s’ouvrir, c’est l’utopie qui l’emporte ; et c’est bien là ce qu’il y a à la fois de profondément génial voire de totalement fou chez le compositeur, lancer un projet de cette ampleur sans les fonds qui le permettent !

Certes la municipalité de Bayreuth s’est déclarée prête à aider Wagner à construire un théâtre entièrement nouveau, en lui attribuant d’une part la concession d’un terrain pour y faire élever son théâtre, et d’autre part celle d’un autre terrain pour sa maison particulière, la villa Wahnfried. Le compositeur trouve parmi ces honorables notables de province des soutiens chaleureux : le banquier Friedrich Feustel et le maire de la ville Theodor Muncker. Espèrent-ils hausser leur modeste cité au rang des sites culturels bientôt incontournables par autant de souverains que de personnalités de l’intelligentsia ? Malgré ces apports, maigres si l’on considère l’ampleur démesurée du projet, il faudra encore à Wagner ainsi qu’à ses partisans beaucoup d’énergie pour réunir les fonds nécessaires à la concrétisation de son rêve.

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Le Chancelier Bismarck

Alors, Wagner tente de frapper plus haut.
La première audience auprès de Bismarck le 3 mai 1872 se solde par un échec : la chancellerie trouve l’élégant prétexte de refuser de se mettre en porte-à-faux vis-à-vis du roi de Bavière. Plus tard, le chancelier, sans doute amusé par la personnalité et l’ambition de Wagner, gratifiera celui-ci de ces propos : “ Je n’ai jamais vu une conscience de soi aussi aiguë ”.

Quant à son mécène historique, Louis II de Bavière, les feux de la discorde se sont pas encore éteints.

Face à ces portes auxquelles il n’hésite pas à frapper mais qui lui demeurent closes, Wagner réalise bien vite que son projet doit obligatoirement bénéficier de subventions de mécènes privés : “ les frais de mon entreprise seront à réunir uniquement par des particuliers ” (lettre de Richard Wagner à von Düfflip).
Heureusement, les passionnés sont déjà bien là pour soutenir l’entreprise wagnérienne, et ce, dès la fin avril 1871. Le compositeur s’en assure en mettant en place un premier comité de soutien à Berlin, sous la forme d’un Patronat : sitôt la visite à Bayreuth achevée, et les quelques augustes tentatives avortées, le couple Wagner se rend à Berlin, le 25 avril 1871, afin d’organiser les choses en toute conformité légale et financière.

Et c’est là l’œuvre du fidèle Karl Tausig, proche ami du Maître, jeune pianiste juif d’origine polonaise de vingt-neuf ans, fervent wagnérien, et qui n’hésite pas à multiplier les discours en public pour mieux faire connaître l’œuvre wagnérienne au travers de conférences, de concerts, de harangues populaires.

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Carl Tausig

C’est grâce au dynamisme de ce wagnérien de la première heure que le tout premier Patronatsverein est organisé et voit le jour. Ainsi peut-on émettre une souscription publique de mille actions, à trois cents thalers (l’équivalent de 1.125 francs) chacune. Le dividende de chaque action consiste, uniquement, en le droit exclusif d’assister aux représentations de L’Anneau du Nibelung. Le Conseil d’administration est composé de MM. Friedrich Feustel, Adolphe Gross, Theodor Muncker de Bayreuth, Emil Heckel de Mannheim, Friedrich Schoen de Worms.

En marge de cette organisation officielle berlinoise, des « Cercles wagnériens » se mettent en place. Un peu partout en Europe, les fervents partisans de l’aventure ainsi que des “wagnériens de la première heure” n’hésitent pas à mettre la main à la poche pour soutenir l’“aventure de Bayreuth” et avec le secret espoir de pouvoir assister à ce qui  est déjà annoncé comme une aventure artistique sans précédent.

En effet, le très avisé Emil Heckel n’hésite pas à mettre en avant le fait qu’un nombre important de mélomanes (ou de curieux), dans l’impossibilité de verser 1,125 francs, seraient pourtant disposés à apporter une contribution financière à la mesure de leurs propres moyens. Aussi le conseil d’administration, devenant comité de patronage, encourage et aide même à la création de cercles wagnériens non seulement en Allemagne, mais dans le monde entier, en France, en Russie, en Hollande, en Belgique, en Suède, en Angleterre, en Italie, en Egypte, aux Etats-Unis : leur mission est de recueillir des souscriptions, si modestes soient-elles, pour la triple représentation de L’Anneau du Nibelung. Car c’est bien là le but poursuivi, dès les premières années où l’on espère voir s’exécuter sur scène l’épopée colossale de Wagner : exécuter par trois fois l’intégralité du cycle de La Tétralogie. Pourquoi trois fois ? d’abord pour des raisons de rentabilité économique évidentes, et également pour contenter la foule supposée des spectateurs qui viendrait en nombre assister à la concrétisation du rêve faite œuvre.

Le décès prématuré de Karl Tausig, fidèle bras droit de Wagner et pierre fondatrice à l’édifice de Bayreuth, plonge le compositeur dans une profonde tristesse. Le 17 juillet 1871, profondément affecté par la perte de son “compagnon d’armes”, Wagner lui dédicace une épitaphe particulièrement émouvante.

Le comité est alors placé sous la direction de Maria von Schleinitz, l’épouse du ministre prussien Alexandre von Schleinitz. On envisage encore la naissance du Festival, avec optimisme, pour l’été 1873. De passage à Leipzig, au cours d’une première conférence de presse, Richard Wagner annonce solennellement le 12 mai 1872 que la première édition de celui-ci aura lieu en 1873. Il prévoit à ce moment volontairement le strict minimum – notamment quant à l’esthétique du bâtiment et au confort d’accueil des invités !

Mais la souscription n’a pas été entièrement couverte et l’argent manque. Pour lever des fonds, Wagner se résout une fois de plus à faire une tournée de concerts. Et sur la route qui le reconduit à Tribschen, le compositeur multiplie rencontres, lectures, conférences, réceptions, à Leipzig, Francfort, Darmstadt ou Heidelberg. Avec un seul but : convaincre.

Le 22 mai 1872, jour anniversaire de la naissance du Maître, la première pierre du nouveau Théâtre est posée. “ Sois bénie, ma pierre, reste debout longtemps et tiens bon ! ” dit-il. A cette occasion, Richard Wagner dirige un concert au Théâtre des Margraves où est exécutée la Neuvième Symphonie de Beethoven.

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Mais malgré tous les efforts du Maître, de Cosima et de leurs dévoués amis, l’argent ne rentre pas, en tout cas pas assez. 1873 ne voit donc pas le premier festival. Wagner tente une nouvelle démarche auprès de l’empereur, à nouveau infructueuse. Nouvelle chasse à l’argent : pour 5000 dollars, il compose une marche solennelle à l’occasion du centenaire de l’Indépendance des Etats-Unis ; de plus, il accepte de composer une Marche de Fête en vue de l’ouverture de l’Exposition Universelle de Philadelphie, qui aura lieu 1876, et qui lui est payée 25,000 francs. Même le banquier Feustel le relance sur une série de concerts.

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Friedrich Nietzsche

Mais malgré la bonne volonté de tous, ce n’est  toujours pas assez ! Au printemps de 1873, trois cent quarante souscriptions seulement ont été achetées : 130.000 thalers réunis, il en manque 400.000. Nietzsche, bien que déjà malade, mais pour le moment toujours acquis à la cause de Wagner, rédige un “Appel aux Allemands” en faveur de Bayreuth. Le 30 août 1873, à travers une Communication à MM. les Patrons des festivals scéniques à Bayreuth, Richard Wagner confirme les rumeurs selon lesquelles “les représentations projetées ne pourront pas avoir lieu avant l’été de l’année 1875”. Le compositeur invoque pour expliquer ce retard le manque de liquidités. Et en effet, les ouvriers menacent d’arrêter la construction.

Puis coup de théâtre : le roi Louis II de Bavière, le 25 janvier 1874 et malgré leur querelle passée, fait une avance à Wagner de 100.000 thalers avec ces mots devenus célèbres: “ Non! Non et encore non! Ce n’est pas ainsi que cela doit finir; il faut que l’aide arrive! ”

Dans une lettre destinée au roi Louis II de Bavière, Richard Wagner répond le 3 février 1874 et ne cache ni son émotion ni ses remerciements: “O mon Roi plein de grâce! Vous n’avez qu’à jeter un coup d’œil sur tous les princes allemands pour reconnaître que c’est seulement Vous que l’esprit allemand regarde encore avec espoir.” Il y a bien quelques péripéties autour de ce prêt mais le fait est là et le 20 février 1874, un accord est conclu entre le Conseil d’Administration du Festival de Bayreuth et le Secrétariat de la Cour de Bavière. Il porte sur les 100.000 thalers promis et il est stipulé qu’il est à rembourser petit à petit par Richard Wagner et ses héritiers sur les recettes du Festival.

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Le baron Friedrich von Feustel

Le 7 mai 1874, enfin, Wagner annonce à Muncker et Feustel le début du festival pour l’été 1876. Et le 21 novembre 1874, dans son refuge de Wahnfried, Wagner met un point d’orgue au troisième acte de la partition du Crépuscule des Dieux. Sur la dernière page manuscrite, il annote “ Terminé à Wahnfried. Je n’ajoute aucun commentaire.”

Qu’ajouter en effet ? Une partition (ambitieuse) à présent achevée sur un livret des plus aboutis de l’Histoire de la Musique, un théâtre prêt à voir le jour…

Et le spectacle ? Car Wagner est tout aussi attentif à la scénographie de son œuvre qu’à la construction de son épopée musicale titanesque.

Et parmi les sujets primordiaux, où  trouver des chanteurs à la dimension des exigences voulues par le compositeur ? Entre le moment où Wagner a créé ses premières œuvres et l’avènement de Bayreuth, des dizaines d’années se sont écoulées. Tichatschek a soixante-neuf ans, Ludwig Schnorr von Carosfeld est décédé peu après avoir créé le rôle de Tristan… Où sont les chanteurs aussi vaillants que souples et surtout crédibles scéniquement pour satisfaire aux exigences de Wagner ?

Alors accompagné de son épouse Cosima – à qui il faut reconnaître (hérédité musicale de son père oblige ?) un sens critique et de discernement certain concernant l’appréciation de la qualité des chanteurs, il reprend son tour d’inspection des théâtres allemands afin de dénicher ça et là les futurs titulaires des rôles pour La Tétralogie.

Depuis 1872 où le couple avait entrepris son premier voyage en vue de recruter des solistes qui les a menés à Wurtzbourg, puis Francfort-sur-le-Main, Mannheim, Darmstadt, Karlsruhe, Mayence ainsi que Magdebourg, Dessau et Leipzig, et à l’exception notable de Franz Diener, jeune chanteur qui l’impressionne à Cologne dans une représentation de La Flûte enchantée de Mozart, Wagner cherche et se décourage. Après plus d’un mois de tournée, il tire des conclusions désabusés dans un essai Un coup d’œil sur l’opéra allemand contemporain. Rien ne trouve grâce aux yeux du compositeur, pas plus du côté des chefs d’orchestre chez qui il note “ la même inaptitude s’étalant dans tous les genres de musique dramatique à trouver, dans l’exécution, le style exact, qu’il s’agît de Mozart ou de Meyerbeer ” que parmi les chanteurs, inaptes, selon lui, à affronter les partitions de La Tétralogie.

Quelques noms sortent tout de même du lot pendant ces années de “quête du Graal” : Karl Hill, le futur créateur d’Alberich, Franz Betz (Wotan), Franz von Reichenberg (Fafner), Lili Lehmann (Woglinde et l’Oiseau de la Forêt), Therese Vogl (Sieglinde), Amalie Materna (Brunnhilde) et encore Emil Scaria (Hunding). Le seul – et pourtant essentiel – rôle qui échappe encore au choix du compositeur, c’est bien celui de Siegfried, qui incombe finalement à Georg Unger, lequel se révèle au cours des répétitions puis des représentations bien en deçà des attentes du compositeur; un mauvais choix qui, au cours des représentations de 1876, n’échappe pas à la critique musicale acerbe de l’époque.

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Le Festspielhaus de Bayreuth au moment de son inauguration

Le 15 janvier 1875, Wagner signe la circulaire invitant les artistes à se rendre l’été suivant au Festspielhaus en vue des premières répétitions. Ceux-ci ne devaient recevoir pour tout gage que les défraiements de leur séjour, le financement du Patronatsverein et des Sociétés Wagner à travers l’Europe étant insuffisant – une tradition qui a perduré jusqu’à très récemment, les chanteurs ne se produisant pas à Bayreuth pour l’appât du gain, mais pour le “prestige” d’y être convié.

L’orchestre réunit quant à lui cent huit musiciens venus de différentes formations d’Allemagne, d’Autriche et des Pays-Bas. Là également, les salaires prévus sont très maigres. Le chef d’orchestre retenu pour La Tétralogie est lui, invité (NB : une tradition qui a aussi longtemps perduré sur la Colline Verte).

Le dimanche 1er août 1875 est un moment de tension extrême : pour la première fois, on entend l’aboutissement de la conception du “Nibelheim” – “l’abîme mystique” – la fosse recouverte dans laquelle se produit l’orchestre. Et la magie de l’acoustique opère. Wagner aurait dit, d’après les notes prises par Karl Heckel : “ C’est ce que je voulais. Maintenant, les cuivres sonnent moins crûment. ”
Le 2 août 1875, les répétitions d’orchestre commencent : les trois filles du Rhin font entendre leur chant, sur un plateau encore dénudé car les décors de Joseph Hoffmann ne parviennent que l’année suivante. Wagner poursuit son idéal de réalisme sur scène et initie les chanteurs au jeu de scène, mimant et chantant tour à tour chacun des rôles : c’est devenu une obsession pour le compositeur. Du réalisme avant toute chose…

Toutefois, les ennuis financiers ne cessent de déborder le compositeur: un an avant la première édition du Festival, le déficit est déjà énorme. Et comme toujours, Wagner fait feu de tout bois. D’un côté, Wagner le compositeur multiplie les concerts en Allemagne et à l’étranger afin de réunir des fonds pour le Festival, de l’autre Wagner le chef d’entreprise ne lésine sur rien quant aux frais engagés pour ses “relations publiques” : réceptions à Wahnfried, soupers-festins auxquels sont conviés notamment les artistes (sur lesquels Cosima exprime pour la première fois ses désaccords : un incident éclate d’ailleurs avec le ténor Albert Niemann – futur Siegmund – au cours d’une garden party en date du 13 août 1875)… Les dépenses sont considérables et disproportionnées par rapport aux recettes émanant du Patronatsverein et des Sociétés Wagner.

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Le Festspielhaus de Bayreuth lors de son inauguration en août 1876

En octobre 1875, Wagner envoie une requête à l’Empereur demandant l’octroi d’un prêt de 30.000 thalers en vue de la première édition du Festival. Ce dernier, avec l’accord de Bismarck, accepte finalement la demande de subvention si celle-ci fait l’objet d’une proposition au Reichstag. Lorsqu’il apprend la nouvelle, Wagner, que le désir d’indépendance à tout prix rattrape, retire sa demande. Malgré ces “peccadilles” financières (sauraient-elles seulement brider l’enthousiasme et la détermination de Wagner ?), le Festpielhaus est sorti de terre, les artistes sont réunis, et le Festival, programmé pour l’été 1876, est prêt à se dévoiler aux yeux d’un public médusé par une telle aventure !

Les répétitions, commencées l’été précédent reprennent du 3 juin au 6 juillet : la répétition générale a lieu les 6, 7, 8 et 9 août ; et, devant un public qui compte nombre de têtes couronnées et d’artistes renommés, commencent enfin le 13 août les représentations de La Tétralogie. Guillaume Ier, empereur d’Allemagne, lui dit simplement  : “ Je ne croyais pas que vous y parviendriez. ”.

NC/SB

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